Du rejet du voile à l’attaque de la mosquée de Lyon : comment faire la part des choses entre réelle islamophobie et simple incompréhension face à certaines pratiques religieuses ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des femmes musulmanes prennant part à une manifestation contre l'interdiction du voile intégral dans l'espace public en France.
Des femmes musulmanes prennant part à une manifestation contre l'interdiction du voile intégral dans l'espace public en France.
©Reuters

L'islam pour les nuls

Après l'arrestation du militaire qui projetait un attentat contre une mosquée de Vénissieux, le recteur de la grande mosquée de Lyon a appelé à un rassemblement contre l'islamophobie lundi 12 août. Pour certaines associations, les débats sur la question du port du voile, seraient responsables de la stigmatisation des musulmans. Mais attention à ne pas confondre racisme et critique légitime de l'islam.

Haoues Seniguer,Claude Sicard et Guylain Chevrier

Haoues Seniguer,Claude Sicard et Guylain Chevrier

Haoues Seniguer est docteur en science politique, chercheur associé au GREMMO et enseignant de science politique à l'IEP de Lyon.
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Haoues Seniguer est docteur en science politique, chercheur associé au GREMMO et enseignant de science politique à l'IEP de Lyon.

Claude Sicard est agronome, docteur en économie, spécialiste du développement, auteur de deux livres sur l'islam, L'islam au risque de la démocratie et Le face à face islam chrétienté-Quel destin pour l'Europe ?

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant , formateur et consultant. Il est membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration.

Ses domaines de prédilection sont l'antiquité grecque et l’anthropologie historique. La laïcité constitue un enjeu de société qui le passionne ce qui l'a amené à participer à de nombreuses interventions publiques.

Claude Sicard est agronome, docteur en économie, spécialiste du développement, auteur de deux livres sur l'islam, L'islam au risque de la démocratie et Le face à face islam chrétienté-Quel destin pour l'Europe ?
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Atlantico : Le recteur de la grande mosquée de Lyon, Kamel Kabtane, a estimé lundi 12 août que le projet d'attentat d'un militaire, interpellé le 7 août, contre une mosquée de Vénissieux, près de Lyon, témoignait d'un "climat d'islamophobie" en France. Le climat en France est-il vraiment aussi délétère que le suggère le recteur de la mosquée de Lyon ?

Guylain Chevrier : Tout d’abord, on doit préciser le sens du terme islamophobie pour situer notre propos. Il y a une différence par exemple entre l’antisémitisme, qui désigne le fait de discriminer des personnes et est donc une notion juridique et l‘islamophobie, qui désigne le fait de mettre en cause une religion, c’est-à-dire de s’attaquer à l’islam comme religion, qui n’est pas reconnue comme un concept juridique. Car, le reconnaitre comme tel, ce serait tout simplement introduire en France le délit de blasphème. Il est clair au vu des combats menés ces dernières années contre toute critique de l‘islam assimilée immédiatement à de l’islamophobie, comme nous l’avons vu dans l‘affaire des caricatures de Mahomet lorsqu’une plainte a été déposée par les représentants officiels de l’islam de France contre Charlie Hebdo, que nous avons ici affaire à une démarche qui relève du sacré.

Marwan Mohammed, sociologue au CNRS, a coécrit avec Abdellali Hajjat un ouvrage « Islamophobie : comment les élites françaises fabriquent le “problème musulman” », à paraître prochainement, qui entend faire une nouvelle lecture des choses ici dans le sens de la victimisation des musulmans. Ils proposent que le néologisme « islamophobie » aurait en réalité été inventé en 1910, par un groupe d’ethnologues-administrateurs français pour dénoncer une frange de l’administration coloniale affichant alors ouvertement son hostilité à l’encontre des musulmans et de la religion musulmane. Outre cette affirmation qui reste à examiner par d’autres spécialistes, ils avancent aussi dans ce droit fil une définition de l’islamophobie non pas comme toute forme de critique de la religion musulmane, mais comme la conséquence d’un processus historique de racialisation qui assigne à des individus une identité religieuse. On voit ici la tentative de renverser la volonté de musulmans pratiquants de s’identifier à une communauté en se séparant, dans une volonté de ceux qui observent ce phénomène et le dénonce d’une racialisation de l’islam. Si une telle définition était retenue pour scientifique, ce qui serait une gageure, on ferait de l’islamophobie un concept juridique qui permettrait de faire condamner toute personne critiquant ensuite l’islam.

