30 ans de diabolisation du Front national : quel bilan ? Regards croisés de Jeannette Bougrab et Julien Dray <!-- --> | Atlantico.fr
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30 ans de diabolisation du Front national : quel bilan ? Regards croisés de Jeannette Bougrab
et Julien Dray
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SOS antiracisme

Jeannette Bougrab est la ministre à la jeunesse et à la vie associative, Julien Dray est l'un des co-fondateurs de SOS racisme

Julien Dray Jeannette Bougrab

Julien Dray Jeannette Bougrab

Julien Dray est député PS de l'Essonne.

Jeannette Bougrab est Secrétaire d'Etat chargée de la Jeunesse et de la Vie associative.

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Atlantico : Marine Le Pen a obtenu 17,9 % des suffrages lors du premier tour de l'élection présidentielle. Est-ce la marque de l'échec de 30 années de diabolisation du Front national ? 

Julien Dray : On peut le lire comme cela, mais j’ai une autre lecture du vote Front National. On peut constater dans le vote de dimanche soir un vote urbain, de banlieue, qui est pour la gauche majoritairement, et qui est contraire à toutes les prévisions, telles qu’une désaffection, un désintérêt, une marginalité par rapport à la politique et dans le fonctionnement de la République. Finalement c’est l’inverse qui est arrivé. En revanche le vote Front National, qui était fort dans ces quartiers dans les années 1980, et qui était une réaction à un malaise social, à la violence, a reculé dans ces zones. Le vote FN aujourd’hui est un vote rural, éloigné de ces cités, et qui les vit comme une agression. On a donc finalement une France en mouvement, qui naît sous nos yeux, et une autre qui n’accepte pas cette nouvelle France.

Jeannette Bougrab : Non, ce vote symbolise davantage notre incapacité collective à entendre la majorité silencieuse. Ces Françaises et ces Français qui travaillent en toute humilité mais qui sont néanmoins victimes d’injustices sociales. Coluche plaisantait en disant que ce ne sont pas les fins de mois qui sont difficiles, mais les trente derniers jours ! Beaucoup de gens dans notre pays vivent dans des conditions très modestes. Ils subissent l’insécurité des territoires parfois abandonnés par la République. Nous devons parler à ces personnes. Je peux comprendre les peurs de nos compatriotes dont le nombre va bien au-delà des électeurs du Front national.

Nicolas Sarkozy avait fait reculer le Front national à 10,44% en 2007. Cinq années plus tard, Marine Le Pen obtient 17,9% des suffrages. Comment expliquer ce rebond ?

J.D. : On l’explique par deux choses, et tout d’abord les promesses non tenues. En 2007 une partie des électeurs Front National a voté pour Nicolas Sarkozy, parce que ceux-ci ont eu l’impression que certaines de leurs idées étaient passées dans le camp de Nicolas Sarkozy. En outre il donnait ce sentiment d’une énergie et d’une volonté nouvelles, qui allaient se mettre en mouvement. Mais rien n’a été tenu, y compris en matière de sécurité et de lutte contre la violence. Il y a donc une déception et un désarroi. Dans les quartiers populaires la gauche a pu juguler ce désarroi, mais dans les zones « rurbaines », la tentation est forte de désigner un nouveau bouc émissaire que représenteraient ces villes et ces cités.

Cependant, 18% des Français ont voté pour le FN, ce qui signifie que 82% n’ont pas voté pour Marine Le Pen. On ne doit pas les oublier. Près de 46% ont voté pour la gauche aujourd’hui. C’est à nous de rassembler toute cette gauche et de tendre la main à tous les républicains, ceux qui sont attachés à un fonctionnement plus transparent de la République. En outre il faut dire à toute cette France qui a peur de l’avenir que justement, elle a sa place, et qu’on ne va pas les reléguer, les oublier ou les laisser tomber. Enfin il faut être honnête, les ouvriers, notamment dans l’Est de la France, ont subi la mondialisation, les délocalisations, et ont vraiment l’impression d’en être les victimes. Là c’est le débat sur l’Europe, la politique industrielle, la politique pour l’emploi, qui est maintenant l’avenir.

J.B. : Contrairement à 2007, ce scrutin présidentiel s’inscrit dans un contexte littéralement extraordinaire : celui d’une crise économique et financière historique, comme nous n’en avons jamais connu depuis les années 1930. Elle a fragilisé notre tissu industriel et nos emplois. La peur du déclassement est réelle et gagne toutes les couches de la société. Les Français les plus modestes ont le sentiment d’être oubliés tant par la gauche que par la droite. Du reste, partout en Europe et même aux Etats-Unis, on a vu se développer une offre politique qui a tiré profit de ce terreau favorable. Le résultat se lit sous nos yeux. Il suffit de regarder la répartition du vote ouvrier en France. Le premier parti ouvrier de France est le Front national. Aujourd’hui, nous devons répondre à l’expression forte, sincère, je dirais même poignante de ce malaise populaire. 


Face à la stratégie de dédiabolisation mise en place par Marine Le Pen, le "combat politique" contre le FN doit-il changer de nature ? 

