Emmanuel Macron et l’Afrique : un problème pris à l’envers<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors de son discours sur le partenariat avec l'Afrique, le 27 février dernier.
Emmanuel Macron lors de son discours sur le partenariat avec l'Afrique, le 27 février dernier.
©STEFANO RELLANDINI/ POOL / AFP

Tournée africaine

Le projet d’Emmanuel Macron concernant le partenariat d'avenir avec l'Afrique n’est pas de nature à nous permettre de mieux maîtriser nos flux migratoires ni à donner une impulsion forte au développement économique des pays africains.

Claude Sicard

Claude Sicard

Claude Sicard est consultant international et auteur de deux livres sur l'islam, "L'islam au risque de la démocratie" et "Le face à face islam chrétienté-Quel destin pour l'Europe ?".

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Emmanuel  Macron  a décidé d’ouvrir une nouvelle phase dans nos relations avec les pays africains, et avant de se rendre en Afrique il a  prononcé le 27 Février dernier, à Paris, un  important discours pour l’annoncer. Il a donc invité dans les salons de l’Elysée un certain nombre de personnalités françaises et africaines pour les informer de la manière dont la France propose de refonder ses relations avec l’Afrique. Il ne va plus s’agir, a-t-il dit, d’une « relation France-Afrique » mais d’un partenariat « Afrique-France » : et il a expliqué ce en quoi ce partenariat va consister. 

Son discours a été diffusé, évidemment, par visioconférence dans les capitales des pays africains intéressés, et, ce qui est frappant, c’est l’insistanceque notre Président a mise sur le souci de placer nos nouvelles relations dorénavant sur un plan d’égalité. Nous entrons dans une ère nouvelle, et il faut se départir totalement, a-t-il dit, de l’idée que l’Afrique est le pré carré de la France. Il a souligné que nous avons un destin commun, et nous allons donc, a-t-ildit, constituer un  « axe euro-africain » pour bâtir notre avenir. On va passer d’une politique d’aide à une politique qu’il a qualifiée « d’investissement solidaire ». Un très beau projet donc, mais aux allures quelque peu irréalistes : ainsi, par exemple, nos bases militaires en Afrique vont-elles être converties en simples académies où se formeront, demain, les cadres des armées africaines, et nous allons restituer aux pays qui en feront la demande les œuvres d’art dont, au cours de la période coloniale, nous nous sommes accaparées pour garnir nos musées. 

La réalité du terrain est en effet toute autre : après avoir dégagé Bamako de l’emprise des djihadistes, en 2013, l’armée française a été chassée du Mali, et elle l’est, maintenant, du Burkina Faso où des foules en délire ont brûlé des drapeaux français. La France a été une puissance coloniale et son image dans les populations africaines est celle d’un pays qui s’était octroyé le droit exorbitant d’exercer sa domination sur les populations locales ; et on lui fait le procès d’avoir exploité à son profit les ressources naturelles de ces pays. En bref, il est reproché à la France tout ce que toutes ces populations qui ont été victimes de la colonisation ne manquent pas de reprocher aujourd’hui aux pays occidentaux qui dans les siècles passés se sont lancés dans des aventures coloniales. Et aux yeux de ces populations le passif est lourd : on sait combien aujourd’hui les Occidentaux sont discrédités dans ce que l’on a appelé « les pays du Sud », des pays qui ont tous été travaillés dans la seconde moitié du XXe siècle par les thèses marxistes. Il s’est donc installé dans ces pays une haine antioccidentale dont profitent aujourd’hui la Chine et laRussie, ainsi d’ailleurs que la Turquie, des pays qui ont entrepris maintenant de s’implanter en Afrique pour prendre la place des puissances occidentales qui en ont été chassées.

Le discours d’Emmanuel Macron fera peut-être plaisir aux dirigeants africains mais il ne convaincra certainement pas les foules africaines, même si les dirigeants de ces pays prenaient la peined’informer leur peuple du désir de l’ancienne puissance coloniale d’entrermaintenant dans « une nouvelle phase de relations » avec eux. Penser que de simples discours de repentance et qu’une attitude humble vont être de nature à modifier complètement les sentiments d’hostilité qui animent les populations africaines à l’égard des anciens colonisateurs est se bercer d’illusions. Il faut donc avoir les pieds sur terre et en venir à un peu plus de réalisme. Les populations africaines ont leur opinion, à présent, sur ce qu’ont été les anciennes puissances coloniales et les discours de calinothérapie n’y feront rien… Il faut donc être lucide pour voir ce qui est important pour nous et ce qui l’est pour nos amis africains. On cite souvent, dans de telles circonstances, cette petite phrase de de Gaulle : « Les Etats n’ont pas d’amis : ils n’ont que des intérêts ». 