On préférera à ces assertions la définition qu’en a donnée la journaliste caroline Fourest : « Le mot “islamophobie” a été pensé par les islamistes pour piéger le débat et détourner l’antiracisme au profit de leur lutte contre le blasphème » Elle explique d’ailleurs à ces détracteurs que, s’il y a peut-être une occurrence dans les années 10 ou 20 de la notion d’islamophobie, « ce sont bien les mollahs iraniens, à la fin des années 70, qui en feront la vraie première utilisation publique et politique, en accusant les féministes qui se battaient contre le voile, d’être islamophobes. » (1) Effectivement, il faut ici contextualiser correctement la problématique d’aujourd’hui qui ne doit rien à ces références du début du siècle et tout aux événements qui secouent l’islam depuis plusieurs décennies.

D’autre part, partir de la révélation qu’a été déjoué un attentat qu’entendait perpétrer un militaire contre une mosquée de Vénissieux, pour généraliser en affirmant qu’il faut relier ce fait à un "climat d'islamophobie" en France, c’est faire le même raccourci que celui que l’on pourrait faire entre l’arrestation régulière d’islamistes dans notre pays pour dire que tous les musulmans seraient potentiellement dangereux. Il faut arrêter cela très vite, car en réalité, ce que l’on cherche, c’est à détourner le débat de ses vraies interrogations suite à la communication d’une enquête d’opinion soulignant que 78% des français sont opposés au voile à l’université et dans des mêmes proportions à l’école et même dans l’espace public, à l’entreprise…

Il n’y a pas ici un vent de folie qui soufflerait dans les esprits, mais une réaction de défiance qui n’est que la traduction d’une accumulation de faits, au fur et à mesure que s’affirme des difficultés avec une montée des revendications communautaires venues de l’islam pratiquant qui met sous pression en permanence sur un plan sur un autre notre pays. Des revendications qui touchent tous les domaines de la vie, de la crèche à l’entreprise, de l’hôpital à l’école, des piscines à l’expression artistique, des cantines aux terrains de sport…  

Si l’on parle du côté de ceux qui défendent l’idée que l’islamophobie se généraliserait en France d’une atteinte à la liberté religieuse individuelle en fait, ce à quoi on assiste, c’est à un mouvement d’ensemble qui pèse sur notre société, qui se coordonne en prenant la forme d’une action communautaire, en faveur de la promotion d’une religion et de sa place en rognant sur la laïcité et nos valeurs collectives.  

Il se trouve que l’islam est la seule religion en France qui manifeste ne pas admettre la caricature ou la dérision, l’humour à son encontre. Une tradition de liberté d’esprit qui va avec la liberté de pensée pourtant bien inscrite dans les mœurs françaises. Il y a déjà là comme une rupture avec un fond culturel et un mode de vie que les représentants de l’islam et ses pratiquants ne sauraient ignorer et s’apparente au rejet de la modernité démocratique.

Mieux, il s’agit même d’une religion qui n’admet pas que la raison à travers le droit impose sa règle à ses croyants. « Le droit est sans prise sur la foi » comme aiment à le dire dans leur livre les deux avocats de la mosquée de Lyon et de Paris (Droit et religion musulmane, Dalloz, pages 35-36) qui rejettent le principe du droit de changer de religion, dans la continuité avec le coran, au nom de vivre sa religion de façon authentique. N’est-ce pas là où il faut voir les appuis du rejet de l’intégration qui fait le terreau du communautarisme qui tourne le dos à notre lien social tel qu’il a été conçue en France sous le signe de la fraternité et de la mixité?

La France républicaine, en contrepoint de cette victimisation sur laquelle joue l’islamophobie, continue de remplir son rôle d’intégration et de lutte contre les discriminations. En témoigne, une étude récente de l’Observatoire des inégalités, soulignant que les enfants d’immigrés réussiraient mieux à l’école que ceux issus du cru, et les enfants d’origine maghrébine aussi bien que les petits Français d’origine (37%). ça, ce n’est pas un fantasme en tout cas.

