Dérives du soutien scolaire et soupçons de prosélytisme : le jour où Amine Elbahi a découvert les pratiques de l’association AIR à Roubaix <!-- --> | Atlantico.fr
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Amine Elbahi publie « Je ne me tairai pas ! Menacé de mort, il brise l'omerta face à l'islamisme » aux éditions Robert Laffont.
Amine Elbahi publie « Je ne me tairai pas ! Menacé de mort, il brise l'omerta face à l'islamisme » aux éditions Robert Laffont.
©Capture d'écran / AFP

Bonnes feuilles

Amine Elbahi publie « Je ne me tairai pas ! » aux éditions Robert Laffont. L'auteur a grandi dans un quartier de Roubaix, ville la plus pauvre de France. En août 2014, le départ de sa grande soeur pour rallier Daech en Syrie, marque le début de son engagement contre l'islam radical. Son cri d'alarme dans Zone interdite lui vaut un tombereau de menaces de mort. Extrait 1/2.

Amine Elbahi

Amine Elbahi

Amine Elbahi est juriste en droit public.

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Mon parcours de citoyen engagé à l’échelon local n’avait aucune raison de m’entraîner un jour dans une tempête politico-médiatique d’ampleur nationale. Je ne l’ai ni souhaité ni prémédité. Pour autant, il serait tout aussi faux de prétendre que ma présence dans le reportage de Zone interdite consacré à l’islamisme à Roubaix et le raz-de-marée de réactions et de polémiques que celui-ci a soulevé sont le fruit d’un parfait hasard.

Moins d’un an après l’élection de Guillaume Delbar à la mairie de Roubaix pour laquelle je m’étais dépensé sans compter, j’ai fait la rencontre d’une autre figure de la droite municipale. Hassan Khobzaoui, trente-cinq ans, m’a tout de suite séduit par son franc-parler et son parcours atypique pour un encarté UMP : ancien militaire de carrière, il était revenu dans le civil où il exerçait la profession de technicien de maintenance dans les travaux publics. Nous sommes immédiatement devenus amis. Hassan m’a fait part de son intention de briguer l’investiture de la droite et du centre pour les élections départementales de mars 2015 et du refus de Guillaume Delbar de soutenir sa candidature. Le maire avait en effet adoubé pour ce scrutin son premier adjoint, le très droitier et clivant MaxAndré Pick, par ailleurs déjà cumulard, puisque élu à la communauté urbaine. Ma proximité avec l’édile m’autorisait à lui demander les raisons de ce choix : pourquoi ne pas offrir l’investiture à un profil qui apporterait du sang neuf ? Delbar a justifié sa décision par des querelles d’ego et autres différends personnels internes au parti que j’ai jugés stériles, pour ne pas dire puériles. Sans pour autant renier ce pygmalion à qui je devais mes premiers frissons électoraux, j’ai décidé de soutenir publiquement la campagne dissidente de Hassan, battant le terrain à ses côtés. Un engagement ressenti par le premier magistrat comme une trahison. Mon nouvel ami échouera avec seulement 6 % des voix, tandis que le candidat officiel du parti remportera l’élection au second tour face au Front national. Delbar cessera dès lors tout contact avec moi, et je ne chercherai pas non plus à le rétablir. Quelques mois plus tard, je rendrai cette fois ma carte de l’UMP, tournant du même coup la page de la politique partisane.

À l’approche des élections municipales de 2020, mon sens de l’engagement, intact, a commencé à s’exprimer différemment. Mon master en droit public en poche, j’avais envie de mettre mes compétences au service de mes convictions. La Caisse sociale que j’avais lancée pendant mes études était la première illustration de cette volonté, mais je voulais lui donner une dimension plus universelle. Le plaisir que j’éprouvais à éplucher des kilomètres de règlements et de jurisprudences m’a naturellement conduit vers une mission dévolue à chaque citoyen, mais que bien peu, faute de temps ou de connaissances, peuvent exercer : le contrôle de l’action publique. Et c’est encore dans ma ville de Roubaix que j’ai souhaité mener ce travail de veille et d’alerte indispensable à toute société démocratique digne de ce nom. C’est à cette même époque que j’ai adhéré à l’association Anticor – dont je suis toujours membre à ce jour –, qui traque et révèle des affaires de corruption impliquant des acteurs publics, et promeut le devoir de transparence de nos élus et administrations.

