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L'homme de presse nous a quitté
L'homme de presse nous a quitté
©FRANCK FIFE / AFP

Hommage

Fondateur du premier groupe de presse quotidienne régionale français et actionnaire d'Atlantico, il avait offert à notre rédaction un soutien indéfectible. Portrait d'un homme de caractère au parcours remarquable

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Gérard Lignac est mort et pour tous ceux qui l'ont connu, cette phrase semble irréelle tant il était l'homme d'une force tranquille, d'une détermination sans faille dans les combats qu'il se choisissait et d'une force d'âme qui imposait l'admiration. Un homme porté par la joie au sens le plus fort du mot, noeud papillon et sourire de rigueur, d'une extrême élégance quelles que soient les vicissitudes de la vie.

Son grand œuvre dans le champ professionnel, c'était la presse. Il avait reçu en héritage de sa famille maternelle installée à Nancy une petite partie du capital de l'Est Républicain et après des années d'efforts pendant lesquelles il menait par ailleurs une brillante carrière dans l'industrie, il en était devenu le propriétaire avant de se lancer avec le soutien du Crédit Mutuel dans la construction du premier groupe français de presse quotidienne régionale, couvrant toute la moitié Est de la France, de l'Est républicain aux Dernières nouvelles d'Alsace en passant par le Progrès de Lyon, le Dauphiné Libéré ou le Bien public. 

Mais la presse était bien plus pour lui qu'une ambition ou une industrie, c'était une passion. Il en aimait les hommes (de nos jours on ajouterait "et les femmes" mais il aurait trouvé cela ridicule tant il préférait les véritables combats -y compris bien sûr pour l'égalité- aux gadgets sémantiques), il en aimait les lecteurs, il en aimait les territoires et leurs cultures. Gérard avait une connaissance impressionnante de toutes les spécificités des villes que couvrait son groupe. Du Sud-ouest aussi dont sa famille paternelle était originaire et où il avait passé ses années de lycée à Pau pendant la guerre. 

Des heures que nous avons passées ensemble depuis qu'il était devenu l'actionnaire de référence d'atlantico, un an après le lancement du site, me reviennent mille et unes anecdotes qu'il me racontait de ses années de conquête. Et qui toujours exprimaient une vérité ou une connaissance intime de la France, des Français et des caractères humains. 

La liberté de la presse était pour lui une valeur qui dépassait toute autre considération dans la gestion de ses activités. Et pour tant d'autres qui voient les médias comme outils d'influence au service de leurs intérêts ou de leur image, lui voyait toujours le service des lecteurs et de la vérité. Non pas qu'il ait été pétri de certitudes et de vanité, souhaitant à tout prix imposer sa vision des choses. Il n'était certainement pas homme à pontifier ni sermonner et même s'il ne s'y appesantissait jamais, il était clair que les jérémiades et la paresse intellectuelle du monde contemporain l'agacaient. Ce qui l'intéressait lui, c'était le travail de fond et le décryptage des enjeux réels du monde contemporain au-delà des effets de mode médiatiques ou des facilités idéologiques qui enferment la réalité dans des grilles de lecture rassurantes mais qui empêchent de l'appréhender beaucoup plus qu'elles ne l'éclairent.

Lui qui avait consacré toute la première partie de sa vie professionnelle à l'industrie était ainsi effaré depuis 20 bonnes années de l'aveuglement de nos sociétés face à l'impact de la concurrence de la Chine. Il avait tenté d'alerter sur les risques que représentait cette concurrence déloyale et se désolait de voir se réaliser les effets de ses prédictions. Loin de s'opposer vainement à la mondialisation ou à la marche du monde, il fallait pour lui la réussir, en renégocier la donne pour atteindre une concurrence juste. Fervent défenseur de l'entreprise, à ses yeux le capitalisme et l'entreprenariat n'avaient pas grand chose à voir avec leurs versions financiarisées et de plus en plus étrangères aux défis humains des sociétés occidentales. 

Diplômé de Sciences Po et de Harvard, passionné de grec ancien et de théologie, il avait d'ailleurs financé Polis, une maison pour l'enseignement du grec ancien à Jérusalem. Gérard Lignac travaillait ces dernières années inlassablement à une traduction de certains passages des évangiles dont il considérait que le passage du grec au latin avait appauvri le sens originel. 

Car Gérard était aussi un homme de foi. L'une de ses lectures favorites était Saint-Paul et il aimait notamment cette phrase de la première épître aux Corinthiens qui définissait si bien la grâce reçue du ciel et qui le rendait heureux : "Car qu'est-ce qui te distingue ? Qu'as-tu que tu n'aies reçu et si tu l'as reçu, pourquoi t'en vanter comme si tu ne l'avais pas reçu ?". Dans cette phrase s'expriment aussi l'humilité, l'attention et l'ouverture aux autres qui étaient les siennes là où son caractère de conquérant aurait pu si facilement l'amener à se positionner en autorité morale. 

Bien souvent, l'âge amène une forme de rétrécissement de la vie, physique et mentale. Pas pour lui. A près de 90 ans, sa curiosité insatiable pour le monde était intacte. Je me souviens de lui me disant "vous savez, Jean-Sébastien, Nicole [son épouse, NDLR] et moi n'avons que des amis beaucoup plus jeunes que nous, les vieillards m'assomment avec leurs petits égoïsmes et leur nostalgie d'âges passés". Grand sportif et nageur émérite, il mettait un point d'honneur à poursuivre l'exercice physique par tous les temps. 

Quels qu'aient pu être les mauvais procès en partialité dressés à Atlantico à ses débuts, son indéfectible soutien nous a permis de nous imposer comme une voix dont la liberté était absolument non négociable à ses yeux, quel que soit le prix que cette indépendance amène parfois à payer. De cela, nous lui exprimons toute notre gratitude et je conserverai toujours l'objectif qu'Atlantico demeure fidèle à son précieux héritage. 

Gerard Lignac était un homme droit et par dessus tout, un homme  absolument libre. L'avoir connu était une chance incroyable et l'une de ces rencontres rares qui marquent à jamais. Merci Gérard. 

À son épouse Nicole et à ses proches, toute Ia rédaction et moi-même présentons nos condoléances les plus émues. 

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