Haoues Seniguer :  La question est complexe car le rejet des musulmans peut se traduire de manière différente : de manière verbale, physique ou à travers des actes de vandalisme sur des édifices religieux. Les chiffres avancés par certaines associations ou par le ministère de l’Intérieur laissent effectivement penser qu'il y a une augmentation des actes anti-musulmans. Dans le contexte actuel de crise, les musulmans sont peut-être des victimes plus visibles des actes de racisme. Cependant, dans le même temps, il ne faut pas nier que certaines pratiques, qui ne sont pas conformes à la tradition culturelle et historique française, peuvent à juste titre choquer. On peut mettre en évidence des actes anti-musulmans, mais on ne peut pas faire pour autant l'économie d'une réflexion plus globale sur des comportements minoritaires de certains musulmans, qui peuvent donner le sentiment d'une pratique pas totalement en adéquation avec l'Histoire et  les valeurs de la République. 


Selon l'Observatoire de l'islamophobie, une émanation du Conseil français du culte musulman (CFCM), les actes et menaces islamophobes en France ont enregistré une hausse globale de 35 % au premier semestre par rapport à la même période en 2012. Mais que signifie exactement le terme islamophobie ? Comment le définiriez-vous ?

Guylain Chevrier : Il faudrait regarder les choses de très près ici. On se rappelle par exemple que les caricatures de Mahomet avaient été assimilées à ces actes. Dans l’affaire de la crèche Baby loup, l’application du principe de laïcité inscrit dans le règlement intérieur est aussi de l’islamophobie pour ceux qui soutiennent l’employée voilée qui a pu, au nom du port de son voile qu’elle entendait y imposer, mettre  en péril ce lieu formidable d’accueil de la petite enfance. Sans oublier, la mise en demeure de déménager qui s’en est suivi dans un contexte de pressions religieuses contre cette crèche agrémentées de menaces et de dégradations. On appréciera de quel côté il faut voir une victime…

Le fait même de parler de voile islamique est déjà un acte d’islamophobie aux yeux de certains, il ne faudrait ainsi parler que du « foulard ». Une banalisation que n’entendent pas les Français qui perçoivent le voile précisément comme un signe de séparation et même de refus d’intégration à un certain degré, lorsqu’il signifie le refus de se mélanger au-delà de la communauté de croyance comme c’est généralement le cas, rompant en cela avec une tradition française d’intégration et de mélange.

Haoues Seniguer : Il y  a un débat sémantique. Scientifiquement parlant, je préfère parler d'actes anti-musulmans plutôt que d'islamophobie.

Pour certaines associations, les débats sur l'islam et notamment sur la question du port du voile, seraient responsables de la stigmatisation des musulmans. Comment distinguer clairement ce qui relève réellement du racisme et ce qui relève de l'incompréhension, voire du rejet légitime, de certaines pratiques religieuses ?

Guylain Chevrier : En fait, le voile apparait de plus en plus clairement en France comme l’émanation d’un islam communautariste, donc d’une communauté de plus en plus à part et fermée, qui entend avoir ses propres règles et les imposer à l’ensemble de la société française, ce qui est très mal vécu par nombre de Français. Cet islam communautariste se constitue dans la continuité de l’influence de l’Union des Organisations Islamiques de France (L’UOIF) qui y incite les musulmans au nom du respect de la tradition, d’une critique continue des valeurs occidentales de liberté des mœurs qui confine à la critique d’une société émancipée surtout du côté des femmes, et donc des libertés tout court.

Le voile, c’est pour la femme musulmane qui le porte la manifestation aux autres d’être pure, en suivant les prescriptions de soumission aux règles religieuses de l’islam, renvoyant publiquement l’idée que les autres femmes sont impures, ce qui laisse de moins en moins indifférents nos concitoyens. Il y a dans cela une sorte de jugement lancé à la société française comme s’identifiant à un occident immoral en raison de ses mœurs, rejetées trop souvent par ceux qui portent le message de l’islam, dans la lignée d’un Tariq Ramadan qui en a fait sa profession de foi.

Et puis, le voile n’est pas effectivement qu’un banal foulard, il n’a rien à voir avec une main de fatma, ce n’est pas quelque chose de symbolique mais un objet rituel directement en rapport avec des prescriptions de la religion qui touchent au sacré. C’est aussi cela que l’on  entend vouloir passer sous silence, avec en arrière-plan aussi ce qu’il peut avoir de manifestation de l’inégalité de traitement des femmes à travers nombre de références dans le coran, jamais remises en cause dans l’esprit d’une modération de la lecture de ce texte sacré pour les musulmans, par un quelconque de leur représentant en France. 

