Emmanuel Macron, candidat « de l’audace » et « de l’avenir ». Mais surtout sans prise de risque <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron a officialisé sa candidature à l'élection présidentielle de 2022 dans une "Lettre aux Français" publiée dans la presse quotidienne régionale.
Emmanuel Macron a officialisé sa candidature à l'élection présidentielle de 2022 dans une "Lettre aux Français" publiée dans la presse quotidienne régionale.
©Christope Petit Tesson / POOL / AFP

Attrape-tout de la nation

Emmanuel Macron a officialisé sa candidature à l'élection présidentielle de 2022 en publiant une "Lettre aux Français" dans la presse quotidienne régionale. Le chef de l’Etat dévoile une partie de son projet et explique pourquoi il se présente à sa réélection.

Pierre-Emmanuel Guigo

Pierre-Emmanuel Guigo

Pierre-Emmanuel Guigo est maître de conférence en histoire à l'université Paris-Est Créteil , auteur de "Com et politique : les liaisons dangereuses".

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : Emmanuel Macron s'est finalement déclaré candidat à sa réélection. Sa lettre aux Français parue dans la presse utilise des formules souvent vagues. Quel projet présidentiel peut-on deviner, ou non, derrière les mots du président ?

Pierre-Emmanuel Guigo : Sa lettre est assez vague et sommaire car le contexte est tel qu’il ne pouvait pas se permettre un lancement de campagne plus flamboyant.

Il doit à tout prix montrer qu’il continue son travail et qu’il n’a pas une minute à consacrer à la campagne.

En plus de cela, sa déclaration n’avait rien d’une surprise, en l’exprimant ainsi sobrement c’était un moyen de banaliser cette déclaration. 

Maxime Tandonnet : Cette lettre ne se présente pas vraiment comme un projet présidentiel. Elle expédie le bilan en quelques lignes dominées par l’autosatisfaction. Sur l’avenir, elle comporte des déclarations d’intention plutôt banales que l’on pourrait retrouver dans n’importe quelle candidature : égalité des chances, environnement, forces de sécurité. Il y est question d’audace et de l’avenir de nos enfants et petits-enfants. Le ton est aux bons sentiments plutôt qu’à l’emphase. Le président Macron n’abuse plus de formules grandiloquentes. Il n’annonce pas de nouvelle « transformation de la France », d’exemplarité, de renouvellement ou de « nouveau monde ». Bref, il lui est difficile de refaire 2017 car il s’exposerait au reproche de reproduire les promesses qu’il n’a pas tenues. Plus curieusement le texte effleure à peine les grands sujets de préoccupation des Français : pouvoir d’achat, immigration, sécurité, chômage… Il donne ainsi le sentiment que le chef de l’Etat ne souhaite pas aborder des sujets qui le conduiraient à devoir s’expliquer sur un bilan. Il écarte par ailleurs tout engagement ferme, par exemple sur la fiscalité, la réforme des retraites ou la lutte contre les déficits. Cette lettre donne ainsi le sentiment que le président Macron entend se maintenir sur son piédestal de « chef de guerre » – qu’il n’a pas quitté depuis deux ans.

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Sa lettre de candidature semble relativement lisse, Emmanuel Macron parle "d'audace" et "d'avenir". Y-a-t-il pour autant une quelconque prise de risque dans sa lettre ?

Pierre-Emmanuel Guigo : La lettre est effectivement lisse. C’est un bilan et une esquisse de programme minimaliste. A l’image de ce qu’était la lettre à tous les Français de François Mitterrand qui a servi de modèle à celle-ci (1988). En effet François Mitterrand est le seul président de la Vème république à avoir été réélu face à un candidat capable de gagner (contrairement à Jacques Chirac en 2002).

La lettre est lisse car elle cherche à ne heurter personne à un mois du scrutin. Elle a même des allures de mea culpa, lorsque le chef de l’Etat explique qu’il aurait pris certaines décisions autrement désormais. Il souhaite montrer l’image d’un président plus humble que l’image renvoyée au début du quinquennat et qui avait contribué à la crise des gilets jaunes.

Aucune prise de risque donc dans cette lettre. 

