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Emmanuel Macron semble incapable de laisser à la Première ministre Elisabeth Borne la marge de manœuvre politique qui lui revient.
Emmanuel Macron semble incapable de laisser à la Première ministre Elisabeth Borne la marge de manœuvre politique qui lui revient.
©Christophe PETIT TESSON / POOL / AFP

Majorité relative

Alors qu’Elisabeth Borne doit prononcer son discours de politique générale, le président de la République semble incapable de lui laisser la marge de manœuvre politique qui lui revient aussi bien aux termes de la Constitution qu’au regard du contexte politique inédit de cette majorité relative.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Alors qu’Elisabeth Borne doit prononcer son discours de politique générale, le président de la République semble incapable de lui laisser une marge de manœuvre politique. Dans ce contexte, le président de la République devrait-il se placer en chef du Parlement ? Le président est-il en train de confondre ses missions ?

Jean Petaux : Dans l’histoire politique de la Cinquième république je ne suis pas certain que l’on puisse trouver beaucoup de cas où un « président de la République ait non seulement été capable d’accorder mais ait aussi souhaité laisser une marge de manœuvre politique à son premier ministre ». Je reprends vos propres termes. Cet « espace »  offert par le résident de l’Elysée au locataire de Matignon, il a toujours fallu que ce dernier se le conquiert pour en disposer. Jacques Chaban-Delmas a voulu le faire dès son discours de politique générale le 16 septembre 1969, avec son « programme » intitulé « La Nouvelle Société ». De ce moment-là, ses jours étaient comptés à Matignon. Le CDD fut révoqué au bout de 3 ans et 15 jours. Bail pratiquement et étonnamment identique pour Rocard, dans une configuration comparable à celle du maire de Bordeaux à Matignon qui resta premier ministre tout juste 10 jours de moins que Chaban : 3 ans et 5 jours, entre 1988  et 1991… Chaban détesté par Pompidou qui le prenait pour un sauteur et un fainéant ; Rocard, détesté par Mitterrand qui le prenait pour un rival et un invertébré politique : ces deux premiers ministres tentèrent d’exister par eux-mêmes.  Ce fut leur faute aux yeux des présidents qui les avaient nommés. Sous la Cinquième république, hors cohabitation, quand on est vizir on ne cherche pas à se prendre pour le calife républicain, ce ne sont pas de choses qui se font…   Le mode de légitimité du PR (Président de la République) est tellement plus puissant que celui du PM (Premier ministre) que, même en période de cohabitation où à trois reprises (soit un total de 9 ans sur 64 ans de régime) le PM, disposant pourtant du soutien de la nouvelle majorité parlementaire, avait dû encore laisser une part de son pouvoir au chef de l’Etat sur son fameux « domaine réservé » : politique étrangère, défense et protection des institutions (dernière attribution qui ne veut rien dire de précis mais permet de « la ramener » sur tous les sujets). On se souvient de cette sortie cinglante de François Mitterrand lors d’une conférence de presse à l’occasion d’un sommet international où « son » premier ministre Jacques Chirac était présent à ses côtés sur scène pour répondre aux questions des journalistes et où Mitterrand avait dit, en direct, qu’il n’était pas question que deux voix s’expriment au nom de la France sur des questions de politiques étrangères, qu’en conséquence une seule personne allait répondre aux questions des journalistes : lui…. Et Chirac, tout premier ministre issu de la victoire de la droite et du centre aux législatives contre le parti du Président qu’il fût, de se fendre d’un sourire de circonstance, piquer alors le nez sur ses papiers et se taire… Nous étions en 1986…

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Il reste qu’en effet Elisabeth Borne n’a pas de poids politique. « C’est même à cela qu’on la reconnait » dirait Audiard. Or s’il est une chose qui peut croître et augmenter c’est bien « le poids politique » que tout un chacun serait bien en peine de définir d’ailleurs. Autrement dit Elisabeth Borne n’a peut-être aujourd’hui aucune capacité d’influence sur les « jeux politiques », sur le « jeu parlementaire » et sur le « jeu du pouvoir » tout court ; mais rien ne dit que sa marge de manœuvre n’évolue pas avec le temps. Qui aurait dit que Georges Pompidou nommé en mai 1962 à Matignon sans le moindre mandat électif, deviendrait la « bête politique » qu’il fut quelques mois plus tard. Nommé  à la succession de Michel Debré qui, lui, avait un « gros background » politique acquis à la Libération et sous la Quatrième république, sans parler de son influence entre 1958 et le début de l’année 1962, Pompidou fut vite un premier ministre « madré » et « subtile » qui détient encore le record de longévité à Matignon (6 ans, 2 mois et 26 jours). Qui aurait dit que Raymond Barre, successeur en août 1976, du « cheval fou et fougueux » qu’était alors Jacques Chirac, politique s’il en fut, entre 1974 et 1976, deviendrait lui aussi un vrai homme politique alors qu’il était un très honorable et très « classique » professeur d’économie à Sciences Po Paris, ancien commissaire européen et tout récent ministre du Commerce extérieur dans le gouvernement Chirac précédent. Sans aucun mandat électif. Il se fit tellement à la politique qu’il est  encore  le 4ème premier ministre en terme de longévité à Matignon (4 ans, 8 mois et 26 jours), après Pompidou ; Jospin (c’était un des trois cas de cohabitation, 5 ans)  et Fillon (5 ans lui aussi mais le président Nicolas Sarkozy l’avait carrément traité en public de « collaborateur »). Donc Madame Borne peut se révéler à elle-même voire à ses opposants. Elle devra surtout se révéler à ses éventuels soutiens pour compléter sa majorité relative et la transmuter, telle une rusée alchimiste, en « or parlementaire » qui fait les majorités absolues. Autrement dit il lui faudra les séduire. Ce n’est pas forcément gagné. Mais enfin, s’il avait toujours fallu espérer pour entreprendre, il y aurait eu bien peu de créations d’entreprises depuis que le capitalisme existe…