Voilà ce qui fait des dégâts venus d’une auto-stigmatisation qu’il ne faut pas reprocher aux autres, qui vient d’un certain islam dont les rangs ne cessent de grossir et qui se met hors la société française, il faut le dire. Il n’y a pas de changement qui intervienne dans la façon dont les représentants de cette religion aborde les questions essentielles qui font problème, qu’ils s’agissent des mosquées ou des associations, institutions comme le CFCM. Il n’y a aucune critique de leur part de ce mouvement de dissociation, de séparation sur un fondement religieux contraire à l’esprit de nos institutions et à la tradition de la nation en France, fondée sur un peuple souverain uni par ce qu’il met en commun de biens sociaux, de droits et de libertés. C’est un problème de première gravité aujourd’hui que nous rencontrons à travers cette façon de rejeter tout débat de fond en agitant le chiffon rouge de l’islamophobie.

Haoues Seniguer :  Les intellectuels qui développent un discours critique à l'égard de l'islam et mettent en cause certaines pratiques rigoristes ne peuvent être taxés d'"islamophobes". Ce serait à mon sens un scandale. On ne peut pas reprocher à quelqu'un d'avoir une vision critique à l'égard d'une religion. En revanche, certains actes violents, le fait par exemple d'arracher un voile dans la rue, et certaines insultes caractérisées, du type "sale musulman", entrent effectivement dans la catégorie de "l’islamophobie".

Mais tant que les organisations communautaire qui se préoccupent de l'islamophobie ne s'attaqueront pas aux pratiques de l'islam, nous ne résoudrons pas le problème. On ne peut pas tenir un seul bout de l'argumentaire. On peut dénoncer les actes islamophobes à condition de s'attaquer dans le même temps aux salafistes qui bien que minoritaires peuvent légitimement choquer nos concitoyens non-musulmans. Lors des violences de Trappes, j'ai été choqué que les associations de lutte contre l'islamophobie ne dénoncent pas avec virulence le caractère illégal du port du Niqab dans l'espace public.On peut s'entendre objectivement sur le racisme anti-musulman, mais il faut également dénoncer les comportements hors-la-loi. La crédibilité de la lutte contre le racisme passe aussi par cela.

Claude Sicard : Le problème de ce que l’on appelle "l’islamophobie" doit être abordé en utilisant les méthodes et les concepts de l’anthropologie, ce que ne font pas malheureusement  les observateurs actuels de la vie politique française. Nous nous trouvons en effet face à des problèmes de civilisation, et c’est aux anthropologues qu’il convient de se fier.

Le premier point à élucider est tout d’abord celui de savoir ce que l’on entend par "civilisation" ? Il s’agit d’un concept difficile à cerner, l’une des meilleures définitions étant à notre sens celle de l’anthropologue mexicain Rodolpho Stavenhagen, dans un document qu’il fit pour l’UNESCO : "C’est l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels qui caractérisent une société. Cela englobe en outre les arts, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances".

Le second point est constitué par cette constatation unanime qu’ont fait tous les anthropologues : à la base de chaque civilisation il y a une religion. Christopher Dawson par exemple nous dit "les grandes religions sont les fondements des grandes civilisations".

Le troisième point à mentionner est le fait que, dans chaque civilisation il se produit des évolutions : mais, néanmoins, on constate qu’il existe toujours dans ces évolutions des invariants.

Avec donc ces éclairages que nous fournissent les anthropologues que peut on dire de l’arrivée et du développement de l’islam dans les sociétés de la vieille Europe ?

