Doubler le nombre de mosquées en deux ans… et le sujet qui fâche : une question de temps ou une question de fond ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président du Culte français musulman a récemment déclaré que le nombre de mosquées en France devait doubler dans les deux prochaines années.
Le président du Culte français musulman a récemment déclaré que le nombre de mosquées en France devait doubler dans les deux prochaines années.
©Reuters

Etude de faisabilité

Le président du Culte français musulman a récemment déclaré que le nombre de mosquées en France devait doubler dans les deux prochaines années. Une problématique à laquelle les pouvoirs publics peuvent répondre, sans nécessairement contrevenir à la loi de 1905.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel) ou L'islam devant la démocratie (Gallimard, 2013).

 

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : M. Boubakeur a appelé lors du Rassemblement annuel des musulmans de France à doubler le nombre de mosquées d'ici à deux ans, afin de pallier le manque de lieux de culte. Comment les pouvoirs publics peuvent-ils résoudre ce problème tout en ne contrevenant pas à la loi de 1905 ? Et une action publique pourrait-elle répondre au problème des financements étrangers, et des prêches à caractère radical ?

Virginie Martin :Effectivement, la question se pose. A un moment donné, il faut peut-être arrêter de dire tout et son contraire aux musulmans. Il n'est pas logique de leur reprocher d'une part de prier dans la rue, et ensuite de leur refuser la construction de mosquées. 

Certaines personnes ont une lecture figée de la loi de 1905, et pensent qu'une action de la part des pouvoirs publics constituerait une entorse. Cette lecture fermée de la loi de 1905 est en réalité très "moderne", et découle de la politisation de cette question, avec les fantasmes et les tensions associées. Pourtant, cette loi en plus d'avoir instauré la sépration entre l'Eglise et l'Etat, est aussi très ouverte, presque libérale, avec une ambition de normalisation des cultes. Elle garantit la liberté de l'exercice des cultes. De la même manière, des dispositions garantissent la liberté de la presse, syndicale, associative... C'est une laïcité à la mode d'Aristide Brian, très ouverte. Et si le financement direct, via des subventions, ne semble pas être envisageables, le refus de laisser des mosquées être construites, comme c'est le cas à Fréjus, n'est pas non plus une réponse politique sérieuse ou raisonnable. Que fait-on de ces minorités, quel est le deuxième épisode ? C'est ce que j'essaye d'aborder dans mon dernier livre (Ce monde qui nous échappe, pour un universalisme des différences aux éditions de l'Aube, 2015) quand j'emploie le terme de "reconnaissance réciproque" : en tant que musulman, vous devez reconnaître ce qui constitue la France, qui devra vous reconnaître également et vous laisser la possibilité de pratiquer votre culte décemment.

Existe-t-il des dispositifs (fiscaux, juridiques) déjà existants qui pourraient être davantage utilisés, plutôt que de légiférer encore ?

Virginie Martin : La participation des fidèles est la principale voie à exploiter. Le circuit hallal dégageant des bénéfices peut tout à fait y contribuer, comme cela a été le cas pour la construction de la mosquée de Lyon. La voie de l'autofinancement a montré que c'était possible. L'action des pouvoirs publics se situerait davantage dans des facilités financières de plusieurs ordres. Les avantages fiscaux via des associations par exemple, qui peuvent avoir comme objet de récupérer des dons défiscalisés à 66%. De manière plus locale, des garanties d'emprunts peuvent être accordés par les collectivités. Les pouvoirs publics, à une échelle plus locale, peuvent également donner plus de facilité dans la mise à disposition de terrains, via des baux emphytéotiques sur 99 ans... De multiples solutions sont envisageables, peu coûteuses, et réalistes lorsque l'on creuse la question. 

Guylain Chevrier : Hormis l’exagération du nombre de musulmans au nom desquels M. Boubakeur avance cette proposition, 7 millions, chiffre farfelu, il en irait en quelque sorte d’une légitimité démocratique par rapport aux autres religions censées être mieux dotées. Sauf que, la meilleure des façons que les lieux de culte reflètent le nombre de musulmans c’est qu’ils soient financés par eux, comme normalement cela devrait être le cas si on entendait respecter la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905 qui fonde notre laïcité républicaine. En réalité, une large partie des musulmans n’a aucune revendication dans ce sens et il serait donc dangereux que les pouvoirs publics croient devoir intervenir dans la promotion de la construction des mosquées, en généralisant par exemple une pratique comme celle des terrains accordés par des communes dans le cadre de baux de longue durée pour une somme symbolique (emphytéotique administratif) validée par le Conseil d’Etat ou encore plus grave, en suivant le rapport du Sénat sur le financement des lieux de culte par les collectivités territoriales présenté le 18 mars 2015, d’ouvrir la possibilité pour ces dernières d’accorder des garanties d’emprunt pour la construction d’édifices cultuels. Ce serait contribuer ainsi à une dynamique artificielle à caractère communautaire. Autrement dit, ce serait entraîner par cette multiplication volontariste des lieux de culte une logique d’assignation de millions de musulmans qui n’entendent pas se voir imposer leur façon de vivre leur religion. Contrairement à l’argument selon lequel le doublement de ces lieux de culte favoriserait la lutte contre le radicalisme, c’est au contraire dans l’ombre de cette logique communautaire d’enfermement et de ghettoïsation religieuse que le radicalisme peut le mieux proliférer, ce que l’on refuse de voir. La loi de séparation de 1905 a prévu précisément, pour répondre au besoin d’édification de lieux de culte et d’exercice cultuel, la possibilité de la création d’associations cultuelles qui disposent d’avantages divers, dont fiscaux, qui constituent le cadre régulier de l'acquisition, la location, la construction, l'aménagement, l'entretien des édifices servant au culte, l'entretien et la formation des ministres du culte. Comme le disait Victor Hugo, « l'Etat chez lui, l'Eglise chez elle », c’est bien la seule façon de préserver une République des citoyens afin qu’elle ne devienne jamais une République des croyants. 