Voyons donc ce dont il s’agit. Depuis la finde la période coloniale l’Europe voit se déverser sur elle des flux migratoires importants. La fécondité des femmes africaines reste extrêmement élevée (4,8 enfants en moyenne dans la période 2015-2020), et les démographes nous annoncent donc que la population de ce continent va doubler d’ici à 2050. Il va s’agir de l’arrivée, dans les prochaines années, d’un peu plus d’un milliard de personnes dans cette partie du monde, et la moitié de cette population aura alors moins de 25 ans.                                                

Afrique : démographie

(millions)

1980……….476

2000…….. 810

2020…… 1.340

2050…….2.400

(Source IMHE, Seattle)

Avec le  rythme de croissance démographique extrêmement élevé qui est le sien  l’Afrique ne  parvient plus à nourrir tous  ses habitants  et les gouvernements de ces pays ne sont pas en mesure de  fournir des emplois à tous leurs ressortissants. L’Afrique  doit donc importer de plus en plus de vivres, et l’on a d’ailleurs craint avec la guerre qui s’est déclenchée en      Ukraine qu’il y ait des  risques de famine en Afrique du fait que ce pays ne serait plus en mesure d’exporter ses céréales. Le président de la  BAD, à l’occasion  du 50e anniversaire de l’Institut international pour l’agriculture tropicale, a déclaré que l’Afrique dépense 35 milliards de dollars par an pour importer des vivres. Pour ce qui est du blé, par exemple, les importations se sont accrues de 68 % entre 2008 et 2018, et on prévoit qu’elles vont augmenter de 27 % d’ci  à 2028. (source Bunge). On a donc affaire d’ un côté à une population africaine  pauvre, qui croit à un rythme effréné, et qui rencontre  sur place de plus en plus de difficultés pour vivre et se nourrir, et, de l’autre, une Europe riche, dont la démographie est vieillissante,  où la population active va en se  réduisant. Le risque de voir les courants migratoires se développer en direction de l’Europe est donc bien une réalité intangible.

Il faut donc, en abordant cette nouvelle phase de nos relations avec l’Afrique, voir ce qui est le plus important, pour chacune des partiesen présence. Pour nous, les Européens, il s’agit avant tout de pouvoir maitriser les flux migratoires qui se déversent sur notre continent, ce que nous ne parvenons pas à faire actuellement : et cela nous parait essentiel pour sauvegarder dans l’avenir la cohésion de nos sociétés. Et, pour nos partenaires africains, leur priorité est de pouvoir satisfaire les besoins de leur population, c'est-à-dire pouvoir trouver sur place des moyens d’existence et se nourrir. La réponse à donner à ces deux préoccupations majeures est la même : accélérer considérablement le développement économique de tous ces pays. Le développement économique des pays africains est donc l’enjeu majeur de ces nouvelles relations entre la France et les pays africains, et il s’agit d’un défi extrêmement difficile à relever compte tenu de la démographie de ces pays et des troubles politiques qui les agitent en permanence. La dimension du problème est telle que deux exigences s’imposentpour les pays européens : en premier, se réunir pour agir ensemble, c'est-à-dire cesser d’avoir chacun, comme c’est le cas actuellement, sa propre politique d’ aide publique au développement (APD) ; et, en second lieu, changer complètement nos modes d’intervention.

La politique actuelle d’Aide Publique au Développement de l’ Europe :

Europe consacre aujourd’hui à l’APD75,2 milliards €, chaque année (chiffre de 2019), et cette aide s’étend à l’ensemble des 79 pays ACP (Afrique,Caraïbes, Pacifique) ; seulement 40 % de cette aide est consacrée auxpays africains, soit 30 milliards € par an. Et il s’agit essentiellementd’aides bilatérales, chaque pays agissant pour son compte, ce qui faitque les actions sont menées dans le plus grand désordre. L’Europe, avec le FED qui est l’instrumentd’interventionde l’UE, dispose aussi d’un budget, mais il est très restreint : 30,5 milliards €pour la période 2014-2020.

