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Délation bien ordonnée commence par soi-même
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Bisounours

La République du Bisounoursland ne serait plus aussi douce ni aussi câline si nos exceptionnelles Forces de l’Ordre et du Progrès Socialiste n’étaient pas tous les jours à l’affût.

Hash H16

Hash H16

H16 tient le blog Hashtable.

Il tient à son anonymat. Tout juste sait-on, qu'à 37 ans, cet informaticien à l'humour acerbe habite en Belgique et travaille pour "une grosse boutique qui produit, gère et manipule beaucoup, beaucoup de documents".

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Oh, bien sûr, il y a les corrompus, les voleurs politiciens, les violences urbaines, les cambriolages, les agressions, les viols, les cas psychiatriques relâchés dans les rues avec un couteau, les camions fous et les voitures schizoïdes. Certes. Mais tout ceci est sans importance lorsque nos belles lignes droites d’autoroutes sont parcourues bien trop vite.

Et pour cela, la République a tout prévu, tout cadré, tout planifié.

Il y a, bien sûr, des radars qui permettent de choper les impétrants. Il y a évidemment des cerfas, nombreux, vigoureux, en bonne santé et qui s’égaillent par grappes de douze à chaque forfait que ces bolides inconséquents osent perpétrer. Il y a surtout d’appétissantes législations bien précises et bien foutues qui permettent de remettre tout le monde dans le droit chemin.

C’est ainsi que, si vous roulez trop vite, même un peu, même sans danger, même pour rire, crac, vous serez verbalisé. Bien fait : tout le monde sait que la vitesse tue. Comme, par définition, votre vitesse est non nulle lorsque vous utilisez votre voiture, vous êtes un tueur en puissance dont il conviendra de faire expier les fautes, nombreuses, par le truchement d’une amende.

Et si jamais il vous vient la fantaisie ignoble de la régler sans tenir compte des petits alinéas et des cases à cocher des cerfas prévus à cet effet, là encore, la loi saura vous rappeler votre place.

C’est ainsi qu’en France, République socialiste du Bisounoursland, on peut fort bien être verbalisé pour avoir payé son amende trop vite, mésaventure qui pourrait bien se répéter à mesure que les nouvelles lois et les nouveaux cerfas seront découverts par les victimes expiatoires de l’Eglise Routière Universelle Française de Sécurité dont le sacerdoce consiste à distribuer l’extrême onction fiscale sous forme d’amendes forfaitaires.

En tout cas, le premier cas aura eu l’heur de faire quelques choux gras dans la presse : Bruno Cibin, un chef d’entreprise de Meurthe-et-Moselle, a vu multiplié par dix le montant de son amende pour excès de vitesse. Il avait certes bien réglé le PV de 45 euros dans les temps mais avait – l’infâme – oublié de dénoncer le fautif avant de payer.

En effet, le 24 août dernier, l’entrepreneur est flashé au guidon d’une moto de sa société sur l’A31. Recevant l’amende, il la règle rapidement sur internet… Bien mal lui en a pris puisque la loi a changé le premier janvier dernier : lorsque l’infraction est commise par un véhicule de société, le chef de l’entreprise doit dénoncer l’employé fautif et risque 450 euros d’amende en cas de manquement à cette obligation.

Eh oui : la police française ne peut guère se passer de l’implication citoyenne de tous et de chacun. La délation, déjà largement encouragée au niveau fiscal, est maintenant amplement favorisée dans différents aspects de notre vie quotidienne, y compris lors d’un petit dépassement de vitesse. On attend avec impatience les délations citoyennes de Madame Michu qui a jeté du plastique dans la poubelle pour le carton (et la solide amende qui ne manquera pas de remettre cette ignoble rombière sur le bon chemin). On frémit à l’idée qu’enfin, on va pouvoir dénoncer son voisin, hideux pollueur, qui part en laissant la lumière de son salon allumée. On palpite déjà en imaginant faire poursuivre les petits jeunes du quartier qui roulent dans des voitures hors d’âge reconnaissables à leurs volutes noires et forcément en infraction avec une demi-douzaine de lois éco-conscientes…

Dura lex, sed lex, et tout ça… Sauf que, malgré tout, cette histoire d’amende sur une amende pour non délation dénonciation, ça finit par agacer un tantinet les automobilistes.

