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Durcir les peines ou procéder à plus d’arrestations ? Ce que nous apprend l’expérience menée par la police de Milan grâce au logiciel KeyCrime
©Reuters

Arme de dissuasion active

En provenance des Etats-Unis, certains logiciels sont utilisés par plusieurs polices européennes, dont celle de la ville de Milan en Italie, afin d'anticiper les crimes, et ainsi d'augmenter le nombre d'arrestations. Une technique dont l'efficacité reste à prouver.

Jean-Paul Mégret

Jean-Paul Mégret

Jean-Paul Megret est secrétaire national du Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP).

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Atlantico : La police de Milan utilise depuis un certain temps un logiciel, KeyCrime, qui permettrait de prévenir le risque d'actes criminels, et donc de faciliter le processus d'arrestation. Comment fonctionne ce type de logiciels ? Sont-ils vraiment efficaces pour augmenter le nombre d'arrestations ? 

Jean-Paul Megret : Ce type de logiciel provient des Etats-Unis, dont les premiers tests ont été réalisés il y a quelques années, pour la première fois, dans la ville de Charlotte (Caroline du Nord). Ce sont des logiciels qui fonctionnent selon un fantasme que j'associerais au film Minority Report, c'est-à-dire qu'on laisse croire à la population qu'on peut prédire à coup sûr les endroits où les crimes et délits vont se dérouler. Ces logiciels ont recours à un certain nombre de données statistiques collectées par les services de police et de gendarmerie, les anciennes plaintes, les zones sociologiques liées à un bassin de population - on peut penser dans ce cas aux quartiers résidentiels par exemple pour prévoir les cambriolages - celles où l'on dénombre un certain nombre de distributeurs de billets, etc. Il s'agit d'essayer d'expliquer, à travers un fantasme lié à ce type de logiciel, qu'on pourrait prédire les crimes, et donc, par une politique de dissuasion, positionner des véhicules à endroits fixes.

Tout en pesant mes mots, je considère ces logiciels comme de l'escroquerie. Ils coûtent extrêmement chers, et sont développés par des sociétés qui ont bien compris qu'aujourd"hui, le business lié à la sécurité intérieure offre de nombreux débouchés financiers. En aucun cas, ces logiciels ne permettent de prédire, au sens le plus étroit possible, les crimes et les délits.Au mieux, ces logiciels permettent de réalouer les forces à des endroits et sur des créneaux horaires parmi les plus criminogènes. Néanmoins, il n'est pas nécessaire d'avoir recours à ce type de logiciels qui coûtent extrêmement chers, pour savoir que les cambriolages se passent en journée dans les zones résidentielles, ou bien que les vols à la portière sont fréquents du côté de Pierrefitte-sur-Seine en région parisienne (93) du fait de la proximité avec les cités.

Tout ceci relève de l'habillage technologique pour essayer de vendre une idéologie dangereuse qui est de croire que tout est prédictible, alors que nous avons des délinquants qui s'habituent et s'adaptent aux modes de fonctionnement des forces de police - certains connaissent exactement les heures de fin de service de certaines unités de brigades anti-criminalité, ce qui nous oblige à les changer régulièrement. En plus de cette dangerosité, cela ne résout pas le problème qui est de dire que toute activité délituelle ou criminelle doit être sanctionnée, ce qui constitue l'un des principes de nos sociétés démocratiques et libérales. 

Dans un article paru ce lundi sur le site Bloomberg View, Peter R.Orszag du Brennan Center for Justice affirme qu'il est préférable, pour plus d'efficacité contre le crime, de multiplier les arrestations plutôt que de prononcer des sentences lourdes. Est-ce véritablement le cas ? Que révèle le cas français à ce titre ?

Aussi bien la politique menée par l'ancien président de la ville de New York, Rudolph Giuliani, que celle menée en Grande-Bretagne, sans oublier le contre-exemple français, montrent que la multiplication des arrestations, sans qu'il y ait derrière une réponse pénale fermene, ne permet pas d'améliorer la situation. Il faut allier des sentences lourdes à des arrestations nombreuses.

Cette situation est limitée en France dans la mesure où on ne pratique que les arrestations, sans appliquer les sentences qui vont avec. C'est ce qui avait été essayé d'être développé pourtant avec les peines planchers qui ont finalement été retirées pour des raisons idéologiques. En France, actuellement, l'efficacité de la lutte contre la criminalité a une durée comprise entre 24 et 48h, soit pendant la durée de la période de garde à vue. Pendant celle-ci, la situation dégénère à travers la procédure écrite qui est extrêmement lourde et qui fait qu'entre le nombre de personnes interpellées et le nombre de personnes déférées devant la justice, on constate une forte perte. Ceci est dû au fait que la justice n'a pas les moyens de tout traiter du fait des contraintes procédurales extrêmement tatillones, notamment sur les horaires de présentation, les délais pour obtenir des appels, etc. Le problème réside dans la démarche. Il conviendrait donc de simplifier la procédure dans un premier temps, en la rendant notamment plus orale pour tout ce qui est délits de masse. A l'heure actuelle, on applique des peines similaires pour tous les types de délits. 

Ce qu'il convient également de changer, mais qui est beaucoup plus difficile à réaliser, c'est de persuader un certain nombre de magistrats que l'incarcération est la solution. On a aujourd'hui un taux d'incarcération en France qui est beaucoup plus faible comparativement à celui de l'Espagne ou de la Grande-Bretagne. Le Premier ministre actuel, Manuel Valls, reconnaît d'ailleurs cet état de fait, qui provoque le consensus dans la classe politique. Néanmoins, personne ne sait comment faire en sorte que les magistrats voient la réalité en face, afin de considérer qu'il faut placer les multi-récidivistes en prison pour des durées importantes et adéquates afin de les extraire de la zone et de faire en sorte que les victimes n'aient pas le sentiment que demain, elles peuvent refaire face à ces individus. Pendant toute la durée où ces personnes sont en prison, elles ne commettent pas de délits. A l'inverse donc, dans ces moments, on se retrouve avec un nombre exponentiel de faits non-commis par ces gens-là. 

On a d'ailleurs un certains nombres de gangs, notamment moldaves et tchétchènes, qui nous expliquent qu'ils préfèrent venir écumer la province française plutôt que d'aller en Espagne, en Italie ou en Grande-Bretagne où les peines sont beaucoup plus lourdes. Les criminels, au sens large du terme, sont dans des logiques très rationnelles aujourd'hui : ils vont donc concentrer leurs efforts sur des zones où la technique d'appropriation est la moins compliquée et où les conséquences de se faire attraper sont les moins lourdes. Il y a donc un effet de déversement de la délinquance sur les pays les plus laxistes, comme la France. 

Toujours dans le cas français, la justice est-elle prête, en l'état, à faire face à cette hausse du nombre d'arrestations ? 

En l'état, le problème de la justice française, c'est de considérer que la peine d'emprisonnement est quelque chose de nuisible. On a pu constater cela avec le projet de contrainte pénale, où l'on essaye d'éviter à tout prix la prison, et donc une sentence visant à extraire du territoire la délinquance habituelle. Ce qui marche, c'est l'application des peines de prison prévues qui permettent d'écarter la poignée de délinquants habituels qui commettent l'ensemble des délits. Il faut savoir que 5% des délinquants commettent environ 50% des crimes et délits. Ainsi, si l'on s'attaque à ces 5% de délinquants, on règle la moitié des problèmes, afin de pouvoir, par la suite, réorienter les services de police sur les autres problématiques auxquelles ils sont confrontés. 

Propos recueillis par Thomas Sila

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