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Il n’en demeure pas moins qu’Emmanuel Macron, fort d’une légitimité renouvelée à l’élection présidentielle (il faut arrêter de dire qu’il a été mal élu, ou élu par un « Front républicain » qui ferait qu’il serait en réalité minoritaire tout étant réélu) entend bien montrer qu’il est le « leader de la majorité ». C’est là qu’il livre une interprétation de son rôle politique qui, à défaut d’être funeste, se révèle être à contre-emploi et sans intérêt pour lui-même. Compte tenu de la configuration parlementaire et de l’absence de majorité absolue et stable pour la coalition de la majorité présidentielle, donc pour la cheffe du gouvernement qu’il a nommée et qui appartient à cette majorité, le Président aurait tout intérêt à prendre de la hauteur pour « présider » et laisser sa première ministre faire ce qu’elle à faire, autrement dit « gouverner ». Il se peut qu’il se dise que, dans les premiers temps de cette mandature, qu’il doit être « devant » et elle « derrière ». Lui à « prendre le vent » et elle, « accrochée à sa roue arrière ». Ou lui, montrant le cap, pendant qu’elle est en formation, comme une élève-pilote d’avion avant qu’elle ne soit « lâchée en solo ». Comme le temps se prête à la métaphore de la « petite reine », tout le monde est à même de voir comment fonctionne une équipe dont le leader porte la « tunique jaune » : ce n’est pas lui qui « roule devant », ce sont ce que l’on appelle « les capitaines de route » et les « porteurs d’eau » qui mettent à l’abri des rafales et des coups tordus qui jaillissent du peloton, le « maillot jaune » ou celui qui cherche à le conquérir. Emmanuel Macron, « maillot jaune » (après avoir rencontré les pires ennuis avec les « gilets » de la même couleur…) ferait bien de laisser sa « capitaine Borne » s’exposer et prendre des coups. S’il ne le fait pas c’est qu’il souhaite qu’elle dure au moins une année, car on a bien compris qu’elle sera « protégée » le temps de battre la « longévité matignonesque » de sa seule et unique prédécesseur, Edith Cresson : 10 mois et 18 jours. Cela laisse à Elisabeth Borne un « temps de stage » finalement assez long pour apprendre le métier… et quitter son statut d’ « intérimaire rue de Varenne » pour devenir « titulaire à Matignon », sans changer d’adresse mais avec une modification de son « contrat d’embauche ». Alors, peut-être, qu’à ce moment-là le président Macron, à qui il ne restera plus que quatre ans à passer à l’Elysée, quoi qu’il advienne, se retirera-t-il sur son Aventin élyséen… A défaut de se « retirer à « Colombey »… ou plus exactement au Touquet.

Au regard du contexte politique inédit sous cette mandature, Emmanuel Macron agit-il comme un président de semi-cohabitation ou ne modifie-t-il rien à sa politique ? Cette nouvelle situation n’a-t-elle rien changé ?

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Jean Petaux : Le Président Macron n’a certainement pas pris son parti de la situation politique héritée des législatives de juin 2022. Pour « la façade et la galerie » il la constate à regret et en « prend acte » (ce qui ne veut pas dire qu’il l’admet pour toujours). Il exprime ce constat d’ailleurs, avec un « gadget communicationnel » d’un nouveau genre, celui qui consiste à faire une déclaration en conseil des ministres devant une caméra et de la montrer ensuite aux Français sous forme d’une « vidéo en ligne » sur le site internet de la Présidence de la République, dérogeant pour la première fois à l’absolue confidentialité des réunions du Conseil où même les prises de notes des ministres sont théoriquement interdites et les smartphones remis à l’entrée du Salon Murat. Cet acte, sans aucun intérêt politique, sacrifie au modernisme de la forme et la République n’y a rien gagné. En réalité il y a fort à parier que le président attende la première situation de blocage qui va se présenter pour actionner l’article 12 de la Constitution qui est aux députés ce qu’est le bouton sur lequel appuie le DDO (le Directeur des opérations) pour le départ d’Ariane 5 à Kourou : celui de la mise à feu. Sauf que pour Ariane c’est une libération vers l’espace alors que pour l’Assemblée nationale c’est une dissolution, avec, souvent un « aller simple » vers la circonscription.