En place depuis le premier janvier 2017, cette nouvelle infraction – introduite par le truchement de la loi dite de « modernisation de la justice » – sanctionne le fait de ne pas préciser l’identité de celui qui conduisait un véhicule verbalisé par l’un des 2 500 radars automatiques installés le long des routes françaises, et promet de rapporter d’autant plus à l’Etat et ses sbires qu’elle est aussi floue dans sa formulation que sujette à justice expéditive lorsqu’un vague tribunal est saisi. On imagine sans mal qu’aux centaines de millions d’euros que rapportent déjà les radars, cette nouvelle façon de procéder dans le détroussement d’automobiliste en ajoutera encore quelques juteux paquets.

Tout ceci serait tout à fait banal en République du Bisounoursland si, heureusement, l’Etat n’avait pas, encore une fois, agi avec la même désinvolture et incompétence que d’habitude, ruinant consciencieusement les efforts qu’il avait pu faire auparavant pour tenter de racketter avec adresse quelques pères de famille supplémentaires.

On apprend en effet que cette amende pour non-dénonciation est, en pratique, parfaitement impraticable et probablement illégale, à tel point que lorsqu’elle est correctement contestée, elle aboutit à un classement sans suite : entre des lettres de relances illégales et les procédures mal suivies, un nombre croissant d’officiers du ministère public préfère laisser tomber les poursuites lorsqu’il y a contestation.

Il faut dire qu’une partie des PV est remplie de mentions « Error » (oh, l’informatique étatique, quelle réussite !) et une autre concerne des infractions relevées avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi… A ceci, il faut ajouter les comportements abusifs voire illégaux de certains officiers qui font, finalement, à peu près tout pour éviter que le PV, mal fichu et hautement contestable, ne soit présenté à un juge…

Bref, il apparaît surtout que si cette nouvelle loi a modernisé la justice, c’est en la rapprochant des mœurs les plus décontractées et désinvoltes voire carrément dissolues de la République, ou tout se vaut, tout est permis tant qu’il s’agit de faire payer le contribuable solvable…

Du reste, la foirade qui s’installe avec cette loi de délation industrielle semble bien partie pour avoir une petite sœur : finalement, se faire verbaliser pour avoir osé utiliser des vitres (trop) teintées sur son véhicule pourrait aboutir à un classement sans suite et l’annulation du PV. Et zut : la maréchaussée ne dispose pas de matériel homologué pour déterminer ce qu’une vitre trop teintée veut dire.

En somme, tout se déroule comme prévu, c’est-à-dire cahin-caha, de travers et avec d’innombrables embûches, à-coups et horions qui rendent l’ensemble aussi imprévisible que coûteux. De ce point de vue, les gouvernements qui se succèdent et mettent en place ces avanies mal foutues se suivent et se ressemblent : après de forts effets d’annonce tonitruants, beaucoup de procédures bâclées et de décrets poussés à la vite s’entassent dans les codes de loi et finissent leur amère existence à pourrir la vie des citoyens qui ne sont juste pas au courant que ces textes sont si mal bigornés qu’un avocat moyen parvient à les faire disparaître.

En définitive, ces gouvernements et les politiciens qui poussent ces textes montrent une vraie capacité à monter en épingle de faux problèmes (ici, celui de la non dénonciation, des vitres teintées, et demain, la présence de plastique dans les poubelles « carton » ou que sais-je), suivie d’une vraie capacité à apporter une solution inadaptée à ces problèmes mal identifiés, qui se réduit finalement à une vraie capacité à se foirer lors de l’application.

Suite à cet article, Emmanuel Barbe, magistrat, délégué interministériel à la Sécurité routière et délégué à la sécurité et à la circulation routières, a souhaité apporter un droit de réponse. 