Ce virage s’explique aussi par les scènes dérangeantes que j’ai observées durant cette campagne de 2020. La mandature sortante avait été marquée par l’éclosion sans précédent d’associations de quartier en tout genre, principalement des épiceries solidaires, avec le soutien appuyé de la municipalité, ce qui n’avait pas manqué de faire tiquer certains observateurs dont j’étais. Quelques semaines avant le scrutin, les cafés de la ville ont accueilli des rendez-vous à la chaîne entre des politiques et plusieurs responsables associatifs. S’y négociait au grand jour et sans aucun complexe la promesse de subventions contre l’assurance d’un soutien électoral. Ces vieilles combines clientélistes avaient de quoi choquer. Attention : je ne confonds pas ici clientélisme et communautarisme. Le premier vise à acquérir des avantages, le second des droits. Mais pour passer de l’un à l’autre, il n’y a qu’un pas.

Une fois reconduite, l’équipe municipale a fait face à la crise du Covid, comme tout un chacun. À l’issue de celle-ci, un plan de relance a été adopté, dont les associations de la ville ont une nouvelle fois été les bienheureux bénéficiaires. Comme le permet la loi, j’ai pris ma plume et rédigé un courrier recommandé adressé à l’hôtel de ville pour obtenir la liste et le montant des subventions accordées aux associations pour l’année 2020. Un rejet non motivé par des motifs impérieux (atteinte au secret-défense, au secret des affaires…) peut être porté par le demandeur devant la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) chargée de trancher ce type de litige. En pratique, dès lors que le formalisme de la requête est respecté, la plupart des administrations ou collectivités concernées par ce genre de demande y répondent favorablement afin d’éviter un éventuel désaveu de la CADA, synonyme de camouflet public. La mairie de Roubaix non plus n’a pas pris ce risque et m’a donc transmis le détail de toutes les subventions votées, ainsi que le contenu des délibérations qui les ont précédées.

À la rentrée de septembre 2020, je me suis plongé dans ces piles de tableaux et de comptes rendus avec le zèle d’un comptable et la patience d’un scribe. Ce qui m’a tout de suite frappé, c’est l’inégalité de traitement flagrante. Les montants accordés ne reposaient sur aucun critère objectif et semblaient donc parfaitement arbitraires. Entre deux associations de taille et de vocations équivalentes, les subventions pouvaient varier du simple au double, voire au triple, sans que rien ne vienne justifier ces écarts. Un cas en particulier m’a interpellé par l’ampleur de cette disparité : celui d’une association de soutien scolaire nommée AIR, pour Ambitions et initiatives pour la réussite, fondée en 2007 et qui comptait plus de trois cents adhérents. Alors qu’une autre structure poursuivant la même mission avait touché 8 000 euros d’aides, celle-ci s’était vu attribuer un chèque de 64 000 euros, dont 20 000 euros pour la seule compensation du loyer des locaux qu’elle occupait, et la même somme versée au titre d’une aide exceptionnelle liée à la crise du Covid.

De telles largesses avaient de quoi éveiller mes soupçons. J’ai mené ma petite enquête en ligne. Sur les réseaux sociaux, où l’association était très présente, j’ai repéré les photos d’événements où s’affichaient, tout sourire, des membres de l’équipe municipale. Preuve d’une proximité avec les respon‑ sables de la structure, j’ai retrouvé l’extrait d’une interview donnée à France 3 durant l’entre-deuxtours du scrutin municipal où une AIR était citée par l’équipe sortante comme une réussite locale et un exemple d’initiative solidaire à suivre. Le 4 juillet 2020, alors que le pays vivait encore sous la chape du Covid, une cérémonie d’installation des nouveaux élus s’était tenue en présence d’un nombre d’invités très restreint, consignes sanitaires obligent, parmi lesquels Nordine Khabzaoui, le fondateur et président d’AIR. Jusqu’ici rien d’illégal, mais les effluves de clientélisme que j’avais flairés dès la réception du tableau des subventions commençaient sérieusement à devenir irrespirables.

Ces doutes ont pris une autre dimension lorsque j’ai entamé des recherches sur les activités précises de l’association. En vieux routier du microcosme associatif et militant roubaisien, je connaissais de vue certains de ses membres et dirigeants, musulmans revendiqués, pour les avoir fréquentés dans différents événements. Les locaux historiques d’AIR étaient situés juste en face de la mosquée, dont j’ai décrit plus haut les accointances passées avec l’islamisme. Une proximité pas vraiment due au hasard : j’apprendrais plus tard que l’un des dirigeants avait été membre du bureau de la mosquée. Leurs nouveaux locaux étaient situés dans un ancien collège désaffecté transformé en ruche d’associations. L’activité de soutien scolaire se déroulant par définition essentiellement les week-ends et durant les vacances, aucun agent municipal ou simple voisin de ruche n’était alors présent pour voir ou entendre ce qui se tramait.