Il s’agit, il faut bien le voir, de la rencontre de deux civilisations, pour ne pas dire du face à face de deux civilisations différentes : la civilisation occidentale d’un côté, une civilisation  fondée sur le christianisme, et la civilisation musulmane, de l’autre, fondée, elle, sur l’islam. L’histoire nous apprend que ce sont deux civilisations qui n’ont pas cessé de s’affronter et de se combattre depuis plus de 13 siècles maintenant, pour des motifs doctrinaux, pour des motifs historiques (guerres incessantes  pour des territoires) et finalement pour des motifs devenus psychologiques à présent. Le Prophète Mahomet a combattu le christianisme disant aux chrétiens qu’ils étaient totalement dans l’erreur, les traitant même de polythéistes, suprême injure dans l’islam ; les cavaliers d’Allah ont sitôt après la mort du Prophète envahi tout l’empire romain qui était officiellement chrétien, et ce depuis 300 ans ; les Européens ont combattu ensuite les musulmans pour récupérer leur Terre sainte en lançant les Croisades au XIe siècle, etc…..Plus tard, il y eut les conquêtes coloniales des pays européens qui ont voulu dominer grand nombre de pays musulmans, puis au XXè siècle, partout, les luttes victorieuses des musulmans pour se défaire des pays colonisateurs qui les avaient asservis et renvoyer les colonisateurs chez eux…Aujourd’hui, il résulte inévitablement de toutes ces oppositions et de tous ces conflits historiques des "inconscients collectifs", chez les Occidentaux d’un coté et chez les musulmans de l’autre, des inconscients qui nourrissent chez les individus des sentiments de non appartenance à la même collectivité. On qualifie chez les Occidentaux ces sentiments d’ "islamophobie".

Selon la définition du mot "civilisation" donnée par Stavenhagen, on voit bien que la civilisation occidentale et la civilisation musulmane sont deux civilisations très différentes : ce sont deux grandes civilisations et il existe entre elles de très profondes différences, pour ce qui est des traits distinctifs, des valeurs, des façons de vivre ensemble, des croyances, des manières de voir le monde, etc..   Que se passe-t-il donc dans cette rencontre à présent des deux civilisations en Europe? Fatalement des réflexes tout naturels chez les uns et chez les autres à vouloir conserver chacun son identité et sa personnalité. Les musulmans installés en Europe, très légitimement, ne renoncent pas à leur identité, et les pays d’accueil se conformant en cela aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme le leur permettent : et les citoyens des pays qui les reçoivent revendiquent, eux aussi, le droit de conserver la  leur, ainsi que leurs valeurs et leur mode de vie.

Demander aux uns et aux autres de surmonter ce qui existe dans leur inconscient est très difficile : l’inconscient collectif, concept inventé par Jung, est comme une connexion invisible qui relie les individus : il colporte des images et des archétypes qui font partie de la culture d’un peuple. Le psychologue Gustave Le Bon parle de "la constitution mentale des peuples" et "d’idées qui siègent dans l’âme d’un peuple".Et l’inconscient collectif pèse lourdement sur les individus d’une société.

L’islamophobie est donc à considérer comme un réflexe de défense, réflexe que l’on peut déplorer bien sûr pour des motifs philosophiques, de la part de personnes qui ont dans leur inconscient collectif  un patrimoine représentatif qui fait obstacle à l’arrivée de musulmans sur les territoires de la vielle Europe, l’Europe qui est la mère de la civilisation occidentale. Et ce sentiment risque d’être sensiblement plus fort en France qu’ailleurs du fait de la part importante sinon majeure que notre  pays a joué, historiquement, dans les confrontations qui ont eu lieu avec l’islam : arrêt des invasions arabes par Charles Martel en 734 à Poitiers, déclenchement des Croisades par le pape Urbain II en 1089 à Clermont et très forte participation  des chevaliers français à ces pèlerinages armés destinés à reprendre aux musulmans Jérusalem que ceux-ci asservissaient depuis 638;  plus tard, victoire sur la Turquie en 1918 et démantèlement de cet empire qui était le siège du califat, colonisation de l’Afrique du Nord avec les victoires difficiles sur Abdel Kader en Algérie et Abdel Krim au Maroc, puis la dure guerre d’Algérie enfin qui fit de nombreux morts de part et d’autre, et qui se termina par l’exode douloureux des un million de Français vivant en Algérie, des Français qui durent dans un mouvement de panique tout quitter pour échapper au pouvoir des musulmans.

Le refus du débat sur certaines questions qui touchent à l'islam n'est-il pas finalement le meilleur allié des extrémistes de tous bords?

Guylain Chevrier : A avancer l’argument de l’islamophobie pour neutraliser toute critique de cette religion, on nourrit un contentieux avec les autres membres de la société et on laisse libre cours aussi aux fantasmes. Le représentant du Conseil français du culte musulman Abdallah Zekri, Président de l’Observatoire « des actes islamophobes » sur le plateau de l’émission Mots croisés (France 2, le 24 septembre 2012), parle de fantasmes quand la mère de Mohamed Merha s’alarme du fait que des jeunes de sa cité se réclament de lui comme d’un héros (2).

