Subalterne
Emmanuel Dubois de Prisque : "Notre dépendance au marché chinois risque d’en générer une autre beaucoup plus grave, géopolitique voire civilisationnelle"
La forme que prendre l’hégémonie chinoise, si la Chine parvient un jour à cette position hégémonique, sera certainement très différente de la forme prise par la domination américaine.
Atlantico : Votre livre La Chine e(s)t le monde (éditions Odile Jacob), co-écrit avec Sophie Boisseau du Rocher, analyse la place de la Chine dans le monde dans un contexte de mondialisation. Vous écrivez : "Plus encore que sa montée en puissance, c’est l’interdépendance de la Chine et des États-Unis qui est dorénavant perçue comme dangereuse.", une situation qui pousserait les Etats-Unis de Donald Trump, non pas à trouver un équilibre, mais à obtenir un divorce. Comment explique- vous une telle situation ? Y voyez-vous une réponse logique à la façon dont s'est déroulée l'émergence chinoise ou une surréaction de Washington ?
Emmanuel Dubois de Prisque : Que les Etats-Unis redoutent aujourd’hui une trop grande indépendance de leur système politico-économique avec celui de la Chine est une certitude. Cela explique notamment la fermeté américaine sur le dossier Huawei. Le modèle chinois est considéré comme profondément déstabilisant par Washington. Il y a bien sûr la rivalité pure et simple entre deux pays en lutte pour la suprématie, mais il y a aussi une dimension systémique qu’il ne faut pas négliger. La forme que prendre l’hégémonie chinoise, si la Chine parvient un jour à cette position hégémonique, sera certainement très différente de la forme prise par la domination américaine. C’est ce que nous tâchons d’explorer dans notre ouvrage.
Depuis l'entrée de la Chine dans l'OMC à la fin de l'année 2001, le camp occidental a "oublié" son approche des droits de l'homme concernant la Chine, aussi bien en imaginant que l'ouverture chinoise conduirait à une transformation politique du pays, qu'en se projetant dans un avenir ou la Chine viendrait tenir un rôle de consommateur mondial en dernier ressort. Si cette première idée a déjà été démentie par les faits, en quoi l'idée d'un commerce mondialisé porté par le consommateur chinois pourrait n'être, elle aussi qu'une illusion ?
Pourquoi une illusion ? Il est bien certain que ce marché est aujourd’hui essentiel pour un certain nombre de grands groupes occidentaux dans le domaine de l’automobile ou du luxe par exemple. Il n’en reste pas moins que notre dépendance au marché chinois risque de créer une dépendance d’un autre ordre et beaucoup plus grave, géopolitique voire civilisationnel.
Le projet chinois de la Route de la Soie a marqué un symbole important d'ouverture du pays, une ouverture que vous décrivez comme contraire au besoin de contrôle du parti. Quels sont les enjeux à venir de cet affrontement entre ces deux forces ?
Oui, il y a une vive tension aujourd’hui en Chine entre de puissantes forces centrifuges qu’on trouve notamment à l’œuvre dans les projets qui s’inscrivent dans le cadre des nouvelles routes de la soie et la volonté de contrôle du Parti. Tout l’enjeu est de savoir si le Parti parviendra à contrôler ces forces centrifuges, voire à en tirer profit pour étendre son emprise sur le monde.
Sophie Boisseau du Rocher et Emmanuel Dubois de Prisque viennent de publier "La Chine e(s)t le monde, essai sur la sino-mondialisation", aux éditions Odile Jacob.
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