Les modes d’intervention actuels sont totalement inefficaces,et ilva donc falloiren changer en s’inspirant, notamment,de la façon d’opérer des Chinois en Afrique. Ceux-ci interviennent par des actions directes qui vont à l’essentiel, des actions donc qui ont un impactimmédiat sur le développement économique des pays : ils réalisent eux mêmes les grands travaux d’infrastructures, et ils créentdes zones d’activité où s’installent de nouvelles entreprises industrielles, généralement chinoisesd’ailleurs. En échange, ils obtiennent quelques avantages, évidemment, qui consistent en l’autorisation d’exploiter des ressources naturelle à leur profit. Le FMI dit de l’aide chinoise qu’elle « impacte positivement la croissance des pays africains », ce qui n’est pas le cas des aides occidentales.

Pour ce qui est de la France, il s’agit d’un budget annuel de 12,4 milliards d’euros, se répartissant en une aide bilatérale de 8,0 milliards et une aide multilatérale de 4,4 milliards (Source CAD, OCDE). Cette aide s’articule en 24 programmes différents administrés par plusieurs ministères ainsi que par les collectivités territoriales, où l’on trouve 5 secteurs qualifiés de « prioritaires » : santé,éducation, égalité hommes/femmes, climat-environnement, et « fragilités ». C’est dire combien l’aide que nous apportonsaux pays africains est peu efficace en matière de développement économique. Et notre aide ainsi que celle de l’Unioneuropéenne se situe à des montants très inférieurs aux engagements pris en 1960par l ’ensemble des pays de l’OCDE devant la communauté internationale : il s’agit de 0,39 % du RNB, pour ce qui est de l’aide européenne, et de 0,52 % du RNB pour ce qui est de la France, ceci au lieu de 0,7 % qui serait la règle.

Pour un vaste plan d’aide à l’ Afrique, au niveaueuropéen :

Il va donc s’agir, dorénavant, de se placer au niveau de cette entité politique qu’est l’Union Européenne, la dimension des problèmes à traiter dépassantles moyens pouvant être mobilisés au niveau de chaque pays européen pris isolément. On n’en est plus aux miasmes de la Françafrique. S’agissant d’accélérer considérablement le développement économique de ces jeunes nations il faudra focaliser les actions sur les éléments qui leur permettront de se développer économiquement le plus vite possible, car il y a urgence. Et, autre élément de ce plan : il va falloir obtenir de ces pays qu’ils acceptent de rapatrier chez euxtous leurs ressortissants que nos pays ne sont pas en mesure d’accueillir, en Europe : c’est la seule contrepartie qui serait exigée. Les Chinois sont plus exigeants : ils demandent des concessions d’exploitation des richesses naturelles: ressources minières, pétrolières, agricoles, forestières, etc…..Nous nous bornerons à ce que les pays aidés acceptent de réinstaller chez eux leurs ressortissants et à ce qu’ils s’ouvrent aux investissements étrangers.

Evidemment, l’effort financier va devoir être très important : il va s’agir de prévoir un budget de l’ordre de 100 milliards d’euros chaque année. C’est un effort financier se rapprochant du montant exigé par la Comité d’Aide de l’OCDE (CAD) selon les engagements pris en 1960 par les pays de l’OCDE, le fameux 0,7 % du RNB (Revenu Brut National). Et il faudra que ce montant d’aide se trouve intégralement consacré aux pays africains et non plus dispersé, comme c’est le cas actuellement, au plan mondial : ainsi l’aide de l’Europe à l’Afrique se trouverait multipliée par trois. Et, autre disposition à prendre : concentrer tous les moyens financiers dans les mains de la Commission Européenne de façon à ce que les pays africains n’aient qu’un seul interlocuteur : plus d’interventions désordonnées, donc, de tous ces pays qui pratiquent des aides bilatérales. Cela sera essentiel pour agir efficacement et pouvoir être en mesure de mener avec les pays bénéficiaires les négociations permettant de résoudre les problèmes de réinstallation chez eux des migrants récalcitrants, un problème actuellement insoluble, comme on le sait, pour les pays européens.

Cette aide publique serait consacrée aux trois objectifs suivants, et seulement à ces trois là :

1-La réalisation des infrastructures dont l’Afrique a un urgent besoin ;

2-L’alimentation d’un fondsd’assurance des investissements privés contre les risques non commerciaux, un fonds à créer au niveau européen, à l’exemple de la MIGA existant àWashington auprès de la BIRD ;

3-La réinstallation des migrants dans leur pays d’origine.

Trois axes d’action, uniquement, de manière à aller à l’essentiel.