J.D. : Ne cherchons pas de qualificatifs outranciers qui, par leur emploi, peuvent bloquer les réflexions. Lorsqu’on traite quelqu’un de fasciste on bloque sa réflexion et donc sa capacité à faire évoluer les choses. Il faut dire que les dirigeants du FN pratiquent et vivent sur des politiques xénophobes, montrer à leurs électeurs qu’ils portent alors une responsabilité, et en quoi il se trompent et vont dans une impasse. Nous devons convaincre ceux qui votent Front National qu’ils se sont trompés et qu’ils ont leur place dans une communauté nouvelle.

J.B. : Je ne conçois pas mon engagement politique ainsi. J’essaie de convaincre mes compatriotes de notre efficacité à résoudre les problèmes qui les touchent au quotidien. Nicolas Sarkozy s’adresse au peuple de France et non à des communautés. Il est au-dessus de ces petits calculs, de ce clientélisme, de ce marketing politique propre au parti socialiste.

M.S.: Lorsque l’on voit, sur le terrain, les difficultés qui entravent de plus en plus le vivre-ensemble jusqu’à parfois le rendre impossible, on réalise que ce qui se joue pour les citoyens aujourd’hui, c’est l’avenir de la cohésion nationale. Le peuple français va-t-il demeurer un et indivisible ou va-t-il se disloquer ?

Tout pacte social est indissociable de l’existence préalable d’un pacte moral qui constitue son socle. Le pacte moral, c’est un ensemble de principes et de valeurs qui ont été sculptés par l’histoire, qui lient les individus entre eux et qui en font un corps politique. L'ensemble de la classe politique doit donc oeuvrer à réhabiliter ce pacte moral.

L’avenir des partis politiques, et a fortiori le destin personnel des hommes et femmes politiques, n’est rien au regard de cet enjeu majeur qui, à coup de renoncements et de lâchetés, dans une époque marquée par le retour de l’esprit munichois, nous a amenés au bord du précipice. Les citoyens doivent s’élever au plus vite au-dessus des intérêts partisans et des clivages traditionnels. L’engagement au service de l’intérêt supérieur de la nation doit primer.

Dans ces conditions, comment l'UMP peut-elle s'adresser aux électeurs FN du premier tour pour les convaincre de voter pour Nicolas Sarkozy au second ?

Jeannette Bougrab : En respectant le choix de ces Français, en comprenant leur message. La force du Front National est d’avoir su briser des tabous et parler des sujets qui préoccupent nos compatriotes : la montée du communautarisme, le chômage, l’immigration, l’Europe… Le politiquement correct nous tue. La France montre une certaine immaturité à refuser d’évoquer ces sujets. Et la gauche stigmatise systématiquement ceux qui en parlent.

Nous devons proposer des mesures concrètes pour les Français les plus modestes qui sont les premiers touchés par la crise économique et financière, par l’insécurité dans les quartiers… Par exemple, la comparution immédiate des mineurs délinquants, l’accès à la formation qualifiante pour les chômeurs et les sanctions pour ceux qui refusent un emploi…

Le PS doit-il plutôt rester sur une ligne sobre telle que celle engagée par François Hollande qui envoie de discrets signaux aux électeurs du FN ou suivre la tendance engagée par Benoit Hamon constatant qu'une majorité d'électeurs FN sont xénophobes ou par Eva Joly parlant de honte pour la France en évoquant le score de Marine Le Pen au premier tour?

J.D. : Je suis contre les qualificatifs outranciers, les caractérisations rapides. Incontestablement, derrière l’électorat du FN se cache un vote xénophobe, de rejet de l’autre, de désignation de l’autre comme responsable à la vindicte populaire, et aussi une France qui a du mal à accepter la modernité et la diversité qu’elle doit être dans l’avenir. On doit la respecter, au sens où il faut lui montrer qu’elle a tort. Il ne s’agit ni de la courtiser ni de la draguer, mais de la convaincre de changer d’avis. Pour cela nous devons constituer une force qui montre qu’il y a de la place pour tous ceux qui veulent croire en cet avenir commun.


Le mouvement antiraciste des années 1980 n’a-t-il été finalement contre-productif, en exacerbant un certain agacement ? C’est d’ailleurs un reproche qui était fait à François Mitterrand, d’avoir attisé volontairement le combat antiraciste pour provoquer une montée de ces votes contestataires, au détriment de la droite…

J.D. : Toujours cet éternel débat de l’œuf et la poule, ou des Juifs qui créent l’antisémitisme. En outre, pour être honnête, bien que présentes ces dernières années, les associations antiracistes n’ont pas occulté le devant de la scène comme elles l’ont fait dans les années 1980. Par ailleurs elles ont fait leur travail en empêchant la progression du racisme, par un rappel à l’ordre salutaire. Non, ce sont plus la crise sociale et la montée de la violence qui sont responsables de la montée du vote FN.

Quant à François Mitterrand, il est mort en 1995. On ne peut le rendre responsable de tout. Ce serait d’ailleurs ennuyeux : depuis il y a eu 10 ans d’exercice du pouvoir par la droite…

J.B. :Oui car il a d’abord été l’instrument politique du parti socialiste avec François Mitterrand. Il a ensuite trop souvent fait le jeu des communautarismes, on en voit le résultat aujourd’hui, au détriment d’une véritable intégration républicaine. Je pense notamment à la laïcité. La position initiale de SOS racisme à la fin des années 80 sur le voile a été désastreuse. Ces mouvements ont déserté les quartiers populaires au profit des salons parisiens.

Propos recueillis par Romain de Lacoste

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