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Dissoudre Génération identitaire ? La pente très glissante sur laquelle s’engage Gérald Darmanin
©ROMAIN LAFABREGUE / AFP

Risque politique

Que le mouvement défende des valeurs détestables ou non, le ministre de l’Intérieur oublie le principe de la liberté d’expression et risque d’ouvrir une redoutable boîte de Pandore. Faudra-t-il aussi dissoudre les associations d’aide aux migrants en suivant le raisonnement qui consiste à juger inacceptable que des militants se substituent à l’Etat sur le contrôle des frontières ?

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico.fr : Faut-il dissoudre Génération identitaire ? L’ancien ministre de l’Intérieur Christophe Castaner avait déjà répondu à cette question : les motifs juridiques manquent et la jurisprudence de la CEDH garantit la liberté d’expression. Si la dissolution de Génération identitaire s’impose pour le ministre Gérald Darmanin, ne devrions-nous pas aussi dissoudre les associations d’aides aux migrants ? Est-ce uniquement un problème lié à la liberté d’expression ?

Bertrand Vergely : Comme toujours dans les questions d’actualité qui sont brûlantes, on ne parle jamais de la question dont on prétend parler mais d’autre chose. En France, comme dans tous les pays du monde, il est interdit de rentrer clandestinement dans l’hexagone.  Il y a la loi. Il faut la respecter. Il s’avère qu’on ne la respecte pas. Quantité d’étrangers franchissent les frontières et s’installent sans y avoir été autorisés en toute illégalité. Face à ce phénomène, on est en présence de trois attitudes.

1) La première est celle des gouvernements qui se sont succédés depuis des décennies. Ceux-ci ne font rien, tant ils sont terrorisés par les extrêmes. Quand ils refoulent les étrangers, ils se font traiter de xénophobes racistes d’extrême droite. Quand ils laissent faire ou qu’ils donnent des papiers à tout le monde, ils se font traiter de destructeurs de la France. Résultat : alors que la loi devrait être respectée, elle ne l’est pas. Quand les gouvernements s’expliquent à propos de cette carence de leur part, ils se justifient par la fatalité.  Il est impossible de surveiller toutes les frontières, disent-ils On ne peut pas mettre de la police partout. L’immigration est inévitable. Elle est appelée à s’amplifier dans les années à venir. Pour se justifier, les politiques se cachent derrière la fatalité.

2) La seconde attitude concerne les associations d’aide aux migrants. Depuis des dizaines d’années déjà, mues par un sentiment humanitaire, par l’idée que la France doit être un droit et jamais un devoir, par un plaisir de braver la loi, enfin par un projet politique  de supprimer les frontières, celles-ci n’hésitent pas à aider des migrants à renter en France en toute illégalité. Un agriculteur des Alpes Maritimes a fait l’objet de poursuites judiciaires pour avoir aidé des centaines de migrants à franchir la frontière française dans la plus pure illégalité. Après avoir été condamné il a été relaxé en appel. Faisant la une des medias, il a été traité comme un saint. Revendiquant son geste, il a expliqué qu’il allait continuer. Autre exemple  du mépris de la loi : Dans  un café du 19ème arrondissement, un militant associatif enseignant à un ressortissant des pays balkaniques, comment il faut mentir pour obtenir l’asile en France.

3) Enfin, il y a ce mouvement intitulé Génération Identitaire qui a décidé de régler lui-même le problème en allant repousser les migrants qui rentrent clandestinement en France par les Alpes ou  par les Pyrénées.

Faisons le bilan de ce qui se passe : personne ne parle du sujet principal à savoir le respect de la loi et de son application. La France est un État de Droit. L’État de Droit repose sur la loi,  le respect de la loi, l’obéissance à la loi et l’application de la loi. La loi en l’occurrence est simple : il est interdit de rentrer clandestinement en France. Les gouvernements respectent-ils la loi ? Non. Ils ne l’appliquent pas. Paralysés par la peur de l’opinion, ils ne savent pas quoi faire. Ne sachant pas quoi faire, ils ne font rien. Ils laissent pourrir la situation depuis des dizaines d’années. Les associations d’aide aux migrants respectent-elles la loi ? Non. Au nom de l’humain, elles sont contre  la loi en rêvant de l’abolir.  Enfin, Génération Identitaire respecte-t-il la loi ? Non plus. Ce n’est pas à lui de faire respecter la loi. Or, il a décidé de la faire respecter en se substituant à la loi et à la police. La France prétend être un État de Droit. Constatons le : personne ne respecte la loi. Dans ce contexte, Génération Identitaire n’est pas simplement un mouvement qui entend s’exprimer au nom de la liberté d’expression. Quand on va sur les frontières chasser les migrants, on n’est plus dans la liberté d’expression. On est un mouvement para-policier qui entend se substituer à la police. S’exprimer consiste à s’exprimer dans le cadre de la loi, non à refaire la loi.

Génération identitaire défend-il une politique de contrôle des frontières et de l’immigration clandestine à l’opposé de celle du gouvernement ?

