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Dans beaucoup d'Ehpad, le protocole sanitaire ne permet toujours pas de rendre visite aux résidents.
Dans beaucoup d'Ehpad, le protocole sanitaire ne permet toujours pas de rendre visite aux résidents.
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Crève-coeur

Malgré l'avancée de la campagne de vaccination, en particulier dans les Ehpad, le protocole sanitaire reste très strict pour les résidents de ces établissements. Nombre de directions ont d'ores et déjà prévenu que la vaccination ne changerait rien aux régimes de visites et sorties.

Florence Paraclet

Florence Paraclet

Florence Paraclet est membre-fondateur du Cercle des Proches Aidants en Ehpad.

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Atlantico : La campagne de vaccination en Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) touche à sa fin. Cela a-t-il changé le régime de visites et sorties pour les résidents ?

Florence Paraclet :Nombre de directions ont d'ores et déjà prévenu que la vaccination ne changerait rien aux régimes de visites et sorties, tant que l’immunité générale ne serait pas atteinte. Or si le taux d'adhésion des résidents est de 70%, moins de 20% des personnels soignants en Ehpad souhaitent se faire vacciner, ce qui pose quand même question quand on est au plus près d'une population particulièrement vulnérable. 

Et le gouvernement n’est pas en reste, qui a pris des mesures de plus en plus coercitives et difficilement tenables dans son protocole du 28 janvier 2021.

A nous proches aidants, on nous a fait miroiter successivement l'arrivée des matériels de protection, puis des tests, enfin des vaccins comme la panacée, mais dans les faits, rien ne change. Sauf que nos parents dépérissent.

Combien d’entre nous avons-nous vu nos parents fondre en larmes et une aide-soignante – pas plus testée ni vaccinée que nous- les consoler tandis que nous nous interdisons le moindre élan d’affection ? On ne s’habitue pas à voir nos parents de plus en plus recroquevillés dans leur détresse.

On a entendu le témoignage de Stéphanie Bataille qui n’a pu revoir son père ni avant ni après son décès dans un hôpital parisien, parce qu’il fallait "attendre le dernier moment". En Ehpad, comment est évaluée l’urgence d’appeler les proches pour leur permettre de se rendre au chevet de leur parent mourant ?

De nombreux médecins coordinateurs ont décidé de réserver les visites en chambre des proches aux résidents "en fin de vie". Mais où commence la fin de vie ? C’est simple, elle commence à la porte de l'Ehpad. Il n’est pas choquant de dire que les personnes entrent en Ehpad pour y finir leurs jours, mais en douceur et non pour "endurer". On ne parle pas tant d’être soulagé de tout souci matériel et diverti au sens pascalien du terme, que d’être entouré des siens, et pas seulement sur son lit de mort. L'accès à nos parents ne doit plus dépendre du bon vouloir de directions plus ou moins humaines. 

Quelles sont vos attentes ?

Recréer le lien entre les résidents et les familles, car le lien c'est la Vie, comme défend notre Cercle des Proches Aidants en Ehpad. Qui du gouvernement ou des grands groupes privés comme Korian, Orpea et Domusvi, aura le courage d’ouvrir la voie en prenant des mesures simples et en posant des gestes forts ? Comme autoriser le tour du pâté de l'Ehpad, au moment où le ministre de l'Education fait la démonstration de l'utilité des 30 minutes d'exercice quotidien pour les enfants. On rêve de voir un membre du gouvernement accompagner la promenade de santé d’un résident. Permettre aussi aux proches aidants d'accéder à la chambre "pour apporter un soutien matériel et logistique", mais également affectif, psychologique, cognitif.  Proscrire le plexiglas, supplice de Tantale pour les résidents - très souvent malentendants, malvoyants et présentant des troubles cognitifs - comme pour les familles. Enfin, rendre obligatoire l’organisation de visites le week-end pour ceux qui travaillent.

Sinon après Noël aux tisons, ce sera bientôt une deuxième fête de Pâques sans balcon. D’ailleurs fenêtres et balcons sont condamnés (sic) pour empêcher les défenestrations.

En visite à Poitiers dans un Ehpad modèle, la ministre de l'Autonomie a déclaré "C'est impératif pour un couple séparé de pouvoir se toucher". Nous souhaitons qu’elle assiste à un parloir derrière un plexiglas et qu'enfin elle traduise ses paroles en actes. 

Vous évoquez un univers quasi carcéral, l’objectif du gouvernement et des directions n’est-il pas de les protéger avant tout ?

