Pourquoi toutes les villes de France sont susceptibles d’être touchées par une émeute<!-- --> | Atlantico.fr
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La ville d'Amiens (Picardie) a été la théâtre de violences urbaines dans la nuit de lundi à mardi.
La ville d'Amiens (Picardie) a été la théâtre de violences urbaines dans la nuit de lundi à mardi.
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Après Amiens...

La Poste ne distribue plus les colis dans un quartier de Carrières-sous-Poissy (Yvelines) depuis quelques semaines. Un choix partagé par des médecins, chauffeurs de bus ou pompiers, qui préfèrent éviter certains quartiers dits "sensibles". Comment expliquer ce phénomène ?

Mohamed Douhane

Mohamed Douhane

Mohamed Douhane est commandant de police, Secrétaire national du syndicat Synergie officiers et enseignant-conférencier en management de la sécurité et de la gestion de crise.


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Atlantico : La Poste ne distribue plus les colis depuis plusieurs semaines dans certaines rues d'un quartier de Carrières-sous-Poissy (Yvelines) pour des raisons de sécurité. Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Est-ce un phénomène qui vous étonne ?

Mohamed Douhane : Toutes les violences qui touchent les chauffeurs de bus, les employés de la Poste, les médecins, le Samu… sont récurrentes et ne datent pas d’aujourd’hui. Elles ont commencé au début des années 1980, dans un contexte d’apparition des violences urbaines, en  particulier dans la région lyonnaise. Les villes de Vénissieux et de Villeurbanne ont été particulièrement touchées.

Depuis, elles n’ont cessé de se développer sur tout le territoire national.

Certaines régions sont-elles particulièrement touchées ?

Cela a commencé dans la région lyonnaise pour se déplacer, dans les années 1990, dans la région parisienne. En 1991 à Sartrouville, il y a eu des violences après la mort d’un jeune de 18 ans abattu dans un centre commercial par un vigile. Ensuite, il y a eu Mantes-la-Jolie… Tout un cycle de violences qui ont fait suite à des morts de jeunes. Avec ensuite bien sûr l’épisode très médiatisé des violences urbaines de novembre 2005. Depuis, il y en a eu sur tout le territoire, autant dans des villes de la région parisienne qu’en province : Melun, Avigon, Rouen… A chaque fois, le décès d’un jeune est l’évènement déclencheur des émeutes.

Mais dans le cas de ces quartiers non desservis par la Poste, il s’agit plus d’insécurité quotidienne que d’émeutes.

Les émeutes urbaines s’inscrivent dans la durée et dans un contexte d‘insécurité généralisée. Elles sont un peu une cocotte-minute qui explose, après un contexte d’insécurité marqué par une petite et moyenne délinquance enracinée dans la vie quotidienne de ces quartiers.

Toutes ces violences qui touchent les policiers, les postiers ou les chauffeurs de bus s’inscrivent dans un cycle de défi à l’autorité. C’est un moyen pour ces jeunes délinquants d’affirmer leur autorité sur un quartier. Cette hostilité se caractérise par des caillassages, des échauffourées, des agressions… Ca touche principalement les pompiers et les policiers, mais les employés de la Poste sont aussi victimes de l’insécurité au quotidien, et certains médecins urgentistes refusent d’entrer dans ces quartiers.

Autant on peut comprendre que s’attaquer aux policiers soit un moyen de « défier l’autorité », mais les chauffeurs de bus ou les médecins n’ont rien à voir avec l’état, non ?

Ils s’attaquent en fait à l’autorité des adultes en général. Car ce sont souvent des mineurs qui sont concernés.

Mais ne sont-ils pas les premières victimes de leurs agissements, lorsque plus aucun postier, médecin, infirmier ne veut entrer dans leur quartier ?

En fait, ils cherchent à mettre en coupe réglée un quartier. Ils cherchent à substituer leur loi à celle de la République, par la violence. C’est une logique de terre brulée.

Il faut quand même ne pas oublier qu’en novembre 2005, il a eu des dizaines de bâtiments publics qui ont été brulés. A Amiens, ils ont brûlé une école et une crèche. Et en novembre 2005, ils ont brulé une église. C’est pour eux une volonté de contester l’autorité de l’Etat : ils s’en prennent aux symboles de la puissance publique.

Ces violences ont-elles seulement un caractère social ?

Non, ces violences n’ont pas un caractère social : elles s’inscrivent dans un contexte socio-économique dégradé. Ca ne veut pas dire que les causes sont sociales.

Pourtant, des villes comme Amiens ou Avignon n’ont pas l’image de ghettos, contrairement à certaines villes de la banlieue parisienne.

Ah si, contrairement à ce qu’on pense, il y a des véritables ghettos dans des petites villes de province. Toutes les concentrations urbaines construites dans les années 70 ont généré des ghettos bien répartis sur tout le territoire. Quand vous pensez à Toulouse, vous vous imaginez autour d’une table à manger un cassoulet, mais c’est une image d’Epinal qui n’a rien à voir avec le quartier du Mirail. Concernant Paris, mes amis journalistes américains s’imaginent la plus belle ville du monde, s’imaginent le Moulin Rouge et Montmartre, mais pas le square Léon, dans le 18e arrondissement, où les policiers sont régulièrement caillassés.   

