Dialogue mal maîtrisé avec l’islam : la République menacée par les pièges imaginés par Michel Houellebecq<!-- --> | Atlantico.fr
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Le dialogue du gouvernement est mal maîtrisé avec l’islam.
Le dialogue du gouvernement est mal maîtrisé avec l’islam.
©REUTERS/Vincent Kessler

Soumission

Ce lundi 15 juin, le gouvernement lançait son "instance de dialogue avec le culte musulman". Au même instant, Dalil Boubakeur, président du Conseil français du culte musulman, proposait sur Europe 1 d'utiliser les églises vides pour en faire des mosquées. Un scénario qui n'est pas sans rappeler celui d'un certain Michel Houellebecq.

Bernard Godard

Bernard Godard

Bernard Godard a été fonctionnaire jusqu'en 2008 au ministère de l'intérieur : d'abord officier de police aux RGX jusqu'en 1997, puis chargé de mission en cabinet ministériel (1997-2002) puis au Bureau central des cultes en charge des relations avec le culte musulman.
 
Il est l'auteur de La question musulmane parue en février 2015 chez Fayard, mais également co-auteur du Dictionnaire géopolitique de  l'islamisme (Bayard 2009) sous la  direction d'Antoine Sfeir et de Les musulmans en France (Robert Laffont, 2007 réédition Hachette pluriel  2009) avec Sylvie Taussig.
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Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel) ou L'islam devant la démocratie (Gallimard, 2013).

 

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Lundi 15 juin, le président du CFCM a proposé d'exercer le culte musulman dans des église vides. Dans "Soumission", Michel Houellebecq décrit comment l'islam serait parvenu à s'installer dans le vide né du recul du religieux dans la société française. La déclaration de Boubakeur tend-elle à lui donner raison ?

Guylain Chevrier : Je crois qu’elle donne surtout tord à la République de ne pas défendre les valeurs qu’elle porte et qui sont supérieures à toutes les religions réunies, en matière de garantie des libertés pour tous. La laïcité est au cœur de la défense de ces libertés en écartant l’irrationnel du pouvoir politique à maintenir la religion à distance de celles-ci. Evidemment, cette demande de Dalil Boubakeur constitue une véritable provocation, après avoir réclamé de l’aide aux pouvoirs publics à la tribune du congrès de la très islamique UOIF pour construire 2000 nouvelles mosquées qui manqueraient prétendument en France. Il se livre là encore à une surenchère, alors qu’il a été très contesté et qu’il se doit à présent de donner des gages à l’islam organisé qui lui a reproché sa modération. On voit comment cette officine qu’est le CFCM, créé pour soi-disant permettre d'huiler les relations entre l’islam et la République, est en fait devenue une machine politique au service d’un groupe de pression, au service d’un islam de plus en plus revendicatif en matière d’accommodements déraisonnables avec la société française. Imaginer un instant, si des chrétiens proposaient de transformer des mosquées en églises, les réactions ! On accuserait de racisme, de blasphème, on aurait des émeutes dans les quartiers.

La République elle-même tend à donner malheureusement raison à M. Boubaker, car elle ne fait pas grand-chose pour freiner un mouvement d’affirmation de l’islam communautaire en France faisant groupe de pression, en y assignant tous les originaires de pays d’islam, croyants ou non, pratiquants ou non. Cet encouragement se fait par petit pas, par mille actions des élus sur le terrain, que le clientélisme conduit à céder aux demandes réitérées de groupes organisés. Mais aussi, par des concessions de l’Etat, comme celle révélée par le plan laïcité de la ministre de l’Education Nationale, dont la principale mesure en matière de contenu est le renforcement de l’enseignement dit « laïque » du fait religieux à l’école, dans le prolongement d’un rapport de Régis Debray de 2002 qui voyait à travers l’enseignement religieux une meilleure intégration des élèves issus de l’immigration. Une belle catastrophe, si on regarde les résultats depuis en termes de progression de la séparation selon les différences, comme les incidents de la minute de silence au moment des événements de janvier dernier l’ont mis au jour ! Manuel Valls a salué la convention citoyenne élaborée en mai 2014 par le CFCM, qui affirmait que le Coran reconnait l’égalité hommes –femmes, un scandale. Sans doute pour éviter de poser un des problèmes au cœur de toutes les religions, leur caractère patriarcal, et qui est donc bien un problème aussi avec l’islam. Il suffit à n’importe qui de lire la sourate 4 du Coran pour s’apercevoir de cette supercherie. Combien de jeunes filles devraient être alertées sur cet aspect, encouragées à l’émancipation vis-à-vis de dogmes religieux contraires à leurs libertés, à des libertés dont elles ont la chance que la République les assure, et contribuer ainsi à l’évolution du culte auquel elles se réfèrent ! Encore une occasion perdue d’affirmer les valeurs de la République comme pouvant se faire aimer, parce qu’elle constitue face au pouvoir religieux la garantie de leurs droits à l’ensemble des citoyens quelle que soit leurs couleurs, origines, religions, ce progrès formidable de l’histoire conquis de hautes luttes.