On nous fait parfois reproche d’user du champ lexical carcéral concernant les conditions de détention de nos parents, de parloirs, d’isolement au mitard en cas de sorties, de couloirs de la mort. Car en effet à quoi bon vivre dans l’attente de visites qui ne viennent pas ? On pourrait tout autant avoir recours à la métaphore infernale. Ce ne sont pas les portes du pénitencier -d'où on ressort après avoir purgé sa peine- qui se sont refermées sur eux, mais celles de l’enfer, au fronton duquel on pourrait écrire avec Dante, « Toi qui entres ici, laisse toute espérance ». Et quand on a la chance d’y pénétrer en tant que visiteur c’est The Walking Dead. Dans ce huis clos, l'enfer ce n'est pas les autres, c’est le manque des siens. 

Et cet enfer est pavé de bonnes intentions, en l’occurrence le principe de précaution, illusoire tant il est vrai que n’existe pas le risque 0. Il y aura toujours un variant, un intervenant imprudent. Jusqu'à quand allons-nous laisser nos parents enfermés ? 

Selon vous, le résident en Ehpad n’est-il pas pris seulement comme un objet de soins ?

Le fondateur des Petits frères des pauvres Armand Marquiset demandait "Avons-nous donné des fleurs avant le pain ?". Ce n'est pas seulement de pain que l'homme vit, mais de la présence de ceux qu'il aime. On voudrait arranger des bouquets dans les chambres de nos parents, et ne pas attendre de porter des fleurs sur leur tombe. On n'oubliera pas ce trauma et il nous restera l'incompréhension et la colère. Montaigne dit qu'il ne faut juger de notre heur qu'après notre mort. On peut vous dire d'emblée que la vie de nos parents aura été entachée de la lâcheté de politiques et de l’hubris de directions. Il faut un sursaut.

Un document repère a été remis au ministère de l’Autonomie "pour accompagner le questionnement éthique dans les établissements pour personnes âgées pendant et après la pandémie" par Fabrice Gzil, philosophe de l’Espace éthique Île-de-France, depuis nommé membre du CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique). Qu’en attendez-vous ?

Le Cercle des Proches Aidants en Ehpad a participé à cette étude importante, qui met entre autres en avant l'importance des proches aidants, dans l’intimité, le toucher (avec précautions sanitaires évidemment). Selon la psychiatre Cécile Hanon, "Ces isolements sensoriels sont une bombe à retardement sur le plan psychique : syndrome dépressif, troubles du sommeil et de l’appétit, résurgences traumatiques, accélération des déclins cognitifs". On sait qu’un nourrisson privé d’affection et d’interactions peut se laisser mourir. Le syndrome de glissement bien connu n’est autre que cela. Le personnel apporte évidemment de l’affection, mais pas comme un conjoint ou un enfant.

On entend parfois qu’il faut « couper le cordon » avec nos parents, alors que ce cordon doit être retissé, maintenant que la dépendance enfant-parent est inversée.

Les familles constituent une main d'œuvre gratuite, experte en accompagnement et immédiatement disponible, en renfort de personnels notoirement en sous-effectifs, sous-payés, parfois sous-formés au vu des difficultés de recrutement.

Il ne s’agit pas de se livrer à un ehpad-bashing injuste pour ceux qui les dirigent avec compétence et humanité, ni de diaboliser les personnels, qui sont parfois passés d’un inconfort éthique à un dilemme voire une souffrance éthique. Auparavant ils pouvaient souffrir de voir souffrir les personnes dont ils avaient la charge, maintenant on leur demande de les faire souffrir en rationnant, surveillant et écourtant les parloirs. C’est une vraie perte de sens pour leur mission. Perte de sens pour les professionnels, perte du sens de la vie pour les personnes âgées.

Face aux peurs, il faut du courage et sortir de la défiance mutuelle et de la politique du bouc émissaire.

Là où il y a eu vacance de l’éthique, il faut un surcroît d'éthique. L’Ehpad du XXIème siècle sera éthique ou ne sera pas. Mais ça commence ici et maintenant. Ce doit être possible partout et toujours grâce à l’union des acteurs de bonne volonté de la silver sphère, dont les proches aidants.

  On entend de plus en plus une petite musique selon laquelle on sacrifierait les jeunes pour sauver les vieux, et la ministre de l’Autonomie de s'indigner de "l'âgisme" qui se répand. Comment réagissez-vous ?

Comme l’association des Jeunes Gériatres et celle des directions COD3S, le Cercle des Proches Aidants en Ehpad dénonce la stigmatisation et les discriminations liées à l'âge.

On entend revenir le terme de « mouroir », mais il a du moins le mérite de mettre le doigt là où le bât blesse.

Nombre de familles ont saisi le Défenseur des droits et les espaces éthiques en région développent des cellules de médiation mais il y a urgence à libérer nos parents. Faut-il rappeler avec Keynes qu'"à long terme nous serons tous morts", mais que nos parents le seront tous à court terme ?

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