Pour ce qui est des infrastructures, il faudra agir à la manière des Chinois, c'est-à-dire en adoptant, en accord avec les pays concernés, des procédurespermettant d’agir directement avec nos entreprises de travaux publics.

Pour ce qui est de la mobilisation des entreprises européennes, pour qu’elles s’orientent vers l’Afrique, ce qui n’est pas le cas actuellement, il faudra  créer un fonds de garantie au niveau européen pour assurer nos entreprises  contre les risques  politiques existant en Afrique, à l’image de celui qui existe à Washington auprès de la Banque Mondiale, la MIGA. L’Europe, qui gérera l’ensemble des aides à l’Afrique, aura ainsi le poids voulu pour négocier avec les pays qui pourraient être tentés de spolier nos  entreprises. Les  pays africains, de leur coté, devront s’ouvrir plus largement aux investissements étrangers privés, et cette condition est essentielle : il faut, en effet, être conscient du fait que l’implication des entreprises des pays développés dans le processus de développement de pays en voie de développement est fondamentale. Les entreprises étrangères, en effet, qui investissent sur place sont des acteurs incontournables : elles constituent le moteur de la croissance dans ces jeunes pays, ce que l’on oublie trop souvent. Actuellement, les IDE (Investissements Directs Etrangers) s’élèvent à quelque 800 milliards de US$ chaque année, dans le monde : 500 milliards s’orientent vers les pays asiatiques, et seulement 60 milliards vont dans les pays africains (et il s’agit essentiellement d’investissements pétroliers). Les investissements  étrangers permettent aux pays bénéficiaires d’accéder aux  technologies qu’ils n’ont pas, de former leur main d’œuvre, et d’exporter : les firmes étrangères, en effet, sont essentielles pour alimenter les exportations, car des entrepreneurs locaux sont  incapables de pénétrer sur les marchés des pays développés. Il faut avoir conscience que tout pays qui se développe accroît à vive allure ses importations et il est donc vital,  pour lui, qu’il puisse développer ses exportations au même rythme afin de gagner les devises dont il a besoin pour payer ses importations. Des développements autarciques conduisent toujours à l’échec.

Troisième volet : l’aide à la réinstallation dans leur pays d’origine de tous les migrants que l’Europe ne sera pas en mesure d’accueillir : et, là, les modalités d’intervention de l’Europe seront à mettre au point avec chaque pays intéressé.

Emmanuel Macron, compte tenu de son tropisme européen, pourrait être l’artisan de ce vaste plan d’ « Alliance nouvelle » de l’Union Européenne avec l’ensemble des pays africains, un plan orienté avant tout vers l’action. Puisse donc l’annonce faite par notre Président, de l’ouverture de cette nouvelle phase dans les relation avec l’Afrique, déboucher sur le lancement d’un plan d’aide à l’ Afrique de l’importance de celui que nous venons d’esquisser, un plan qui s’écarte totalement des manières d’opérer qui ont été celles, jusqu’ici, des pays européens. L’Europe retrouverait ainsi la maitrise de ses flux migratoires et il s’ouvrirait pour les entreprises européennes de vastes marchés en Afrique, un continent qui représentera demain plus de deux milliards d’habitants. Le coût supplémentaire pour l’Europe serait faible ; environ 30 milliards d’euros par an, seulement ( la différence entre les montants à engager annuellement et le coût actuel de l’APD européenne).

Le projet d’Emmanuel Macron, tel qu’il l’a exposé dans sa conférence du 27 Février dernier, ne correspond nullement aux besoins des parties en présence : il n’est pas de nature à nous permettre de mieux maitriser nos flux migratoires ni à donner une impulsion forte au développement économique des pays africains. Donc, un coup d’épée dans l’eau, vu que le problème est pris à l’envers.

Les pays africains ont des besoins vitaux à régler, et, de notre côté, nous avons à nous préserver de flux migratoires de plus en plus importants qui constituent une menace  pour l’avenir de nos sociétés, et pour notre civilisation. L’Europe doit se hisser à la hauteur des défis qui sont à relever, et faire mieux que de déléguer contre rémunération à la Turquie le soin de bloquer des migrants sur son territoire et de renforcer les effectifs de Frontex. Il est donc urgent que la Commission européenne s’empare du problème de nos relations  avec l’Afrique et que se mette en place un plan d’action du type de celui que nous avons esquissé, ici. Le temps presse, et il est urgent que l’Europe se mette en action.

Claude Sicard, économiste, consultant international

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