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Emmanuel Macron et ses dangereux oublis sur les enjeux réels de notre économie
©Flickr/wjmarnoch

ToutanMakron

Cette campagne se termine finalement sans que nombreuses questions économiques aient été sérieusement traitées. Et si Macron porte son lot de responsabilité, ses adversaires n'ont pas fait mieux que le nouveau président de la République.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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"Il n’existe que deux sortes de gens, ceux qui acceptent les dogmes et en ont conscience, et ceux qui acceptent les dogmes et n’en ont pas conscience (…) Les arbres n’ont pas de dogmes. Les navets sont extraordinairement larges d’esprit", G.K. Chesterton.

A l’heure où j’écris ces lignes, Emmanuel Macron, le Gaius Baltar de la politique française, un homme seul, sort d’une pyramide en verre, et d’une façon pas du tout mégalo notre nouveau pharaon s’adresse à la foule (et plus encore aux scribes de la presse aux ordres). Toutanmacron est arrivé. Long sera son règne, prospères seront ses ralliés. Le décor est très bien. Toute référence à Mitterrand et à la franc-maconnerie ne serait pas fortuite. Dame Brigitte n’est pas loin non plus, avec sa famille, et on se dit que ce soir Philippe Murray aurait encore eu du pain sur la planche. Alors l’hymne à la joie retentit, à fond la caisse. Le message est clair, du moins pour ceux qui ont fait allemand première langue (un choix payant par les temps monétaires qui courent). Mais il y a là encore un message caché : l’hymne à la joie, c’est aussi, pour les gens de ma génération et de sa génération, la musique qui s’enchenche quand Hans Gruber et ses acolytes parviennent à réaliser le casse du siècle, le casse de la tour Nakatomi, dans Die Hard I ("Une journée en enfer", de John Mc Tiernan). Façon de dire : après avoir cassé un mariage, et après avoir cassé le PS, moi, Macron 1er, qui n’avait jamais rien géré de très sérieux jusqu’ici, j’ai maintenant un accès total au coffre-fort. Il va y avoir de la casse sociale, en attendant Beethoven pour la première fois nous casse les oreilles. 

Toute cette campagne n’a été qu’un concours de beauté, au sens keynésien du terme : un jeu sans fin d’anticipations sur les anticipations, une grande devinette sur les préférences collectives, un poker menteur qui se termine dans le néant conceptuel et le bazar aux législatives. Un télévangéliste anormal succède à un président normal. Une fois de plus, c’est la victoire des phrases creuses et convenues, des bons sentiments, des bons élèves, d’Homo Festivus, de l’ordre monétaire allemand, et du saupoudrage généralisé, avec 6 grandes priorités, 15 axes, 9 chantiers urgents, etc. Abondance d’objectifs donc, mais Toutanmakron, qui ne commettait jamais d’impasses lorsqu’il préparait l’ENA, a juste oublié cette fois de nous présenter un programme, une majorité possible, et des excuses (pour les cinq dernières années). Il dit maintenant qu’il va commencer son règne en s’attaquant à la moralisation de la vie politique : qu’il n’hésite pas par exemple à interdire à un haut fonctionnaire de monnayer son carnet d’adresses pour se faire 6 fois plus d’argent que Penelope en 12 fois moins de temps. 

Mais le grand et puissant Macron n’est pas le seul à avoir commis quelques oublis fâcheux au cours de cette campagne 2017. Du haut de sa pyramide, des années d’amnésie nous contemplent.  

Le Pen a oublié au cours du débat de l’entre-deux-tours que son intérêt stratégique était la crédibilité. Au lieu de signaler à ses détracteurs que la Suisse et la Suède n’ont pas l’euro et s’en portent très bien à tout point de vue, de même que le Danemark, la Pologne et le Royaume-Uni, au lieu de noter que les taux d’intérêt sont très bas dans tous ces pays et l’épargne des ménages pas du tout menacé, Le Pen a battu les records d’agressivité et d’amateurisme jusqu’ici détenus par Ségolène Royal. Avec 34% (un score qu’il lui était possible d’escompter dès le 1er tour il y a encore quelques mois, avant sa campagne ratée et ses débats massacrés), dans une configuration pourtant exceptionnellement favorable (un candidat de droite attaqué de toutes parts, des années d’attentats et de chômage, etc.), même les frontistes les plus butés font peut-être finir par comprendre qu’ils n’y arriveront jamais, que depuis le début tout leur travail ne sert qu’à faire gagner leurs pires ennemis, et à rendre les institutions européennes presque sympathiques (une sacrée performance !). 