En distillant ces questionnements auprès de mon entourage de confiance, ils ont fait davantage que se renforcer. J’ai ainsi appris que deux adjointes au maire avaient inscrit leurs enfants aux cours de soutien prodigués par AIR. L’une d’elles en était pleinement satisfaite. L’autre en avait rapidement retiré ses enfants. Le motif de sa décision, elle l’avait partagé avec l’ensemble du conseil municipal lors d’un comité de pilotage : sous couvert de soutien scolaire et d’apprentissage de la langue arabe, l’association prodiguait aussi des cours coraniques. L’affaire avait été rapidement étouffée, mais un acteur associatif choqué par ces révélations avait réussi à se procurer l’un des calendriers épinglés dans les salles de cours : il mentionnait pour chaque jour l’horaire exact des cinq prières du musulman pratiquant.

J’avais soupçonné une affaire de clientélisme, je me retrouvais avec un dossier explosif de prosélytisme religieux en lien avec la deuxième ville de la métropole lilloise. Ouvrir une enquête judiciaire n’était pas de mon ressort, mais pour ce qui était d’effectuer un signalement, j’en savais bien assez. Le 24 octobre 2020, j’ai rédigé deux mails séparés. Le premier était adressé au maire. Je voulais lui laisser l’opportunité de s’expliquer et de régler cette affaire sans plus tarder. Pour avoir assisté au comité de pilotage où son adjointe en charge de l’insertion avait raconté sa mésaventure, il ne pouvait ignorer les accusations de prosélytisme qui visaient l’association. Sur un ton formel qui n’avait plus rien à voir avec celui de nos années de militantisme, j’ai listé l’ensemble de ces éléments, l’incitant à cesser le versement des subventions et à réclamer le remboursement des sommes déjà perçues. J’ai mis son premier adjoint en copie. Le deuxième courrier, je l’ai adressé à la préfecture. Il ne s’agissait pas de dénoncer la passivité du maire ou un usage discutable de l’argent public, mais de signaler la possible violation de la loi de 1905. Je n’ai pas usé d’injonctions ou employé de formules définitives : charge aux services de l’État de mener leur enquête et de consolider ou non les soupçons que je leur avais transmis.

Ce travail, la préfecture l’a conduit en un temps record. Deux jours après la réception de mon courrier, une enquête administrative a été ouverte, confiée à la cellule départementale de lutte contre l’islamisme, la CLIR, une task force réunissant différents services de l’État, créée un an plus tôt par un décret du ministre de l’Intérieur de l’époque, Christophe Castaner. Ce que j’ignorais alors, c’est que d’autres signalements avaient motivé le lancement des investigations : ceux d’employés de la ruche d’associations, dont un témoignage rapportant des prières publiques, en présence d’enfants, dans les locaux attribués à AIR. Ce que j’ignorais encore, c’est que les services de renseignement territorial disposaient depuis 2013 d’éléments sur une possible confusion des genres entre soutien scolaire et éducation religieuse. Le 26 octobre, le président d’AIR était informé de l’enquête qui visait son organisation. La subvention de 6 000 euros que lui avait promise l’État au titre des aides spéciales accordées aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), a été aussitôt suspendue, et le remboursement des 24 000 euros de subsides versés les quatre années précédentes lui a été réclamé.

En l’absence de réaction du maire ou de ses équipes à mon courrier initial et à l’enquête administrative qu’il a entraînée, j’ai pris l’initiative de rendre l’affaire publique sur ma page Facebook dans un post publié le 9 mars 2021. J’ajoutai au texte une photo du calendrier présentant les horaires de prière dont j’avais réussi à me procurer une copie. Les premières insultes ont commencé à fuser. « Beurre goût bounty », a réagi un internaute, en référence à l’injure raciste « bounty » qui accuse des personnes noires de se trahir en pactisant avec « les Blancs ». Quatre jours plus tard, La Voix du Nord s’emparait à son tour du dossier. Le journaliste auteur de l’article avait contacté la préfecture, obtenant de celle-ci les conclusions des investigations : « Les contrôles menés sur pièce et sur place ont permis d’établir que des fonds publics ont été utilisés pour financer des activités ne respectant pas les valeurs de la République et la laïcité. » Une semaine plus tard, Guillaume Delbar sortait enfin de son silence. Ou presque : au journal régional, il expliquait ne pas vouloir commenter la décision de la préfecture.

Extrait du livre d’Amine Elbahi, « Je ne me tairai pas ! Menacé de mort, il brise l'omerta face à l'islamisme », publié aux éditions Robert Laffont

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