Les pouvoirs publics ne peuvent pas se passer de statistiques pour élaborer leur action, et les évaluer. Comment concrètement est-ce qu'une telle opération de rattrapage pourrait-elle être mise en oeuvre ?

Virginie Martin : En effet. Dans une note que nous avions réalisée au Think Tank Different, nous avions calculé qu'il y avait environ 5 millions de musulmans en France (les chiffres vont de 3 à 7 millions), ce qui montre d'une part qu'il y a une nécessité numérique, et également de rattrapage, vu la progression au compte goutte du nombre de mosquées en France. Typiquement, la mosquée de Marseille n'a pas pu être réalisée. Outre cette dimension qui consiste à donner les moyens de pratiquer sa religion, il faut également bien entendre qu'un "islam des caves" perpétue le problème de la tonalité des prèches, et des discours des imams. L'instauration d'instances représentatives des musulmans ne se passera pas d'une réintroduction de leur culte aux yeux de tous. Se pose bien entendu le problème des financements. Comme je l'ai déjà dit, et à l'instar de la mosquée de Marseille qui est au point mort depuis 2001, les lieux de culte démesurés ne sont pas une solution réaliste. L'Etat ne pourrait bien entendu pas donner de subventions, et les financements étrangers ne sont pas souhaitables, problématiques pour tout le monde (cf. le cas de l'Autriche). 

Philippe d'Iribarne : Un point frappant dans les réactions des Français par rapport à a construction de mosquées est la part significative de ceux qui refusent de se prononcer. Dans un sondage réalisé par l’IFOP les 18 et 19 mars, 18% répondent « ne sais pas » à la question « personnellement, êtres-vous favorable ou opposé à la construction de mosquées en France lorsque les musulmans le demandent », alors que 45% y sont opposés et 37% favorables (Valeurs actuelles, 2 avril 2015).

La question est embarrassante. Si on se place dans une logique de citoyen, et de droits des citoyens, les musulmans ont, comme tous les autres citoyens, le droit d’avoir leurs lieux de culte, et on ne peut qu’y être favorable. Dans cette logique de droits, on n’a pas à se poser de question sur les spécificités de l’islam. Celles-ci ne concernent que les musulmans. Au contraire, si on se place dans la logique du corps social, qui distingue et hiérarchise les religions comme il distingue les établissements scolaires, les hôpitaux, les destinations touristiques ou quelque réalité sociale que ce soit, la perspective est différente. Dans un sondage réalisé en janvier 2015, 51% des Français on répondu « pas compatible »  (47% « compatible »), à propos de l’islam, à la question « En pensant à la manière dont chacune des religions suivantes est pratiquée en France, dites-moi si elle est compatible ou pas avec les valeurs de la société française ? », alors que le taux de réponses positive était de 93% pour la religion catholique et 81% pour la religion juive  (Le Monde, 29 janvier 2015). De manière générale, les Français rejettent très majoritairement les manifestations les plus visibles de l’islam. Ainsi, 72% sont favorables à « l’interdiction du port du voile ou du foulard islamique dans les salles de cours des universités », et 68% pour les personnes « accompagnant les enfants lors d’une sortie scolaire » (Valeurs actuelles, 26 mars 2015).

Parmi les Français, les sympathisants de gauche sont, comme on pouvait s’y attendre relativement plus nombreux à se situer dans une perspective de droits des citoyens. Ils sont favorables à 51% à la construction de mosquées, alors que cette proportion tombe à 34% chez les sympathisants UMP  et 18% chez les sympathisants FN. Mais, même pour eux, la réponse ne va pas de soi. 31% sont opposés et 18% ne se prononcent pas.

A quelles conditions les réactions des Français pourraient-elles devenir plus favorables ? Il faudrait sans doute, avant tout, que la vision qu’ils ont de l’islam s’améliore. Une enquête réalisée en 2013 par une fédération internationale de chercheurs montre que environ 60% des Français « sont prêts à accepter les immigrés pour autant qu’ils s’assimilent à la société française, sans revendiquer la manifestation de leurs traditions dans l’espace public, les réservant aux espaces privés et familiaux » (Le Monde, 8 avril 2015). Au sein des autorités musulmanes en France, certains, tel l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, invitent les musulmans de France à une telle discrétion qui est, en France, un élément essentiel de savoir-vivre. Seront-ils entendus ?

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