Il n’y a rien de pire que les non-dits ou les dénis, les mises en accusation sommaire et la menace des procès en discrimination qui font taire, qui inhibent toute velléité d’explication, alors que le feu de la nécessité de mettre « cartes sur table » couve. Cela crée un ressentiment qui ne peut que se renforcer dans ces conditions pour risquer de se transformer en rejet, voir en aversion pure et simple, facilement récupérable. On sait combien les extrêmes se nourrissent et se répondent comme les deux termes d’une contradiction dont les antagonismes se justifient mutuellement, s’entretiennent et se récupèrent. C’est un vrai danger pour la société française avec des conséquences dans les futurs rendez-vous électoraux que nul ne peut prévoir si nos dirigeants ne prennent pas plus dans ce domaine les choses au sérieux.

Haoues Seniguer :Oui, l'omerta au sein des communautés musulmanes laisse la voix libre à ceux qui ont une pratique rigoriste. Certes, ces derniers sont minoritaires, mais c'est d'abord une question de principe.

Le débat n'est possible qu'en tenant les deux bouts de la chaîne. D'un côté, dénoncer les actes anti-musulmans lorsqu'il le faut. De l'autre, pousser les musulmans à un débat interne sur certaines pratiques minoritaires qui font du tort à ceux qui vivent leur religion sereinement.

Claude Sicard : Compte tenu des éléments que nous venons de rappeler, tout débat sur les questions qui touchent l’islam apparaît de prime abord comme particulièrement  difficile, car le fossé créé par des siècles de conflits est énorme. D’autant que notre pays a fait en Algérie une expérience qui ne lui a pas réussie. La France, en effet, lorsqu’elle décida de transformer son expédition punitive sur Alger, en 1830, expédition destinée à éradiquer la piraterie en Méditerranée, en une colonisation de peuplement, créa très rapidement  trois départements sur place, faisant ainsi des Algériens des nationaux français. Puis en 1865, par un sénatus-consulte il leur fut proposé de devenir des citoyens français, pour autant qu’ils en fassent la demande. En l’espace de trente ans il y eut moins de deux mille demandes. Pourquoi cet échec ? Parce que l’acquisition de la citoyenneté française impliquait l’abandon par les personnes intéressées de leur statut personnel de musulman, les citoyens français devant se conformer obligatoirement au code civil napoléonien. D’autres tentatives eurent lieu aussi, par la suite, qui échouèrent elles aussi. En somme la France achoppa à faire des Algériens des citoyens français du fait de l’islam, les Algériens voulant conserver leur identité musulmane : elle ne sut pas comment faire coexister dans le même pays des citoyens ayant des statuts civils différents.

La France qui est aujourd’hui un pays laïc, pose  comme principe, avec la loi de 1905, la séparation des Églises et de l’État : mais les musulmans qui n’ont pas fait, comme ce fut le cas de la civilisation occidentale, ce que Marcel Gauchet a appelé "une sortie de religion", se trouvent dans une position difficile pour harmoniser leurs croyances religieuses avec les principes de fonctionnement d’une démocratie qui suppose que ce sont non pas les lois dictées par Dieu qui s’imposent, mais les lois établies par les hommes eux mêmes qui régissent la société.

Du fait des évènements du passé et de cette différence fondamentale de conception de la façon de vivre en société qui existe entre Occidentaux et musulmans, le dialogue se révèle difficile. Une solution est proposée par Tariq Ramadan, ce fameux prêcheur moderne qui est très écouté par les musulmans dans toute l’Europe : elle consiste à faire comprendre aux Français que la France a changé. Dans une conférence qui avait été organisée par le Collectif contre l'islamophobie (CCIF) à Paris en avril 2012, Tariq Ramadan a appelé les musulmans à faire comprendre aux Français que l’on a affaire à présent à une France nouvelle. La France, dit ce talentueux prêcheur, doit admettre qu’elle est aujourd’hui multi-ethnique, multi-culturelle et multilinguiste. Il a exhorté ses auditeurs qui étaient fort nombreux et enthousiastes à combattre pour faire admettre à leurs concitoyens cette nouvelle conception de ce que l’on nommerait encore "La France", en leur disant qu’ils n’avaient pas à assumer l’histoire intégrale de ce pays, mais à faire un tri sélectif dans ce qu’ils acceptent de prendre en charge.

