Des déficits permanents à l’absence de stratégie européenne en passant par l'Eurovision : comment la France est devenue l’homme malade de l'Europe <!-- --> | Atlantico.fr
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La France est devenue l’homme malade de l'Europe.
La France est devenue l’homme malade de l'Europe.
©Reuters

Au chevet

Si le pays des Lumières n'est pas encore "marginalisé" à Bruxelles, le double discours permanent de ses dirigeants couplé à la faiblesse de ses perspectives économiques provoque une perte de vitesse de plus en plus préoccupante pour cet ancien moteur de la construction européenne.

Henri de Bresson

Henri de Bresson

Henri de Bresson a été chef-adjoint du service France-Europe du Monde. Il est aujourd'hui rédacteur en chef du magazine Paris-Berlin.

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Atlantico : Georges Soros, récemment interrogé dans le journal les Echos, qualifie la France "d'homme malade de l’Europe" en dépit de l'avantage qu'elle a à ne pas supporter les responsabilités du leadership de la zone euro. Un fait qui la rendrait selon lui autrement plus dangereuse que l'Espagne ou l'Italie actuellement. Comment expliquer un tel décrochage de la part d'un ancien moteur de l'Europe ?

Henri de Bresson : La question se pose finalement depuis une dizaine d'années, tant sur le plan de l'influence politique que sur celui du poids économique. La France cherche finalement depuis le début du quinquennat Sarkozy un moyen de réformer son modèle pour continuer à occuper sa place. Elle se retrouve désormais contrainte à des sacrifices que des pays comme l'Allemagne, mais aussi l'Europe du Sud (Espagne, Italie), ont réalisé à travers l'engagement d'efforts conséquents pour inverser le dévissage de leurs croissances. La France réalise simplement aujourd'hui que "c'est à son tour", mais rechigne toujours à engager des mesures similaires, en dépit des interrogations de plus en plus pressantes de ses voisins européens. C'est particulièrement vrai en Allemagne, où l'inquiétude va toujours croissante bien que l'agacement face au laissez-faire budgétaire de Paris n'y date pas vraiment d'hier. Cette hésitation amène plus largement un problème de discours, tant à droite qu'à gauche, nos dirigeants s'avérant incapable de penser un projet européen avec une France elle-même paralysée. Nous arrivons toujours à beaucoup nous activer sur des questions extérieures (Ukraine, Libye, Mali...) mais personne au sein de notre personnel politique ne semble pouvoir nous dire ce qu'il faudrait faire pour l'Europe. Si l'on est incapable de faire bouger les choses au niveau continental, il est évident que le poids de notre légitimité sur la scène internationale s'en trouvera de plus en plus discuté.

Jusqu'à quel point cette absence de réformes structurelles, soulignée de plus en plus vivement à Londres comme à Berlin, a-t-elle entamé la crédibilité de nos représentants ?

C'est là un problème qui, semble-t-il, a été pris en compte par François Hollande, ce dernier ayant tenté à travers le remaniement et la nomination de Manuel Valls de répondre entre autres aux attentes de réformes qu'ont nos partenaires. Toutefois, la présentation par le Premier ministre du plan d'économie n'a visiblement pas convaincu tout le monde, les reproches fusant déjà justement sur l'absence de "réformes structurelles". Ce décalage entre action et discours du monde politique français pose déjà problème en Europe depuis 10 ans. C'est d'autant plus regrettable alors que le tableau de notre situation n'est relativement pas si noir en comparaison de la plupart de nos voisins européens. Nous restons en dépit du déclin des dernières années un pays industriel, présent au Conseil de sécurité des Nations-Unies, disposant d'une force nucléaire et de capacités technologiques de pointe. Le problème est que nous avons toujours trop tendance à s'endormir sur ces lauriers, tandis que l'Allemagne, autrefois considérée comme un "nain", a su imposer son leadership à travers une profonde réforme de la structure de son économie. Pour l'instant Berlin sent qu'elle a toujours besoin de la France pour conserver les équilibres européens, la seule question qui compte étant de savoir pour combien de temps elle en aura encore besoin.