Bernard Godard : Non bien sûr. C'est une déclaration provocatrice de plus de Dalil Boubakeur, comme il en a pris l'habitude depuis quelques temps. Déjà il y a deux ou trois mois il avait affirmé qu'il fallait doubler le nombre de mosquées dans les deux ans ! Les choses ne se posent heureusement pas en ces termes. Il y a des endroits bien pourvus en lieux de culte musulmans, d'autres moins, surtout dans les zones de tissu urbain dense, comme en région parisienne. Les choses se passent plutôt bien dans l'ensemble. Le "rattrapage"  en lieu de culte pour nos compatriotes musulmans se fait plutôt à un rythme satisfaisant (1500 lieux de culte en 2005, 2500 aujourd'hui). Arrêtons de fantasmer sur l'envahissement ou de le nourrir. Le nombre de chapelles désaffectées transformées en mosquées se comptent sur  les doigts d'une main. En outre ce n'est absolument pas une demande de la part des associations musulmanes. On ne parle pas, par exemple, de la progression encore plus spectaculaire des lieux de culte évangéliques. Maintenant que le taux de religiosité a baissé de manière significative chez les gens de culture catholique, c'est une réalité. Mais il y a, et les manifestations contre le mariage pour tous l'ont prouvé, aussi un retour d'une morale religieuse chez les jeunes catholiques.

Philippe D'Iribarne : Ce propos paraît étrange, venant d’un homme qui ressemble plutôt à un politicien madré qu’à un idéologue prêt à en découdre. Je ne pense pas qu’il ait envie de convaincre les Français que ce sont Michel Houellebecq, Eric Zemmour ou Marine Le Pen qui dévoilent le vrai visage de l’islam, quand ils invoquent sa volonté de conquête d’un Occident trop mou pour lui résister. Pourtant, s’il avait cette intention, Dalil Boubakeur ne s’y prendrait pas autrement. Alors que, sondage après sondage, on voit combien les Français se méfient de l’islam, et en particulier supportent mal son manque de discrétion dans l’espace public, il agite un chiffon rouge. S’approprier les lieux de culte d’une autre religion représente un symbole fort de la prise de contrôle d’un territoire ; quand les Turcs se sont emparés de Byzance, ils ont transformé Sainte-Sophie en mosquée.

En quoi l'islam propose-t-il un modèle alternatif capable de remplir les églises ?

Guylain Chevrier : L’islam est présenté comme une religion qui serait la nouvelle dignité face à une République désignée comme discriminatoire, à vouloir imposer le droit commun au-dessus des religions. Partout dans ce que l’on pourrait appeler « le monde musulman » l’islam est religion d’Etat et donc à la source du pouvoir politique. Ce n’est rien d’autre que ce que dit d’ailleurs le vice-président du CFCM, M. Chems-eddine Hafiz, dans un livre écrit avec Gilles Devers, Droit et religion musulmane à savoir : « Le droit est sans prise sur la foi ». Ce qui se passe depuis le printemps arabe dans les pays qu’il concerne, tourne pour l’essentiel autour de cet enjeu. Celui de l’édification d’un Etat de droit digne de ce nom, autrement dit, dégagé de la tutelle de la religion, seule façon qu’il joue son rôle en remplaçant la source du pouvoir tiré d’un dieu par la souveraineté du peuple.

