Realpolitik
Destruction des églises, détection des homosexuels… sommes-nous beaucoup trop complaisants avec les projets de nos alliés des pétromonarchies du Golfe ?
Une commission du Conseil de coopération du Golfe s'est réunie lundi 11 novembre à Mascate, dans le sultanat d'Oman, afin de discuter de l'instauration possible d'un examen médical pouvant "détecter" l'homosexualité. Les expatriés homosexuels déclarés ne pourront s'installer sur leurs territoires. Une politique de durcissement idéologique destinée à rassurer les franges radicales de ces pays.
Karim Sader
Karim Sader est politologue et consultant, spécialiste du Moyen-Orient et du Golfe arabo-persique. Son champ d’expertise couvre plus particulièrement l’Irak et les pays du Golfe où il intervient auprès des entreprises françaises dans leurs stratégies d’implantation et de consolidation.
Atlantico: La commission chargée des travailleurs immigrés des pays du Golfe (Qatar, Koweit, Barheïn, Oman, Émirats Arabes Unis, Yémen) s’est réuni lundi 11 novembre afin de discuter d’un possible projet d’interdiction des homosexuels sur leurs territoires. Ce projet illustre-t-il un raffermissement idéologique dans ces pays ou est-ce une démarche purement médiatique ?
Karim Sader :Tout d’abord, nul besoin d’être sorcier pour se rendre à l’évidence que les systèmes politiques en vigueur dans les pétro-monarchies du Golfe se situent, pour la plupart – bien qu’à des degrés différents selon les pays – aux antipodes des valeurs véhiculées par les démocraties libérales occidentales en termes d’Etat de droit. Et ce, tant au niveau du droit des femmes, des travailleurs immigrés, ou encore des minorités religieuses, qu’à l’échelle des libertés individuelles avec une pratique de l’homosexualité considérée dans ces pays comme un délit sévèrement puni par la loi. Ça n’est donc pas une nouveauté.
Pourquoi fustiger l’homosexualité en particulier?
S’exprimant devant une délégation venue du Koweït, le cheikh Abdul Aziz ibn Abdullah, grand mufti d’Arabie saoudite, a déclaré en septembre dernier qu’il "est nécessaire de détruire toutes les églises de la région". Cette proposition serait en accord avec la règle wahhabite séculaire annonçant que l’islam est la seule religion praticable dans la péninsule. Quelle visée porte cette déclaration ? Et peut-on imaginer qu’une telle proposition voit le jour ?
Face à ces différentes atteintes aux libertés individuelles, très médiatisées, l’Europe devrait-elle réagir ?
L’on sait bien que la pratique de la realpolitik exclue toute forme d’ingérence dans les affaires internes d’un pays. La question doit donc être posée aux responsables de l’Union européenne : sont-ils prêts à compromettre les nombreux intérêts qui les lient à cette zone hautement stratégique au nom d’une diplomatie droit-de-l’hommiste ? Il est bien sûr possible pour l’Europe de faire part de son mécontentement. Je crains en revanche que compte tenu des déboires que traverse actuellement la zone euro doublée d’une incapacité des Européens à s’exprimer d’une voix commune en matière de diplomatie ne compromettent la volonté d’exercer des pressions politiques sur des Etats dont les capitaux sont accueillis à bras ouverts sur le Vieux Continent…
Si le ministre des Affaires étrangères belge, Didier Reynders, tout comme Amnesty International, ont dénoncé cette initiative "scandaleuse", les réactions européennes face à l'établissement d'un examen médical pour homosexuels n'ont pas été nombreuses. Ce manque de réactions face à ces déclarations sous-entend-il qu’il règne aujourd’hui en Europe ou en France une forte complaisance vis-à-vis des pétro-monarchies du Golfe ? Pour quelles raisons?
Je ne sais pas si l’on peut parler de complaisance. C’est effectivement le cas si l’on compare la différence de traitement de la diplomatie française à l’égard d’un pays comme l’Iran en matière de droit de l’homme avec une certaine forme de tolérance vis-à-vis des monarchies du Golfe. Loin d'être exemptes de tous reproches en matière de démocratie.
Il ne faut pas donc pas se voiler la face, ici c’est la realpolitik qui prévaut. Outre les intérêts économiques qui lient le CCG à l’Hexagone, les pétromonarchies sont un partenaire stratégique de la France en matière de politique régionale, je pense en particulier à la volonté commune à la fois de renverser le régime de Bachar al-Assad en Syrie et de neutraliser les ambitions de l’Iran chiite – d’où la grande satisfaction de ces pays exprimée à l’égard de l’attitude jusqu’auboutiste de la France à l’issue des dernières négociations autour du nucléaire iranien.
Pour conclure, il existe toutefois certains moyens de pressions destinés à faire entendre son mécontentement vis-à-vis de certains agissements internes des pétro-monarchies : c’est d’abord et surtout de préférer et d’approfondir des relations avec certains pays faisant davantage d’effort sur la question des droits de l’homme au détriment d’autres. Jouant ainsi sur la rivalité très forte qui existe entre ces pays. Par ce biais la diplomatie française peut signifier son mécontentement et essayer d’influer sur la balance.
Il s’est révélé utile de montrer au Qatar récemment un certain nombre de réticences, notamment sur la question du sort des travailleurs émigrés, en remettant en question la politique du tout Qatar menée ces dernières années sous le mandat de Nicolas Sarkozy et en répartissant nos cartes vers d’autres pays comme les Emirats Arabes Unis.
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