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Emmanuel Macron effectue une visite au sein de l'entreprise française de systèmes de fixation auto-agrippante Aplix à Le Cellier, le 11 février 2021.
Emmanuel Macron effectue une visite au sein de l'entreprise française de systèmes de fixation auto-agrippante Aplix à Le Cellier, le 11 février 2021.
©DAMIEN MEYER / POOL / AFP

Déclin industriel

Depuis des dizaines d'années, le secteur industriel français est en difficulté. Le manque de volonté industrielle, la propriété du capital des entreprises ou les difficultés de formation et de recrutement sont quelques uns des nombreux défis pour l'industrie.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Le 26 Octobre 2021, un colloque (re)localisations a été organisé par les pouvoirs publics, parmi les participants des lauréats aux subventions publiques, des représentants de l’industrie officielle, et des représentants de l’Etat sans doute avec une Ministre Déléguée au début et un Ministre à l’arrivée. Au bout de 3 heures 48 de présentations avec quelques exemples concrets, on se dit que l’on a assisté à une belle séance de communication mais on regrette que le sujet n’ait été qu’effleuré.

Un élément fondamental a été traité, celui du renoncement à l’industrie dans le pays depuis des dizaines d’années et la nécessité de retrouver une volonté industrielle. Il en découle l’observation du déficit de personnel formé par notre enseignement et la difficulté de recruter des personnes qualifiées. Ce langage, objet de nombreux rapports et de la création, en son temps, du Conseil National de l’Industrie (CNI), trouve sans doute aujourd’hui un écho dont chacun peut se réjouir, mais l’auditeur critique perçoit plusieurs failles à un édifice que l’on présente comme une solution à un abandon industriel qui se poursuit néanmoins toujours.

Le premier sujet qui n’a jamais été évoqué est celui de la propriété du capital des entreprises industrielles et de ses conséquences sur le développement. Le critère unique étant la création ou le maintien de fabrication sur le sol national, on se désintéresse des actionnaires, on recherche même des investisseurs partout dans le monde en faisant état de « l’attractivité » de la France. Beaucoup d’économistes ont considéré que la mondialisation entrainait une neutralité du capital investi et que demain  peu importerait que les propriétaires des entreprises soient américains, chinois, japonais, saoudiens, qataris,  coréens…du moment que les investissements productifs se faisaient dans le pays et que le personnel résidait en France. Ce point de vue ne va pas de soi et mérite débat, on peut effectivement imaginer que les capitaux investis veulent uniquement une bonne rentabilité, mais cette opinion est contestable car la plupart des exemples donnés à court terme finissent à moyen et long terme par des désastres et des friches industrielles. En tous les cas un débat sur le sujet de la désindustrialisation française n’a pas le droit d’ignorer cette question.

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Le deuxième sujet qui traverse notre déclin est celui de la philosophie trompeuse qui distingue le « faire » du « savoir-faire » et qui a conduit à imaginer un pays sans usine disposant néanmoins des compétences indispensables pour les manufacturiers vivants ailleurs. C’est une idée fausse , le savoir-faire vient du faire , et la délocalisation des usines conduit à l’incapacité de concevoir les modifications des outils et des produits. En « délégant » à la Chine, à la Corée, à la Tchéquie…les installations de fabrication on a aussi déménagé la possibilité de réaliser les innovations permettant de satisfaire les consommateurs : notre erreur intellectuelle a accéléré le drame que nous vivons aujourd’hui.

Pour parler et agir sur un problème aussi essentiel pour notre avenir, il faut donc être bien sûrs, au moment où on présente des solutions et lorsque l’on présente des exemples, que l’on a fait le bon constat suivi du bon diagnostic. On imagine mal le CNI et toutes les Fédérations Professionnelles éluder des observations majeures, mais on s’est tellement habitué en France au capitalisme sans capital, à l’endettement des entreprises, comme aux tracasseries administratives que l’on évacue du constat beaucoup de réalités pourtant incontournables ! Notre pays a une épargne considérable, une assurance -vie impressionnante et a du mal à trouver l’argent national à investir  à long terme dans son industrie. C’est un problème récurent que nous avons rencontré plusieurs fois dans notre histoire et, puisque nous n’aimons pas payer l’impôt, la solution a toujours été un crédit d’impôt pour ceux qui agissaient pour le bien commun du pays , c’est ainsi qu’a été créé, avec succès, ,le crédit impôt-recherche , qui est le dernier de notre panoplie d’attractivité ! On peut rajouter à ce constat fâcheux celui de l’acceptation d’un euro cher au moment de la création de notre monnaie commune, qui a fragilisé et fragilise toujours notre secteur de production .