On ne cesse de rabattre des difficultés sociales de certaines populations immigrées ou issues de l’immigration, sur le versant de la discrimination religieuse, 2% seulement pourtant selon le défenseur des droit. Ceci, à travers un discours de victimisation qui encourage au ressentiment collectif, dont le simplisme fait recette, et sert de chantage permanent à des concessions à cette religion. Il se crée sous cette logique tout un mouvement d’adhésion d’autant plus encouragé qu’il y a de concessions des pouvoirs publics et des représentants de la nation sur le terrain, qui constituent autant d’arguments de validation de cette idéologie politique. Comme en toute période de crise, certains voient là l’opportunité de s’emparer d’une foule en fabriquant un sentiment collectif de revanche derrière cette théâtralisation. On vise à faire se tromper de colère les musulmans, sur lesquelles s’appuyer pour prendre du pouvoir politique au nom d’une religion, qui va se retourner contre eux demain sans aucun doute, autant que contre notre société. Derrière cela il y a de quoi remplir bien des églises par des musulmans si on laisse cette idéologie de l’islam politique continuer de faire son œuvre.

Bernard Godard : Je ne pense pas qu'on puisse parler de l'islam comme d'un "modèle alternatif" susceptible de remplir les églises. En revanche il est vrai qu'on ne  peut  pas comparer une mosquée à un simple oratoire. C'est un lieu de rassemblement collectif et il s'y déroule un tas d'activités telles que des enseignements, en particulier de la langue arabe. On y trouve même dans certaines des salles louées à l'occasion de fêtes telles que les mariages, des commerces ou des salons de thé. Quant à la fréquentation le vendredi à l'heure de la prière, elle est certes supérieure aux autres religions, mais c'est une heure à une heure et demie par semaine. C'est  tout.

Dans le même temps, les représentants de l'islam de France n'hésitent pas parfois investir le terrain de la victimisation. Le gouvernement a d'ailleurs annoncé que 9 millions d'euros seraient investis dans la protection des lieux de culte musulmans. En alimentant le mythe d'une islamophobie française, contrairement aux données officielles et aux sondages d'opinion, la République ne joue-t-elle pas un jeu dangereux ?

Guylain Chevrier : Effectivement, la victimisation est un moyen pour beaucoup de ceux qui sont censés représenter l’islam, d’éluder le débat de fond sur les enjeux de l’aggiornamento de cette religion vis-à-vis de la République, alors qu’il est urgent que des voix se fassent mieux entende en faveur de sa modernisation. Ceci d’autant plus alors que son courant dominant avec l’UOIF, proche des Frères musulmans, est en faveur d’un retour à la tradition et à une lecture littérale du Coran qui télescope nos droits et libertés, et constitue une véritable catastrophe pour notre vivre ensemble et notre cohésion sociale. L’argument de la multiplication des actes dits « islamophobes » a été sur-utilisé depuis les événements de janvier comme pour exorciser le risque d’avoir à s’expliquer sur une logique d’enfermement communautaire de plus en plus présente, qui pourrait être questionnée sur ce qu’elle crée de danger dans son ombre sur le fondement de la mise en procès permanente de la République. Le terme « islamophobie » est déjà on le sait hautement contestable puisqu’on peut le traduire par « délit de blasphème » et donc interdiction de la critique de cette religion, que d’aucuns n’hésitent pas à assimiler au racisme, comme le chanteur Abd al Malik dans le petit ouvrage qu’il a publié après les événements de janvier intitulé « Place de la République ».

Suivre cette victimisation au lieu de la modérer, en en rajoutant comme cela est fait, alors que 80% de ces actes sont des menaces et non des passages à l’acte, c’est encourager à penser que la France serait antimusulmane. Non qu’il ne faille pas prendre au sérieux le moindre de ces actes mais, par comparaison avec les actes antisémites qui sont dix fois plus nombreux, avec une large majorité d’agressions loin des simples menaces, il y a de quoi réfléchir au pourquoi d’une telle publicité. Avec cette annonce d’un investissement de 9 millions d’euros dans la protection des lieux de culte musulman, alors qu’aucun n’a connu d’attentat comparable à l’épicerie cachère de Vincennes, n’est-ce pas une aberration contre-productive, car elle justifie les déclarations alarmantes qui n‘ont aucun fondement réel. D’un autre côté aussi, cela peut diffuser chez nombre de Français non musulmans un ressentiment accru envers les musulmans au lieu d’apaiser les choses, face à cette exagération et nouvelles concessions des richesses publiques affectées à un culte, fusse pour sa protection, et les pousser un peu plus dans les bras du FN. On voit combien ce jeu auquel se livrent nos représentants est effectivement politiquement dangereux.

