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Double fardeau : quand obésité devient synonyme de dépression
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Cumul

Comment l'obésité peut générer un mal-être psychologique profond et faire sombrer une personne qui n'arrive même plus à se reconnaître physiquement dans un état dépressif. Extraits de "Comprendre l'obésité" (2/2).

Catherine Grangeard

Catherine Grangeard

Catherine Grangeard est psychanalyste. Elle est l'auteur du livre Comprendre l'obésité chez Albin Michel, et de Obésité, le poids des mots, les maux du poids chez Calmann-Lévy.

Elle est membre du Think Tank ObésitéS, premier groupe de réflexion français sur la question du surpoids. 

Co-auteur du livre "La femme qui voit de l'autre côté du miroir" chez Eyrolles. 

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Lorsque je reçois un patient, je le regarde. Parfois, certains suscitent une sorte d’image mentale : cet homme, je le visualisais solitaire, désabusé, évoluant dans un épais brouillard. Perdu. Imposant. J.-D. Nasio parle de ces images qui aident parfois le psychanalyste : en s’y attardant consciemment, nous pouvons les utiliser.

Pour le moment, je retiens comme piste de travail avec « perdu de vue » (que j’appellerai PDV) la souffrance excessive de sa mère comme l’énigme qui l’accompagne. Il la voyait sombrer et il s’enfonçait à sa suite. Se débattre du mortifère est une difficulté majeure pour l’enfant élevé dans l’univers glacé de la dépression. Comment en sortir indemne ? Il s’est perdu de vue lui-même, comme objet d’amour. Perdu de vue par sa mère, tellement occupée par sa dépression ; la place n’était pas libre, ni pour le mari ni pour l’enfant. Pourquoi ? Nous ne saurons jamais ce qui obscurcissait massivement l’univers de cette femme, irrémédiablement – il y a du diable dans « irrémédiablement ».

Cette impossibilité à trouver remède, c’est de la souffrance bue goutte à goutte, répétitivement. Inéluctablement. La répétition, sans espoir, presque banale, est un climat malsain pour débuter sa vie. Pour s’en sortir, il faut passer de passif à actif. PDV a l’impression qu’en utilisant « quelque chose », il trouve une solution à sa détresse. Tout de suite, nous comprenons que l’objet retenu n’est qu’un substitut. Quel que soit le produit, c’est un leurre qui ne pourra satisfaire pleinement. Le recours intempestif au sport quand PDV est jeune, puis le travail et la nourriture, ne peuvent le combler.

« Excessif avant d’être obèse », j’aurais pu dire aussi « superintelligent » ou employer d’autres qualificatifs. Les obèses ne sont pas une catégorie à part. Réduire une personne à un seul identifiant est toujours à dénoncer vigoureusement.

PDV ne se voit donc pas. Il est tombé dans le gouffre de l’absence à soi que l’état dépressif de sa mère a entraîné alors qu’il n’était qu’un nourrisson. Cette femme devait être par moments présente pour le bébé, lui donnant des soins, le nourrissant, bref s’en occupant. Puis l’abîme de la dépression reprenait le dessus et le vide les envahissait, tous les deux. Le bébé se constituant de ce que les autres lui renvoient, PDV fonctionne toujours aujourd’hui par éclipses. La nourriture remplit son estomac et, par là même, il se sent vivant. Le propre de la nourriture, c’est l’alternance du plein et du vide. La fonction de la nourriture, qui rappelons-le donne des sensations physiques, est rassurante à un niveau existentiel. Ce qui est recherché, c’est le souvenir du contact de la mère.

On ne sait pas trop ce dont souffrait la mère de PDV, mais on peut extrapoler que, pour un très jeune enfant, il est très angoissant d’avoir quelqu’un de très mal psychiquement pour mère. Il se défend de la dépression car sa mère y sombrait, il en a vu les dégâts de près. Mais à s’en défendre excessivement, il a confondu avec elle, dont il a peur, des moments de tristesse, de désarroi, qui sont bien humains. Cette défense ressemble à de l’hypomanie, c’est-à-dire une exagération dans l’activité, comme autrefois le sport pour PDV. Il en fait plus qu’il ne faut pour se préserver de ce grand mal qu’est pour lui la dépression puisqu’il a eu à en souffrir, sans filtre, à l’aube de sa vie.

Sa parole « je ne me reconnais pas » est à prendre au pied de la lettre : comment s’y reconnaître quand, à peine né, on est confronté à un grand mal qui fait disparaître sa mère ?

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Extrait de "Comprendre l'obésité" chez Albin Michel (2 avril 2012)

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