Fillon a oublié de se défendre, dans un premier temps (ce qui n’aurait pas été le cas avec Sarkozy). Avant cela, il a oublié de regarder l’évolution des taux d’intérêt (comme Dennis Kessler et quelques autres sur la place de Paris depuis 25 ans), ce qui lui aurait permit de dire un peu moins de bêtises sur l’urgence de la baisse des déficits (la France est très mal gérée et pas du tout gouvernée, soit ; elle n’est pas en faillite). Du coup, son programme aurait été un peu plus équilibré, le gaullisme et le séguinisme un peu moins oubliés. En 1958 on réforme, certes, mais on dévalue, comme sous Poincaré. Supprimer un demi-million de fonctionnaires en gardant la même stratégie BCE, voilà qui pouvait légitimement apparaître comme un peu rude à l’électeur médian, avant même les histoires de Penelope. 

Mélenchon a oublié la modestie, le fair-play, mais aussi un axe intéressant de son discours qui est passé de plus en plus au second plan (au profit des fadaises sur la 6e république dont les Français se moquent et des imbécilités pacifistes anti-OTAN). Il était le seul à dire quelques vérités monétaires (sinon monétaristes) depuis quelques années dans le théâtre de la politique française : le seul à proposer de faire acheter plus de vieilles dettes par la BCE, de transformer ces titres en dettes perpétuelles dans le bilan de la banque centrale. Je n’ai pas bien compris s’il propose ensuite de les y annuler progressivement en échange d’une remise à plat des règles du jeu budgétaires, auquel cas il se rapprocherait d’un auteur assez peu suspect de sympathies mélenchonistes (Gerard Thoris, singé par Wyplosz), ou s’il propose de libérer une bonne fois l’humanité de ce fardeau à la Sisyphe (comme dans l’article 24 du Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, une institution peu suspecte là aussi de dérives mélenchonistes), toujours est-il que notre prudent sénateur n’est pas allé aussi loin que Jésus ou que Milton Friedman, et il paye peut-être aujourd’hui le prix de sa modération excessive. Au fond, ce camarade a toujours été un bourgeois prudent, et c’est ce qui le perdra.     

De l’audace, par contre, Toutanmacron n’en manque pas. Mais est-ce si important ? Pendant que nous avions tous les yeux rivés sur la campagne hexagonale, nous avons oublié de regarder les affaires sérieuses. La BCE continue de gérer le continent, de zombifier les banques (TLTRO), d’agir dans un manque dément de transparence et de repères analytiques, et pour la 6e année de suite la "cible" d’inflation est ratée vers le bas. Échec et mat de la japonisation rampante (ou de la momification vivante si vous préférez) . Dans un autre domaine, et d’une façon beaucoup plus constructive, quelques esprits encore plus mégalos que Macron travaillent à façonner le monde de demain, bien loin de Paris. Elon Musk vient de réussir un nouveau lancement et une nouvelle récupération du 1er étage de son lanceur, une étape cruciale vers Mars. Lui ne propose pas comme axe principal pour les 5 prochaines années la baisse des charges de 2 points compensée par une hausse de 1,7 de CSG (la politique constante de TOUS les gouvernements français depuis 25 ans), lui fait de l’innovation non pas dans des slides mais dans la réalité. Il mérite un hymne à la joie retentissant, tandis que notre campagne 2017 mérite de sombrer dans l’oubli par son provincialisme crasse et ses acteurs de seconde zone qui ont oublié le meilleur de leurs textes.

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