Mais surtout, à travers cette façon d’être en permanence à vouloir fournir des gages dans ce sens, on donne le sentiment de plus en plus aigu que la religion serait la première chose à considérer dans l’ordre de l’identité dans les rapports sociaux, derrière quoi la laïcité disparait. On accrédite aussi une drôle d’idée de la République qui ne satisfait plus personne, à la faire apparaitre comme molle, opportuniste, craintive. De tous les côtés ainsi, la République s’affaiblit.

Bernard Godard : Derrière le terme islamophobie se dissimule souvent, en fait, une sorte "d'idéologisation" des griefs dont seraient l'objet les musulmans. A savoir la continuation d'attitudes coloniales, l'acharnement d'une laïcité essentiellement tournée contre les musulmans ou encore une "islamophobie d'Etat" qui poursuit systématiquement les filles voilées. Mais si cette victimisation est surdimensionnée, il faut reconnaître que les actes anti-musulmans font quand même souci. C'est François Fillon qui a lancé la recension des actes anti-musulmans en 2010. Il était nécessaire que cela soit suivi, comme pour la communauté juive d'un programme de financement de la protection des lieux de culte musulmans. Maintenant, il reste à faire ça avec discernement, par exemple identifier les zones plus  particulièrement visées (certains lieux ont fait l'objet à plusieurs reprises d'agressions). Il faut aussi que les musulmans se dotent d'un organe similaire au SPCJ (service de protection de la communauté juive) pour s'organiser eux-mêmes dans ce sens. Je ne pense pas que les pouvoirs publics en France alimentent particulièrement le "mythe" d'une victimisation des musulmans. Ils sont plus souvent accusés d'islamophobie plutôt !

Philippe D'Iribarne : Parler d’islamophobie, c’est associer la méfiance envers l’islam à une phobie, donc à une maladie mentale. Si l’on veut rester dans le registre médical il serait plus juste de parler d’allergie à l’islam, avec tout ce qu’elle entraîne effectivement de pénible pour les musulmans, ou pour ceux qui paraissent tels. Mais les musulmans, ou du moins une partie significative d’entre eux, sont en bonne part dans une démarche contradictoire dans la mesure où ils veulent à la fois affirmer leur différence, entre port d’une tenue islamique, menus spéciaux, mise en cause du contenu des enseignements, et être traités comme des semblables. Ceux qui peuvent vraiment se plaindre de la situation qui leur est faite sont ceux qui, n’aspirant qu’à être des Français ordinaires, sont victimes de l’image de l’islam et des musulmans que donnent ceux qui résistent à ce mouvement d’intégration. Ces derniers ne se limitent pas aux partisans d’un islam violent mais comprennent aussi ceux qui s’attachent à la construction d’une sorte de contre-société islamique. Ce sont eux qui font un usage offensif des droits du citoyen et se plaignent d’avoir leurs droits méconnus pour tenter d’arracher au corps social ce que celui-ci n’est pas prêt à leur concéder. 

A Mayotte ce lundi, Manuel Valls a considéré qu'il fallait "faire la démonstration que l’islam est totalement compatible avec la démocratie, avec la République, avec l’égalité des hommes et des femmes, avec le dialogue". Est-ce vraiment à la République d'en faire la démonstration ? Que risque-t-on à récuser à l’islam la capacité et/ou la responsabilité de définir ce qu’il est ?

Guylain Chevrier : La République ne devrait pas s’occuper des religions, de leur place dans notre société jusqu’à en aider l’installation où l’organisation, car c’est corrompre ses principes, c’est ouvrir la voie aux mises en cause de ses fondements. Elle devrait tenir bon au contraire sur ses principes comme préalable à tout dialogue et y renvoyer les religions dont le nombre s’est multiplié sur notre sol depuis une vingtaine d’années. Nos institutions et le droit qui en découle garantissent la liberté de conscience, le droit de croire ou de ne pas croire et la liberté de culte, en prévoyant même des aménagements qui facilitent les choses aux religions, comme les associations à caractère cultuelle qui bénéficient d’avantages fiscaux. Croire pouvoir définir dans l’action de l’Etat ce que doit être telle ou telle religion, c’est s’égarer en rentrant dans la logique des communautés religieuses, ce qui se pratique en s’accélérant depuis une vingtaine d’années. L’Etat doit avant tout affirmer sa séparation avec elles au lieu d’une relation permanente qui lui échappe conditionnant ses choix. Barrer la route à un islam à visée communautariste et politique, c’est la bonne voie pour donner leur chance aux musulmans qui veulent trouver leur place dans la République de prendre l’initiative.