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Une autre façon d’avancer serait de s’assurer que l’on a bien compris toutes les raisons qui ont conduit au déménagement ou à l’extinction de nos productions. On entend beaucoup de généralités alors que ce sont des cas précis que l’on peut étudier dans les différents domaines où nos insuffisances sont cependant manifestes. Force est de constater qu’il n’y a pas de hasard dans cette transformation, elle a été voulue, non par le peuple en direct mais par une partie de nos dirigeants interprétant des désirs des populations pourtant non exprimés. Plutôt que de s’attaquer aux problèmes de fonds on a préféré installer nos fleurons industriels à l’étranger ce qui a conduit à délocaliser au bout du compte l’intégralité des filières. Par exemple l’installation de nos constructeurs automobiles dans des pays à bas cout de main d’œuvre n’est pas passée inaperçue, l’ensemble des français ont pu l’observer et les économistes l’ont justifiée. Mais si nous ne voulons pas étudier avec soin les raisons de ces installations, nous ne pourrons pas redresser l’industrie de notre pays car les mêmes causes conduiront aux mêmes effets. Dans les exposés du 26 Octobre le constat est implicite, mais il est tronqué et il ne peut mener aux bons diagnostics.

Car après le constat c’est bien aux causes qu’il faut s’attaquer, et en particulier à la philosophie générale véhiculée par la société française de l’époque. Depuis l’éducation jusqu’aux partis politiques, l’industrie est méprisée et ce n’est qu’au moment des fermetures que les politiciens chevronnés se réveillent avec leurs écharpes tricolores pour manifester contre les salopards de patrons qui veulent tuer l’emploi dans les villes et les campagnes. Cet aveuglement a été encouragé par des programmes éducatifs de plus en plus pauvres en sciences, par un dénigrement systématique de la production , sale, et peu fiable, par des articles de presse dénonciatrices d’exactions multiples et par des administrations souvent déchainées contre les prédateurs surtout depuis l’arrivée des censeurs écologiques qui voudraient voir déménager l’ensemble des outils industriels. Les normes et règlements et surtout leur interprétation par la législation nationale et leur traduction sur le terrain par des ayatollahs verts sont une raison incontournable de notre récession. On comprend que les politiques ne s’engagent dans ce diagnostic qu’avec des précautions oratoires, mais si l’on veut revenir à une augmentation significative de notre production industrielle, nous ne pouvons pas faire l’économie de ce diagnostic, celui de l’influence désastreuse sur notre appareil productif du code de l’environnement, de son augmentation quotidienne, de son irréalisme, de son manque de flexibilité , et surtout de l’influence catastrophique des extrémistes sur son application quotidienne.

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Restent les solutions, quelques milliards distribués par des bureaucrates pourtant bien intentionnés et sympathiques ne sont pas au niveau des problèmes rencontrés par le monde industriel. On va distribuer en cinq ans 30 milliards à des entreprises qui donnent 70 milliards d’impôts de production à l’Etat alors que leurs concurrents européens ne subissent pas la même épreuve !  Avant de se donner bonne conscience en distribuant la manne céleste, commençons par remettre notre industrie en état de compétitivité : on sait que ce n’est pas le cas aujourd’hui car l’Etat est impécunieux. Il est clair que les aides fournies ne sont pas inutiles et que l’on trouvera des laudateurs parmi les lauréats, et il faut s’en réjouir, comme dans les concours de beauté ou de chants, mais il faut quand même ne pas confondre la vie industrielle avec le télé crochet !

Constats, diagnostics, solutions, les élections présidentielles approchent, sommes-nous trop exigeants lorsque l’on voudrait quelques réponses argumentées à des questions désormais vitales ?  

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