Dans ces quartiers, un chauffeur de bus qui demande son ticket à un jeune dans le bus est pris pour un provocateur. La règle est de fermer les yeux.

Quelles sont donc les autres causes de ces violences ?

Je pense qu’il y a un vrai problème d’exercice de l’autorité parentale. A partir du moment où des jeunes s’attaquent à l’autorité publique, c’est qu’à l’origine l’autorité parentale a du mal à s’exercer. On a donc des jeunes sans repères, qui considèrent que la violence est un mode d’expression normal, et toujours dans un contexte victimisant. Ils ont un discours assez déroutant. On a l’impression qu’ils sont constamment en état de légitime défense, mais ils oublient que leurs victimes sont souvent issues du même quartier qu’eux. Ces jeunes nourrissent un profond ressentiment à l’égard de la société française.

Comment justement expliquer qu’ils se plaignent constamment d’être laissés-pour-compte, alors qu’ils attaquent eux-mêmes les services publics ?

C’est un discours victimisant que leur ont servi des générations d’adultes. C’est une idéologie de l’excuse, qui consiste à vouloir trouver des excuses atténuantes à des actes inqualifiables. Ces excuses partent d’un discours victimisant sur la crise sociale, sur l’exclusion scolaire, sur les insuffisances de la politique de la ville… Même si on sait que les causes de la délinquance sont multiples, et  même s’il est évident que le contexte économique joue un rôle non négligeable, vouloir réduire cette délinquance à des critères économiques est très réducteur.

En parlant de politique de la ville, un programme de rénovation de 336 millions d'euros a justement été mis en place en 2005 dans les quartiers Nord d’Amiens. Cela n’est semble-t-il pas suffisant.

On pourrait dire beaucoup sur la politique de la ville ! Grenoble est un exemple symptomatique. Le quartier de la Villeneuve, qui a flambé en juillet 2010, est un des quartiers construits pour les Jeux olympiques d’hiver de 1968. Il a été un laboratoire social, avec une concentration exceptionnelle de services sociaux et culturels. C’est de loin un des quartiers les plus développés de la région Rhône-Alpes sur ce plan-là. Ca n’a pas empêché les trafics de drogue ni les violences urbaines de 2010.

Y-a-t-il des villes à l’abri de ce type de violences ?

Non. Dans les années 70, ces quartiers étaient très concentrés. Aujourd’hui, toutes les villes de France sont susceptibles d’être frappées par des scènes de violences urbaines. Toutes. Grandes, moyennes ou petites. Voyez une ville comme Méru, dans l’Oise, qui fait partie des quinze Zones de sécurité prioritaires (ZSP) annoncées par Manuel Valls. Quand vous voyez Méru, ville classée en zone gendarmerie, vous ne vous dites pas qu’il y a un problème. Et pourtant…

Des scènes de violence comme à Amiens, il y en aura d’autres, et on n’est pas à l’abri d’émeutes comme en novembre 2005. Il ne faut pas oublier qu’on a eu ensuite Villiers-Le-Bel ou les affrontements de la Gare du Nord en 2007. Pendant la campagne, les médias n’en ont pas beaucoup parlé, pour ne pas doper la droite ou l’extrême droite, mais ce n’est pas pour autant qu’elles ont disparu. Il ne se passe pas une soirée en France sans violences urbaines. Pas une soirée sans que des policiers soient pris à partie, que des poubelles soient brûlés. C’est un phénomène récurrent et inquiétant et qui n’est pas prêt d’être réglé.

Et ça va en empirant. Les délinquants n’hésitent plus à utiliser des armes à feu. A Villiers-Le-Bel, les policiers se sont fait tirer dessus à la carabine – plus d’une centaine ont été blessés. A Amiens, du mortier a été utilisé. Aux Etats-Unis, dans une telle situation, il y aurait 50 morts.

Parmi les forces de l’ordre ou les délinquants ?

Du côté des délinquants.

Y-a-t-il donc un manque de répondant en France de la part des policiers ?

Non, il y a une doctrine d’emploi qui est différente. En France, on a la hantise du syndrome Malik Oussekine. On craint que la mort d’un jeune ne déclenche des émeutes encore plus violentes.

Mais si les forces de l’ordre répondaient également à ces violentes émeutes, les fauteurs de troubles ne finiraient-ils pas par se calmer ?

Oui. Mais il est difficile de comparer la France et les Etats-Unis. Le rapport à l’autorité est différent là-bas, et l’application de la sanction aussi.

En France, les violences urbaines prennent de l’ampleur depuis des années, avec des sanctions judiciaires qui paraissent bien faibles et inadaptées, et une justice des mineurs impuissante. Le taux de mineurs interpelés après les émeutes de 2005 était de 50%. Avec un taux d’application des peines ridicule dans certains départements.  

Propos recueillis par Morgan Bourven

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