Les Français dits "de souche", de leur côté, ne sont évidemment pas sur cette ligne : ils en restent, quant à eux, à une idée d’une France conforme à son histoire, une France dont la politique resterait d’ouverture à l’égard des étrangers pour autant que les nouveaux arrivants acceptent de s’assimiler à la culture française, et embrassent en bons citoyens l’histoire de France dans sa globalité, sans rejeter des pans entiers de celle-ci.

Comme on le voit, les positions restent très opposées : les uns veulent faire admettre le principe d’une France plurielle, sans que l’on ne sache plus ce qui peut relier les gens entre eux ; les autres restent sur un principe d’assimilation, comme ce fut le cas jusqu’ici avec tous les immigrants qui ont choisi dans le passé de rejoindre la France . Mais ce que l’on omet de mentionner c’est qu’il s’agissait alors de personnes issues de la civilisation occidentale, des personnes donc qui n’avaient aucune barrière à franchir sinon celle de la langue, ce qu’elles ont toutes fait sans difficulté grâce notamment à l’école de la République.


Comment organiser ce débat de manière sereine ? Les musulmans modérés doivent-ils davantage se faire entendre, y compris pour dénoncer les intégrismes ?

Guylain Chevrier : Effectivement, ce divorce entre une conception communautariste de l’islam et les Français est d’autant plus accentuée qu’on n'entend pas les musulmans modérées, que l’on a même l’impression qu’ils n’existent pas. Bien sûr, les entendre, c’est ce qu’il faudrait pour ramener de la sérénité dans ce débat, mais comme entité organisée et repérée, du coup comme force pouvant peser. Encore faut-il s’entendre sur ce que l’on désigne par modérés. Il existe une large partie des musulmans de France qui pratiquent leur religion avec modération et responsabilité, mais ils ne s’invitent pas dans le débat. Ceci étant, les personnalités susceptibles de jouer ce rôle de les rassembler, restent à trouver.

Pour autant, sur le fond, le débat devrait porter, pour donner ses fruits, sur une modernisation de l’islam, en commençant par une modération de certains de ses aspects les plus conservateurs. Aucune religion n’a apporté la liberté aux hommes, il a fallu qu’ils l’arrachent de hautes luttes contre les Églises et le despotisme auquel elles étaient liées. Encore moins l’égalité hommes –femmes, toutes les religions étant issues de société patriarcales.

Il faut dire aussi qu’aucune société arabo-musulmane n’a séparé réellement le religieux et le politique, ce qui a tendance à inspirer un comportement des musulmans pratiquants en France qui en est le reflet, fort de cette confusion largement entretenue. Pour organiser le débat susceptible de dépasser les contentieux, il faut poser un cadre qui n’élude aucune des questions qui fâchent et qui restent pour beaucoup dans ce silence que la mise en accusation d’islamophobie de la France n’aide évidemment pas à lever.

Haoues Seniguer :Lé débat passera par la création et l'organisation d'instances suffisamment représentatives des musulmans de France. Des instances qui auraient beaucoup plus de légitimité que les instances actuelles. Je pense notamment au CFCM décrié pour ces liens avec l'Algérie ou le Maroc. Tant qu'il n'y aura pas d'instance suffisamment représentative et légitime, le débat ne pourra pas être mené car les initiatives seront trop isolées ou trop éparses.

Il faudrait peut-être créer des assises qui permettraient à des musulmans de tous bords, des libéraux comme des traditionalistes, de débattre véritablement des question de fond et de voir émerger des réformes consensuelles. Cela prendra des années car l'une des faiblesses du sunnisme est l'absence d'autorité centrale. Mais, il faut tenter de dégager des tendances majoritaires qui peuvent servir de locomotives. Il y a des bases de compromis à trouver notamment sur la question du foulard islamique. On peut respecter la liberté des femmes de porter le voile et en même temps pousser ces femmes à s'engager socialement et à accepter d'enlever le foulard en allant travailler. Ce serait un premier pas pour pousser les musulmans de France à concilier foi et intégration. Les deux sont possibles à condition de faire certains compromis avec la société.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

1)  Pourquoi Valls n’aime pas le mot « islamophobie »

2)  Émission Mots croisés, France 2 – « Islam : où est le problème ? » Un dramatique faux débat à côté de l’essentiel !Guylain Chevrier.

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