Maxime Tandonnet : Pas vraiment. Du flou de cette lettre et de sa brièveté se dégage une impression étrange. Le président ne semble toujours pas décidé à entrer dans une campagne électorale qui ne serait pas de son niveau. Tout se passe comme si cette campagne l’ennuyait ou comme si elle se présentait comme une simple formalité à ses yeux. Sa réélection serait tellement évidente, certaine et acquise qu’il n’aurait pas trop de temps à perdre ni à se justifier sur le bilan du quinquennat ni à s’expliquer sur ses intentions. Accaparé par les grands dossiers de ce monde en particulier la guerre en Ukraine, il se situerait au-dessus de la mêlée. De fait, on est dans la logique de l’homme providentiel, du guide et du protecteur de la nation. Le projet n’a guère d’importance. Il viendra peut-être, mais plus tard, un jour… A ce stade, les Français ne sont pas appelés à se prononcer sur un projet, ni même une ligne politique. Ils sont invités à renouveler leur confiance ou leur allégeance à un homme. Telle est la posture.

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Dans quelle mesure cherche-t-il à renouer avec une logique "attrape-tout" ? Y-a-t-il des points éventuellement clivants ou marqueurs d'une vision politique ?

Pierre-Emmanuel Guigo : Il renoue en effet ici avec la logique attrape-tout de 2017, là où les autres candidats cherchent à polariser à l’extrême (Zemmour, Melenchon, Le Pen). Un peu de social en parlant des handicapés, des personnes en difficultés et un peu pour la droite : baisse d’impôt, sécurité.

Les autres partis de gouvernement étant encore groggy, cette stratégie a toutes les chances de produire son effet.

Il peut ainsi apparaître comme le président rassembleur, sage face aux extrémistes. Qui évoque l’histoire du pays, la fierté nationale.

Maxime Tandonnet : La lettre donne le sentiment de marquer une rupture avec les thèmes de gauche classique. Elle ne s’appesantit pas sur les notions de solidarité, d’aide aux plus démunis, de lutte contre la pauvreté, ni même de politique de logement ou sanitaire ou de renouveau des services publics. Ce choix est probablement motivé par le contexte politique et l’anticipation d’un second tour face à Marine le Pen. M. Macron sait que dans cette hypothèse, il pourra compter quoi qu’il arrive sur le soutien de la gauche. C’est à droite qu’il a donc besoin de séduire pour s’assurer d’une victoire la plus large possible. L’idéologie qui s’en dégage relève ainsi d’un vague libéralisme de centre-droit (baisser les impôts) mâtiné de considérations environnementales ou sur la défense de la diversité des terroirs.Dans l’appel à « travailler davantage » perce la sempiternelle arrogance envers les « fainéants ». Mais ce qui est révélateur c’est l’absence du mot Etat dans sa lettre (sauf erreur). Un chef de l’Etat est en principe avant tout le garant de l’autorité de l’Etat, du fonctionnement des services publics et de la démocratie. Il a la charge de l’intérêt général. Or ces notions semblent échapper à la vision du président Macron. Il est dans une logique de personnalisation extrême de la chose publique. Autrement dit, la chose publique se confond avec sa personne, son charisme et son rayonnement personnel qui prévalent sur les institutions.

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Maxime Tandonnet : Au premier degré, cette déclaration se présente comme une réponse aux candidats de droite considérés comme réactionnaires ou conservateurs. Elle signifie qu’il faut se tourner vers l’avenir et non regretter le passé ou la France d’hier – avant de devenir une nation multiculturelle. C’est une manière feutrée de revenir au mythe fondateur du macronisme comme porte-parole de la modernité contre le populisme. Elle anticipe sur le deuxième tour contre Madame le Pen, mais en des termes apaisés qui conviennent à sa nouvelle image du sage au-dessus de la mêlée. Cette déclaration est par ailleurs assez emblématique de la vision du monde d’Emmanuel Macron qui s’est exprimée à plusieurs reprises pendant son quinquennat : il n’y a pas de culture française ou il faut déconstruire l’histoire de France. On y retrouve, de manière très prudente ou voilée – pour des considérations électorales bien évidentes – l’influence de la mode wokiste : du passé et de notre civilisation, de nos racines faisons table rase, pour engendrer un homme nouveau libéré de tout déterminisme.

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