Bernard Godard : La "solubilité" de l'islam dans la République est une vieille lune. C'était déjà le titre d'un numéro de la revue Panoramique en 1998. Aujourd'hui, en est-on à la même problématique ? On peut se poser la question. Effectivement l'islam recouvre un phénomène civilisationnel et religieux d'une ampleur telle qu'on peut se demander s'il est traduisible dans la démocratie ou la République. Les religions en général n'ont jamais fait bon ménage avec les deux. Leurs logiques, leurs modes d'organisation, peuvent être très éloignées des idéaux des deux principes précédents. Peut-être que la question devrait être posée différemment : les musulmans de France veulent-ils privilégier la démocratie et la République par rapport à leur morale religieuse ? Personnellement, je crois qu'on tend vers cette conception. Il reste à préciser beaucoup plus précisément ce que  signifie être musulman dans une société démocratique et extrêmement sécularisée. Il manque  encore des contenus théologiques musulmans adaptés à l'Europe, continent le plus sécularisé du monde. 

Philippe d'Iribarne : Que peut-on attendre d’un islam pleinement compatible avec la démocratie et la République ? Qu’il respecte les droits de l’Homme et en particulier la liberté religieuse. Cette liberté est incompatible avec la loi islamique, qu’il s’agisse du droit pour un musulman de se convertir à une autre religion ou du droit pour une musulmane d’épouser un non musulman. Un signe fort d’une conversion sincère à la démocratie serait, pour les autorités musulmanes, de proclamer haut et fort qu’elles répudient ces dispositions. Or elles ne paraissent nullement disposées à le faire. Certes, une partie sans doute importante des musulmans européens sont assez occidentalisés pour accepter un tel renoncement aux préceptes islamiques, mais ceux qui s’expriment publiquement en ce sens sont menacés d’être vus comme de mauvais musulmans, voire comme des apostats, et de ne guère faire école. 

La République finit-elle par être instrumentalisée par incapacité/refus de comprendre la dimension politique de l'islam ?

Guylain Chevrier : Les ennemis de la démocratie savent la combattre en utilisant ce qu’elle permet de libertés qui constituent sa force et aussi sa faiblesse. La démocratie ne peut fonctionner que si tout le monde joue le jeu. L’islam politique est un danger pour nos libertés car son but est de mettre la religion au dessus-de nos lois, pour nous imposer une autre conception de la société où la liberté de critique des religions, liberté de pensée et d’expression seraient proscrites. Il s’agit pour ceux-là de refaire prendre pied par tous les moyens à la religion sur la société, pour pouvoir imposer aux citoyens leur façon de se comporter, de vivre, en les privant ainsi de leur libre choix. Si nous en arrivions là, ce serait l’enterrement de la laïcité et une marche arrière toute de l’histoire, de nouvelles pages sombres pour les libertés. Notre innocence n’a-t-elle pas été déjà perdue devant ce qui s’est passé en janvier dernier et depuis? Emmanuel Tood appelle au rassemblement de ceux qui ne sont pas Charlie par opposition à ceux qui le sont et seraient d’affreux racistes refoulés. Il met son discours au service des Indigènes de la République (1).

Dans ce prolongement, on ne cesse d’insulter ceux qui défendent la laïcité en faisant passer la critique de l’islam comme religion, qui est une liberté absolue, pour une forme de racisme et faire l’amalgame de cette critique essentielle avec une propagande de l’extrême droite, afin de bâillonner les esprits. Elisabeth Badinter, Caroline Fourest, Philippe Val, Michel Onfray… en font les frais. Ils se trouvent accusés d’être des propagandistes de l’extrême droite dans le dernier numéro du journal Politis. On sent l’atmosphère qui s’empoisonne, avec un climat délétère que les pouvoirs publics semble vouloir ignorer et s’avèrent incapables de contrer, pris dans l’engrenage des compromis et petits arrangements avec un islam officiel, de plus en plus politique, dont les revendications et pressions sont banalisées. A ne pas prendre au sérieux ce danger, on se prépare des lendemains qui déchantent, que ce soit par crédulité ou par démission.

1- Parti des Indigènes de la République : Conférence/débat exceptionnel avec Emmanuel Tood à la bourse du travail de St Denis (93), le vendredi 26 juin 2015 de 18h30 à 21h, “Après Charlie : La France, ses musulmans et l’islamophobie. Débat animé par Alain Gresh, avec Ismahane Chouder, vice-présidente d’Islam & laïcité et Rokhaya Diallo.

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