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Entre investissements dans l'Hexagone et financements directs ou indirects du terrorisme, qui de la France, du Qatar et de l'Arabie saoudite est le plus schizophrène ?
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Double jeu

Le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg a appelé dimanche soir à Ryad à la création d'un fonds d'investissements franco-saoudien, à l'instar du fonds créé avec la Chine.

Mehdi Lazar

Mehdi Lazar

Mehdi Lazar est géographe, spécialiste des questions de géopolitique et d’éducation. Il est docteur de l’Université Panthéon-Sorbonne, diplômé du Centre d’Études Diplomatiques et Stratégiques et de l’Institut Français de Géopolitique.  

Il a publié récemment l’ouvrage Qatar, une Education City (l’Harmattan, 2012) et dirige la commission Éducation, Programmes FLAM et Francophonie du laboratoire d'idées GenerationExpat.

Il vient de publier, également, L'Algérie Aujourd'hui, aux éditions Michalon (Avril 2014)

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Atlantico : Le ministre français du Redressement productif, Arnaud Montebourg, a appelé dimanche soir à Ryad à la création d'un fonds d'investissements franco-saoudien, à l'instar du fonds créé avec le Qatar. N'est-ce pas un peu schizophrène de se lier avec l'une des  théocraties les plus réactionnaires dont les liens avec le fondamentalisme musulman sont pour le moins troubles ?

Medhi Lazar : Voir les choses sous cet angle je pense nous empêcherait de cerner les enjeux de cet épisode : la situation économique de la France et notamment les besoins d’investissements étrangers dans notre pays. La compétitivité de l’hexagone se détériore rapidement et les délocalisations augmentent. Face à cela malheureusement, si notre pays reste attractif, il l’est de moins en moins. Dans ce cadre, tous les investissements étrangers sont donc les bienvenus. Je rappelle que l’Arabie Saoudite est notre deuxième partenaire commercial au Moyen-Orient (derrière la Turquie) et le premier dans le Golfe.

Par ailleurs, je crois qu’il est nécessaire d’écarter l'hypothèse d'un fond que l’Arabie Saoudite  utiliserait afin de financer des acteurs radicaux de la mouvance islamiste en France. Ce n’est pas du tout leur intérêt et les services français seront en outre vigilants sur ce point.

Peut-on parler d'un double jeu du Qatar ou de l'Arabie saoudite qui investissent en Occident tout en critiquant ouvertement le modèle ? Que viennent-ils y chercher ?

Je pense que ce jeu est plus clair et plus honnête qu’on ne veut bien le penser. Les investissements du Qatar ou de l’Arabie Saoudite en Europe en général et en France en particulier relèvent de deux dimensions complémentaires.

Premièrement, il s’agit pour les pays du Golfe de « diversifier leurs sources de sécurité ». Dans le cas du Qatar par exemple, une relation forte avec la France permet de prendre de la distance vis-à-vis du parapluie américain et de s’assurer que notre pays – comme les Etats-Unis – n’a aucun intérêt à ce que le Qatar – qui est rappelons-le un Etat vulnérable dans une région instable – disparaisse comme le Koweït en 1990. Notez par ailleurs que les Etats dans lesquels ces pays investissent par le biais de leurs fonds souverains sont souvent les grands partenaires énergétiques (gaziers – pour les Qatar – et pétroliers – pour l’Arabie Saoudite) de ces Etats (l’Arabie Saoudite est depuis 2012 notre premier fournisseur de pétrole brut). Il s’agit donc d’une sorte d’assurance sur leur futur.

Deuxièmement, l’intérêt pour ces pays est de diversifier leurs actifs économiques dans la première zone économique du monde : l’Union européenne. Après une période marquée par une forte hausse du prix des hydrocarbures dans les années 2000 lors du  « troisième choc pétrolier » entre 2002 et 2008 et après la crise mondiale à partir de 2007, une situation particulière se présente : les Etats pétroliers du Golfe ont de larges réserves de change qu’ils peuvent investir afin de  préparer une économie post-hydrocarbure, tandis que certains pays occidentaux – dont la France – peinent à sortir de la crise économique. En France, de tels investissements sont donc bienvenus. Ont les retrouvent dans de nombreux secteurs économiques et avec des prises de participation par exemple dans de grandes entreprises du CAC 40.

Enfin, une concurrence existe entre l’Arabie Saoudite (premier partenaire économique français dans le Golfe) et le Qatar (second partenaire économique dans le Golfe) pour leur influence sur le plan régional et global. On peut se demander si malgré leur rapprochement depuis 2008, l’épisode du fond d’investissement du Qatar pour les banlieues de novembre 2012 sur le même modèle, n’a pas peut être inspiré A. Montebourg et le royaume saoudien.

Des pays de la Péninsule arabique ou de la France, lesquels sont les plus schizophrènes ?

Schizophrénie est un mot fort et je ne crois pas qu’aucun de ces Etats ne le soient. La France, le Qatar et l’Arabie Saoudite sont des partenaires économiques et stratégiques de longue date (la relation avec l’Arabie Saoudite date de 1967 à l’initiative du général de Gaulle et du Roi d’Arabie saoudite de l’époque) avec qui les liens sont constants et fructueux.

Cela dit, ces trois pays font aussi de la realpolitik et il peut arriver que nos intérêts géostratégiques et géopolitiques concordent, comme en Syrie pour défaire Bachar Al-Assad, ou s’opposent comme dans le cas de financement de certains groupes radicaux. Mais finalement les intérêts sont plus forts que les divergences.

D’autant que l’Arabie Saoudite, comme le Qatar, montent en puissance. Le royaume saoudien est dorénavant membre du G20, la puissance économique régionale et la puissance militaire du CCG. Les pays de la péninsule arabiques sont donc des partenaires indispensables pour la France, tant sur le plan économique que stratégique.

Sur un éventuel contrat sur le nucléaire, M. Montebourg, accompagné à Ryad de représentants d'EDF et Areva, a répondu que ses discussions avec les Saoudiens avaient été "fructueuses". La signature de contrats de ce type représente-t-elle un risque pour la sécurité française ?

Je ne crois pas : l’Arabie Saoudite est un allié des Européens et des Américains et reste stable. Les réacteurs nucléaires seraient bien évidemment à usage civil, afin de répondre à la demande énergétique croissante du royaume, et leur utilisation serait contrôlée par l’AIEA. Cette dernière fera tout pour éviter une course au nucléaire au Moyen-Orient, notamment avec la situation complexe de l’Iran.

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