 Le Magistrat,
 Délégué Interministériel à la Sécurité Routière
 Délégué à la Sécurité Routière                              Paris, le 19 octobre 2017
Monsieur,
J'ai pris connaissance de la publication sur le site Atlantico.fr d’un texte intitulé « Délation bien ordonnée commence par soi-même » et signé d’un certain H 16 qui m’oblige à réagir. Compte tenu des propos diffamatoires, voire injurieux pour l’institution que je représente, exprimés dans cette chronique, je vous demande de publier à réception le droit de réponse ci-dessous. 
L’obligation légale pour un chef d’entreprise de désigner celui de ses collaborateurs auteur d’une infraction au volant d’un véhicule de l’entreprise existe dans le code de la route depuis 14 ans (depuis l’instauration du système de contrôle automatisé par radar). L’article 34 de la loi de modernisation de la Justice du XXI siècle du 18 novembre 2016 crée une amende pour le chef d’entreprise qui ne le fait pas. Le délateur est, nous apprend le dictionnaire, « une personne qui dénonce pour des raisons méprisables ». Désigner l’auteur d’une infraction routière et contribuer par là à faire baisser le nombre de morts et de blessés graves sur nos routes n’est pas exactement ce que j’appelle un motif méprisable. 
Cette obligation s’applique à l’ensemble des personnes morales (aussi bien les entreprises, que l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics). Cependant, il n’était jusqu’au 1er janvier 2017 prévue aucune sanction et il arrivait que la personne morale paie en lieu et place du contrevenant qui échappait à la perte de points. 
De tels usages étaient déresponsabilisants pour l’auteur de l’infraction, mais aussi pour l’organisme qui l’emploie. Il mettait en danger la vie des employés et celle des autres usagers de la route en modifiant l’esprit du permis à points qui encourage au respect des règles pour ne pas les perdre. 
Ainsi, chaque année, près de 2 millions de points s’évaporaient faute de désignations, mais depuis 9 mois les choses sont en train de changer. C’est ainsi que les effets de cette mesure sont déjà palpables : le nombre d’automobilistes flashés a diminué en juillet (-1,9%), août (-2,5%) et septembre (-6,4%) par rapport aux mêmes mois de 2016 et la désignation y est forcément pour beaucoup. Le nombre de personnes tuées sur les routes aussi, et c’est bien l’objectif.
De même, les chefs d’entreprise sont de plus en plus nombreux à mettre en place des procédures permettant d’identifier les auteurs des infractions commises en conduisant des véhicules mis à leur disposition par leur employeur. C’est très important car l’accident de la route est la première cause de mortalité au travail. On est donc à l’opposé de la montée en épingle « d’un faux problème » comme veut le croire l’auteur de l’article.
Je ne parlerai pas ici de vos références à Bisounoursland car je laisse le lecteur en juger. De même, je m’abstiendrai, par charité, de répondre à l’accusation de représenter, je cite, « l’Eglise Routière Universelle Française de Sécurité dont le sacerdoce consiste à distribuer l’extrême onction fiscale sous forme d’amendes forfaitaires ». La sécurité routière est à mon sens une trop grande cause pour être réduite à de tels jeux de mots, et les familles endeuillées après un accident de la route apprécieront comme il se doit l’évocation de l’extrême onction pour le paiement d’une amende. 
Deux remarques cependant : la première est que 80 % des Français ont leur 12 points. En 2016, 75 % des automobilistes n’ont pas été « flashés », 18 % l’ont été une fois et 7 % l’ont été plus d’une fois. Pourtant, ces 7 % représentent 53 % des amendes. Cela veut dire que la plupart d’entre eux commettent un très grand nombre d’infractions, certainement parce qu’ils appartiennent à cette catégorie de personnes qui échappaient jusque-là au système de retrait de points. Avez-vous vraiment envie de croiser leur route ? Que vos enfants la croisent ? Le courageux H 16, qui insulte et qui diffame, tranquillement abrité derrière son anonymat, voit midi à sa porte lorsqu’il s’imagine le porte-parole d’une majorité opprimée par les radars. Il n’est que le haut-parleur d’un microcosme de dangers publics. 
La seconde est que l’amende n’est pas un impôt et qu’il est par conséquent très simple de ne pas en payer : il suffit de respecter les limitations de vitesse, ce qui est à la portée de n’importe quel conducteur normalement doté du permis de conduire.
En tant que magistrat, je ne peux laisser dire qu’il y aurait dans notre pays une justice endormie pour les escrocs, les criminels ou les violeurs et une autre, celle-là efficace, contre les auteurs d’excès de vitesse. Affirmer comme le fait H 16 que l’on est « un criminel en puissance » quand on conduit sa voiture car traité comme tel, puisque verbalisé par une amende, est un non sens injurieux.
Ce refrain d’une justice à deux vitesses, je l’entends souvent de tous ceux qui veulent s’affranchir des règles et du respect qu’ils doivent aux autres usagers de la route. Les chiffres sont là pour leur répondre : un tiers des accidents mortels de la circulation est causé par une vitesse excessive ou inadaptée. Un tiers, cela représente près de 1200 vies et sept fois plus de personnes blessées souvent d’une façon irrémédiable. C’est pourquoi, il n’est plus tolérable « de rouler trop vite, même un peu, même sans danger, même pour rire », comme l’écrit H16 et s’il y a bien un crime quelque part, c’est d’ignorer toutes ces souffrances. 
Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'assurance de mes sentiments distingués.
Emmanuel BARBE

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