Derrière les hésitations sur les retraites, Emmanuel Macron, le président qui prenait le risque de sacrifier les jeunes au profit des vieux ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors d'une visite dy centre de formation d'Alister à Mulhouse, le 12 avril 2022.
Emmanuel Macron lors d'une visite dy centre de formation d'Alister à Mulhouse, le 12 avril 2022.
©Ludovic MARIN / AFP

Réformes

La retraite à 65 ans (désormais 64 ?) est-elle autre chose qu’un totem électoral relativement décorrélé de la réalité des enjeux financiers du système social français ?

Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il est chercheur associé du laboratoire ERUDITE. Il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de SUPELEC, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. 

Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire.

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Atlantico : En campagne pour le second tour, Emmanuel Macron a ouvert la porte à une retraite à 64 plutôt qu’à 65 ans, voire à un référendum sur le sujet. Est-ce le signe que cette mesure est plus de l’ordre du totem électoral que de la vraie nécessité économique ? 

Marc de Basquiat : Lors du premier tour, la stratégie du président-candidat était simple : reprendre au maximum le programme de sa plus dangereuse candidate de 2ème tour, à savoir Valérie Pécresse, pour assécher son électorat. Cette manœuvre a réussi au-delà de toute espérance. La retraite à 65 ans faisait partie du package. Deux jours plus tard, changement de pied pour conforter le maximum de votes de gauche pouvant être séduits par la posture plus « sociale » (traduire « économiquement non viable ») de Marine Le Pen.

Alors que Valérie Pécresse assumait avec cran un positionnement exigeant, à défaut de proposition plus créative pouvant faire consensus à droite, Emmanuel Macron gère sa campagne en tacticien pur. Il serait mal venu de lire au jour le jour dans ses déclarations plus ou moins spontanées des analyses de fond ou des convictions établies. En tous cas, ce n’est pas un économiste qui va vous éclairer sur l’efficacité de telle ou telle petite phrase à visée électorale.

Dans quelle mesure les réformes visant à repousser l’âge de départ à la retraite ont-elles un impact négatif sur l’emploi des jeunes ? 

Une étude européenne datant de 2016 a confirmé dans les chiffres une corrélation intuitive entre la prolongation de la carrière des seniors et la moindre offre de CDI pour les débutants. Les auteurs résumaient leur constat en une phrase : « décaler d’un an le départ en retraite de cinq séniors conduit l’entreprise à renoncer à l’embauche d’un jeune ». Bien sûr, il serait aberrant d’en déduire qu’il suffit d’instaurer la retraite à 50 ans pour résorber le chômage, mais on peut probablement partager le constat que prolonger contre son gré la carrière d’un salarié qui attend avec impatience le moment où il pourra s’occuper sérieusement de son jardin, de ses petits-enfants ou d’activités bénévoles n’est pas un bon calcul pour l’entreprise.

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A l’inverse – et le succès de l’apprentissage en témoigne – intégrer rapidement les jeunes dans l’entreprise ne présente que des bénéfices : pour le jeune, l’entreprise et la société dans son ensemble. Ainsi, contraindre par la loi les entreprises à dédier une part toujours plus importante de leur masse salariale à héberger des séniors qui ne songent qu’à passer à autre chose n’a pas de pertinence micro-économique.

Les responsables politiques ont tendance à s’arrêter au point de vue strictement budgétaire, en comptabilisant les milliards économisés en pensions de retraite versus ceux cumulés en cotisations, mais c’est une analyse partielle. Un économiste s’intéresse aussi à la dynamique des individus : les seniors démotivés et les jeunes frustrés. Comme toujours, le choix d’une politique se traduit par plusieurs effets – souvent contradictoires – dont il est difficile d’anticiper la résultante globale. Dans un concours de petites phrases électorales, il est évident que chaque candidat sélectionne un argument et pilonne sans nuance. Caricature contre caricature…

Une telle réforme risquerait-elle de sacrifier les jeunes, et plus largement les actifs, au profit des plus âgés ?

Il faut évoquer un deuxième effet pervers des systèmes de retraite. Une option classique, non évoquée dans le débat du moment, préconise de remplacer le système « par répartition » en instaurant un schéma de retraite « par capitalisation » : chacun amasse au cours de sa carrière un stock d’actions d’entreprises cotées, dont les dividendes versés chaque année sont transformés en rente une fois atteint l’âge de la retraite. Ce schéma dominant dans les pays anglo-saxons a eu pour effet de motiver les gestionnaires de fonds de pension à exiger une rentabilité toujours plus importante des entreprises dont elles financent le développement. Ainsi le management des grandes entreprises doit arbitrer entre la rémunération de ses salariés (dont les jeunes actifs) et celui d’actionnaires (dont les retraités via les fonds de pension).

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Ainsi, la nécessité de financer les années de retraite d’une proportion croissante de la population motive le développement de plusieurs mécanismes qui viennent en concurrence avec la volonté naturelle des actifs de « gagner sa vie par son travail ». La gestion de cet équilibre est éminemment politique, expliquant la remontée du sujet à ce moment de la campagne. Les plus âgés votant plus fréquemment que les jeunes, on ne peut que constater le poids politique prépondérant des premiers, ce qui explique que le niveau de vie moyen des retraités est depuis une décennie supérieur à celui des actifs. Ce n’est pas satisfaisant.

Quels contours pourrait avoir une réforme des retraites qui soit juste pour les actifs comme pour les retraités ? La proposition de Marine Le Pen de ramener l'âge de la retraite vers 60 ans est-elle raisonnable ? 

Il faut sortir de la caricature d’un système de retraite piloté par un seul paramètre : l’âge minimal de départ permettant de prétendre à une pension au taux plein. Un système de retraite, c’est quoi au fond ? Il s’agit d’une assurance contre le risque de vivre vieux. Ceux qui décèdent tôt financent ceux qui jouent les prolongations. J’aime poser le sujet en ces termes, pour dépasser la simple question budgétaire. Comment chacun de nous envisage-t-il sa fin de vie ? Quel niveau de ressources financière souhaite-t-il ? Quelle disponibilité pour ses différents projets de vie ?

Fin 2020, j’ai publié avec Generation Libre un rapport que nous intitulé « La retraite quand je veux ». J’y détaillais quelques principes permettant de définir un système de retraite équilibré par construction, équitable, simple et transparent. Le premier choix que nous avons posé est de donner toute liberté à chacun de partir à la retraite à la date de son choix, en sachant que sa pension sera calculée en fonction de la masse des cotisations versées pendant sa carrière et de son espérance de vie à cette date. Nous avons également expliqué que les inégalités constatées à cette période de la vie ne devaient plus être compensées par un effort contributif des actifs mais par une fonction redistributive intra-générationnelle, c’est-à-dire que les retraités aisés paient pour les retraités démunis. Nous y préconisions également le remplacement du système de la réversion par le principe d’un partage des cotisations retraites au sein du couple au cours des années de vie commune.

Partir à la retraite à 60 ou 65 ans, ce choix ne peut être fait rationnellement que par la personne elle-même. Restreindre le débat sur les retraites à une mesure arbitraire et autoritaire s’appliquant à tous est une hérésie morale et économique.

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