Toutes nos prédispositions ne valent donc évidemment pas caution pour éviter les réformes, puisque nos différents avantages ne font que décliner au fil du temps et cela se traduit d'ailleurs au niveau politique. Nous en restons toujours au temps des "demi-promesses" et des réformes à minima alors que le reste de l'Europe a déjà commencé à avancer. Si le quotidien des Italiens et des Espagnols reste aujourd'hui moins enviable que le nôtre, ils font partie des pays qui ont su s'engager pour renouer avec la croissance.

L'UMP comme le Parti socialiste semblent par ailleurs avoir du mal à proposer un réel projet communautaire à quelques semaines des élections européennes. Cette ambivalence de notre classe politique peut-elle aussi expliquer notre perte d'influence actuelle ?

J'aurais du mal à vous donner tort. Je ne cesse de regretter de voir que nos hommes politiques se refusent à porter une véritable vision de l'Europe, en particulier en ce moment. On voit pourtant que la campagne européenne en France a démarré tard (contrairement à l'Allemagne), sans défense d'un projet détaillé sur l'avenir de l'Union, et le plus souvent avec la superposition de thématiques et d'enjeux nationaux. On voit bien là une crise d'identité française qui se traduit par une crise politique difficile à nier aujourd'hui. Le double discours permanent de nos élus selon qu'ils soient à Paris ou à Bruxelles n'en est qu'une autre illustration.

La France a terminé bonne dernière à l'Eurovision, concours où les pays ont l'habitude de voter pour les candidats dont ils se sentent proches aux niveaux culturel et diplomatique. Si le fait est anecdotique, ne révèle-t-il pas étrangement une certaine marginalisation de l'Hexagone ?

Je modérerais ce constat. On observe que sur les questions internationales, la France continue de faire partie du "club" de ceux qui sont chargés de trouver les solutions, que ce soit en Ukraine, en Syrie ou sur d'autres théâtres. Si la question peut se poser, je ne parlerais pas de "marginalisation", mais plutôt d'une perte de vitesse qui se pose du reste à l'ensemble de l'Europe. On peut encore trouver de bonnes surprises, tant au niveau culturel (le cinéma français récompensé d'un Oscar) que dans celui de la pensée économique comme le montrent les débats que suscite actuellement Thomas Piketty à différents points du globe. Il ne faut pas pour autant se mentir et accepter le fait que la France est un pays de rayonnement moyen dans la mondialisation actuelle. Et cela vaut aussi au niveau européen. Les négociations actuelles sur le Traité transatlantique, et plus largement le débat qui en découle, démontre bien l'existence d'un réel questionnement sur les moyens de défendre nos spécificités culturelles mais aussi économiques.

François Hollande est ce mardi 13 mai en Géorgie notamment pour discuter du resserrement des liens entre cette ex-République soviétique et l'Otan. Faut-il s'inquiéter de voir la France reléguée comme opérant de seconde main alors que la crise bat son plein en Ukraine ?

Il est clair que l'Allemagne est davantage au premier plan, mais cela s'explique pour des raisons géographiques (sa proximité) et "émotionnelles" certains points de son histoire l’amenant naturellement à regarder à l'Est. L'activisme de Berlin sur ces questions est aussi à mettre en regard de l'impact, notamment économique, que peuvent avoir les événements ukrainiens en Allemagne en comparaison de la France où tout cela reste assez "lointain". Le déplacement des ministres allemands et français des Affaires étrangères lors des émeutes de Maidan semble démontrer que la parole française reste nécessaire lorsqu'il s'agit de faire parler la voix européenne. Nous n'avons donc pas été "absents" même s'il ne s'agit pas d'une remise en cause de notre sphère d'influence, davantage portée vers l'Afrique. L'époque Chirac était celle d'une plus grande prise en compte de la Russie, mais la situation a depuis évolué et la France se cherche d'une certaine manière. Il reste donc possible pour nous de continuer à "pousser" nos prérogatives, bien que cela soit logiquement difficile si l'on ne choisit pas dans le même temps de définir des ambitions européennes.

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