On ne peut pas mettre sur le même plan le gouvernement et Génération Identitaire. Certes, tous deux entendent défendre la loi. Mais le lien entre le gouvernement et Génération Identitaire s’arrête là. Génération identitaire a décidé d’être violent par haine du migrant. D’où de sa part des opérations commandos sur les frontières. Le gouvernement ne peut pas être dans la haine des migrants et la violence à leur égard.  Entre le gouvernement et Génération Identitaire, il y a une barre qui est celle de la violence. Génération Identitaire veut être violent. Le gouvernement ne peut pas l’être. Entre les politiques qui n’agissent pas et les activistes qui n’ont aucune politique, dans cette affaire, personne n’est sérieux. La responsabilité de ce fiasco incombe aux politiques. Ce sont eux qui, par leu inaction depuis des décennies, sont à l’origine de la pagaille dans laquelle nous nous trouvons. Si il y avait eu une véritable politique en matière d’immigration, on n’en serait pas là. Avoir une politique en matière d’immigration consiste à savoir ce que l’on veut et ce que l’on ne veut pas. Veut-on qu’il y ait des lois à ce sujet et si oui est-on prêt à les appliquer ?  Depuis cinquante ans, les politiques ont été incapables de répondre clairement à ces questions. Cette incurie se manifeste par ce qui tient lieu de pensée : la question du populisme et du complotisme. On se veut sans haine, mais on est dans la haine contre la haine. On veut lutter contre le complotisme. Mais, on voit dans le complotisme un complot contre la démocratie. On veut être contre le populisme, mais on fait à cette occasion du populisme antipopuliste.

Dans un contexte marqué par la loi contre le séparatisme, dissoudre Génération Identitaire n’est-ce pas une façon pour le gouvernement de montrer qu’il n’est pas anti-islam en donnant des gages à ce sujet ?

La question des frontières est une chose, celle de l’Islam une autre. Un certain nombre d’associations antiracistes aimeraient que ce soit la même. Elles aimeraient pouvoir tout mettre dans le même sac. Ils aimeraient pouvoir dire que vouloir défendre la loi et les frontières cache une attitude raciste antimusulmane. On peut fort bien vouloir défendre la loi et les frontières sans être antimusulman ni raciste. Le gouvernement a comme projet de dissoudre Génération identitaire.  Si c’est un coup politique, c’est une mauvaise idée. En instrumentalisant le rejet de l’extrême droite pour plaire aux musulmans et les apaiser, il risque de faire le jeu des associations d’aide aux migrants. En faisant leur jeu il risque d’attiser l’extrême droite qu’il prétend vouloir éteindre. Encore une fois, la question est celle de la loi. Est-on prêt à la respecter et à la faire respecter ? Ou les coups politiques sont-ils plus importants que la loi ? Est-on prêt à faire respecter l’État de Droit qui repose sur le respect de la loi et de son application ? Ou faire de la com. est-il plus important que la loi ?

Y a-t-il un risque du deux poids, deux mesures entre les identitaires « traditionnels » et les néo-identitaires antiracistes qui représentent eux aussi un risque politique que sous-estime Darmanin ?

Une fois encore, il importe de ne pas tout mélanger. Le terme identité utilisé par Génération Identitaire n’a pas le même sens que le terme identité utilisé par l’antiracisme. Quand Génération identitaire parle d’identité, il s’agit de l’identité nationale. Quand, l’antiracisme parle d’identité il entend par là la liberté individuelle. Dans un cas, l’identité consiste à se dire français, dans un autre elle consiste à être ce que l’on veut. Il apparaît clairement qu’il y a là deux principes inconciliables. Pour l’identité nationale, l’identité nationale est au-dessus de l’identité individuelle. Pour l’identité individuelle, l’identité individuelle est au-dessus de l’identité nationale. Aujourd’hui, il est évident qu’entre ces deux identités il y a deux poids deux mesures. La doctrine officielle est libérale et non nationale. L’identité nationale, est l’ennemi. Trump et Biden aux Etats-Unis peuvent dire tous deux : « America First ». Cela passe. L’Amérique défendant la liberté individuelle, défendre l’Amérique c’est défendre l’individualisme libéral. En France, quand on dit « Les Français d’abord », on est immédiatement classé à l’extrême droite. Immédiatement, l’individualisme libéral est mis en avant pour contrer l’identité nationale. Cette opposition est d’autant plus ancrée quelle est politiquement très efficace. Le pouvoir libéral de droite et de gauche qui est au pouvoir a besoin de l’extrême droite et de l’identité nationale pour se légitimer. En 2017, l’élection présidentielle s’est jouée autour du débat Marine Le Pen Emmanuel Macron. On n’en est pas sorti et tout donne à penser que ce débat va se reproduire avec probablement le même résultat.  La politique actuelle a besoin qu’il y ait des identitaires nationalistes pour faire passer l’identité libérale et conquérir le pouvoir grâce à elle. Ce jeu fait que la France est aujourd’hui incapable d’avoir une politique en matière d’immigration, de régler la question des frontières et de faire respecter l’État de Droit, le jeu politicien avec ses arrière-pensées paralysant l’action publique.  On ne peut pas à la fois être contre l’extrême droite pour en se félicitant qu’elle existe afin de s’en servir comme repoussoir pour se faire élire.

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