L’idée selon laquelle le président Macron agirait comme s’il était dans une semi-cohabitation est séduisante. Sauf qu’on ne « semi-cohabite » pas dans la réalité. Ou alors c’est que l’on a deux « pieds-à-terre » et que l’on peut en avoir un où l’on partage l’appartement, et les pouvoirs qui vont avec, et un autre où on pourrait être « son petit Jupiter » à soi tout seul. Mais cela ne fonctionne pas ainsi, pas plus dans les institutions de la Cinquième république que dans la vraie vie. Il n’y a pas d’un côté un pouvoir exécutif qui peut tout faire, présider et gouverner chez lui sans cohabiter avec quiconque, et, de l’autre, un pouvoir législatif, empêtré et paralysé faute de majorité pour faire voter les textes de loi. Si l’exécutif ne négocie pas avec la législatif, donc si la cheffe de gouvernement dont c’est la fonction (car c’est elle qui est chargée, au jour le jour, des relations avec les 577 députés) ne peut faire passer sa majorité de 250 voix à 289 pour faire adopter ses projets de loi ou, à tout le moins faire qu’avec le jeu des abstentions et des « ne prend pas part au vote » (NPPV) ceux-ci franchissent les fourches caudines des oppositions galvanisées par leur pouvoir de blocage à peine inauguré…, alors le système est bel et bien bloqué. Seul le président peut sortir la France de cette situation en choisissant de dissoudre l’Assemblée. Autrement dit, c’est d’ailleurs l’esprit des institutions : demander aux Français de résoudre, par leurs suffrages, le problème.  Sans garantie aucune que la nouvelle majorité soit très différente de la sortante…

Avec 21 femmes dont 9 secrétaires d’État, le nouveau gouvernement est paritaire mais peu égalitaire. Les choix féminins d’Emmanuel Macron sont-ils des seconds couteaux uniquement présents dans l’équipe gouvernementale à des fins de communication ? Quel rapport entretient le président sur cette question ?

Jean Petaux : Nous savons bien, en politique, que les symboles sont essentiels. Mais pour le coup celui de la « parité genrée » au niveau des portefeuilles ministériels, est vraiment un « attrape-nigauds ». Vous avez raison de pointer le fait que l’équilibre se fait par le décompte des secrétaires d’Etat qui ne sont, bien souvent, que des « ministres de la parole »… et non de l’action, sans moyens, sans administration, sans bras armés en sommes.

Bien plus importante est la toute récente enquête de France Inter qui indique que sur 42 cabinets ministériels, seuls 3 ont à leur tête une « directrice ». Or ce qui compte souvent dans un ministère, le grand public l’ignore totalement, ce n’est pas la ministre mais son directeur de cabinet. Non pas parce que c’est un homme (en l’occurrence avec 39 dir’ cab’ c’est le plus probable) mais parce que c’est le « ministre-bis ». Celui qui dirige non seulement le cabinet mais aussi le ministère. C’est lui qui a autorité (théoriquement) sur les directeurs (il y a peu de directrices) d’administration centrale. Cette fonction de « directeur de cabinet » est peu connue dans son périmètre exact. J’ai le souvenir d’universitaires, à la tête de leurs établissements d’enseignement supérieur, qui ne faisaient pas la différence entre les fonctions du « dir’ cab’ » et celles du « chef de cab’ » auprès d’un ministre. Le premier est le « co-adjuteur » du ministre, le second gère l’agenda et les déplacements… et l’attribution des décorations. C’est sans doute pour cela que ces universitaires pensaient que la fonction de chef de cabinet était essentielle et si importante… pour régler leur dossier (de l’ordre national du mérite).

Je crois que le Président Macron est très soucieux de maintenir une parité entre les hommes et les femmes. Et en tous les cas qu’une personne très proche de lui, son épouse, y veille pour deux. Et heureusement d’ailleurs. Mais on voit bien que cela ne suffit pas.  Je crois plus à la volonté, en l’espèce de la première ministre. Elle a, d’emblée, posé les premiers pas de sa présence à Matignon, après sa prise de fonction initiale, sous le « signe (et le « marrainage » des petites filles » qui seront grandes dans quelques années. Cela montre une vraie préoccupation de sa part et s’il fallait avancer en la matière ce serait vraiment en veillant à ce que les postes à la tête des directions d’administration centrales, des organismes opérateurs de l’Etat, des autorités administratives indépendantes, des grandes entreprises publiques, des agences nationales, soient féminisés le plus possible, de sorte qu’un jour les hommes, peut-être pourront y être « comptés » comme majoritaires et que cela ne posera pas de problème, tout simplement parce que dans la période précédente ce seront les femmes qui l’auront été largement. Autrement dit : quand le sexe de ces emplois de responsabilité ne sera plus un objet de débat ou une question soulevée, cela voudra dire que les femmes auront vraiment gagné. Tout comme la question du sexe du chef du gouvernement. Dans les pays scandinaves, ce n’est plus un débat : les femmes y partagent le pouvoir avec les hommes.  En France, compte tenu du déséquilibre de l’histoire politique française, ce débat n’est pas terminé. Hélas. 

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