Droit de vote des étrangers : la promesse intenable de la gauche<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, a déclaré ce lundi que le droit de vote des étrangers n'est pas une "revendication forte" de la société.
Le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, a déclaré ce lundi que le droit de vote des étrangers n'est pas une "revendication forte" de la société.
©Reuters

Débat

Alors que des députés socialistes pressent François Hollande de mettre en œuvre sa promesse de campagne d'accorder le droit de vote aux étrangers, une partie de la gauche est divisée sur la question.

Eric Dupin

Eric Dupin

Eric Dupin est journaliste, essayiste et écrivain. Il est l'auteur de La victoire empoisonnée : et maintenant ? aux éditions du Seuil. Observateur hors pair de la gauche, c'est un ancien membre du Parti socialiste auquel il a consacré plusieurs ouvrages.

Ancien de Libération, il est chargé de cours à Sciences Po Paris et un tient un blog d'analyse politique.

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Atlantico : 77 députés socialistes ont signé une tribune dans le Monde datée de lundi afin de rappeler à François Hollande ses engagements sur le droit de vote des étrangers. Cette proposition a maintes fois été avancée par les différents gouvernements socialistes mais n’a jamais été appliquée. Est-elle vouée à rester lettre morte ?

Eric Dupin : C’est une réforme beaucoup plus compliquée que certains ne le laissent à penser car c’est une réforme constitutionnelle. Il ne s’agit donc pas d’avoir une majorité à l’Assemblée nationale mais, la Constitution devant être modifiée, la réforme suppose soit une majorité, que l’on appelle qualifiée, des trois cinquième au Parlement  dont la gauche ne dispose pas à l’heure actuelle, soit de passer par l’arbitrage du peuple en ayant recours au référendum, qui sur cette question est loin d’être acquis à la cause du droit de vote pour les étrangers.

En effet, quand on analyse les différentes enquêtes d’opinions qui ont été faites à ce sujet, on voit bien que la réforme n’est pas clairement soutenue par le peuple, quand bien même de plus en plus de personnes y sont favorables au fur et à mesure des années. C’est une proposition qui date de plus de trente ans, c’est le candidat François Mitterrand qui l’avait formulée pour la première fois en 1981. Il ne l’avait toutefois pas réitérée en 1988 mais elle est tout de même restée dans les propositions de la gauche et du Parti socialiste depuis trente ans.

François Hollande savait qu’il avait peu de moyens pour faire passer cette réforme. N’était-ce pas une erreur stratégique de sa part d’avoir autant insisté pendant la campagne sur ce point ?

Non, si on se remémore sa campagne, on se rend compte qu’il n’a pas mis énormément l’accent sur cette question. Il a été très conscient du rapport de force de l’opinion sur le sujet et il a fait le minimum de ce qu’il était obligé de faire. En effet, et c’est hélas le fond du problème, cette question est devenue symbolique et identitaire pour une partie de la gauche, surtout pour cette partie « socialiste » de la gauche qui a de plus en plus de mal à se différencier sur le plan économique de la droite et qui tente de se distinguer sur les questions sociétales comme le mariage homosexuel ou le droit de vote des étrangers.

François Hollande a donc dû tenter de satisfaire son camp. En outre, la droite a réussi à ramener sur le sujet sur la table en faisant une campagne très forte à propos de cette thématique. En effet, dans les meetings de l’UMP, on voyait bien que c’était toujours cette question qui suscitait le plus de réactions et d’applaudissements quand Nicolas Sarkozy la dénonçait.

Selon Manuel Valls, le droit de vote des étrangers ne serait pas un élément puissant d’intégration et l’urgence ne serait donc pas là.  Est-ce une stratégie du gouvernement pour faire passer cette réforme à la trappe ou un tir isolé ?

On ne peut pas qualifier cette sortie de tir isolé, il ne faut pas oublier que Manuel Valls est le ministre de l’Intérieur ! Et ce n’est pas la personne qui a le moins de responsabilité dans le domaine.

Manuel Valls dit des choses qui vont certainement lui être reprochées par l’aile gauche du parti mais dont il faut se demander si elles sont vraies ou fausses avant de s’indigner. Quand il dit que le droit de vote des étrangers en situation légale sur le territoire français n’est pas une revendication prioritaire de la société française, il me semble qu’il n’a pas complètement tort. Je ne vois pas de mouvements dans la société qui exige cette réforme. On peut le déplorer mais force est de reconnaitre que cette revendication est beaucoup plus portée dans la sphère politique et dans l’espace partisan.

Il a un deuxième argument qui me semble mériter d’être entendu, c’est quand il évoque le risque politique que représenterait un affrontement des Français sur cette question par voie de référendum. Je crains fort qu’un tel débat dans le contexte actuel d’un pays de plus en plus segmenté territorialement qui connait des difficultés de coexistence entre les communautés ne crée des dommages dans la société française. Quand on fait de la politique de façon réaliste, on doit tenir compte de cette analyse.

Je ne dis pas que je suis un adversaire irréductible de cette réforme. D’ailleurs, dans la tribune publiée dans le Monde, un argument m’a beaucoup frappé : c’est celui de dire que le fait que les étrangers votent pourrait avoir un effet positif sur la participation des jeunes français d’origine étrangère. Le principal problème, ce n’est pas le droit de vote des étrangers mais de faire voter ces personnes d’origine étrangère qui sont bien Françaises elles. Cette question de l’intégration civique devrait, elle, être prioritaire.

Si François Hollande parvient à adopter cette réforme, peut-il en faire un emblème sociétal de son mandat, comme la peine de mort l’a été pour Mitterrand ?

Non, pas du tout. François Mitterrand avait certes bravé l’opinion avec la peine de mort en 1981car il subsistait une nette majorité contre. Mais en même temps, cette question ne divisait pas profondément les Français comme celle du droit de vote des étrangers. Cela s’explique par le fait que l’intégration des populations étrangères a été mal faite depuis des années, avec une responsabilité des majorités de droite comme de gauche. Aujourd’hui, on a un vivre ensemble qui est malade et le terrain est réellement miné. D’ailleurs, je ne pense pas que François Hollande va se lancer dans cette affaire. Je ne le vois pas convoquer un Congrès ou un référendum en ayant de grandes chances d’aller à la défaite.

Ce qui risque d’arriver, c’est que cette question continue d’empoisonner le débat public et de diviser la gauche. De plus, cela risque de créer des tensions entre l’exécutif et le législatif, car on le voit bien avec cette tribune du Monde, les députés de gauche ont l’air de vouloir forcer la main à l’exécutif.

Propos recueillis par Célia Coste

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