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Défiance (et dégoût) records vis-à-vis des politiques : mais au fait, est-ce que nous ne serions pas aussi responsables des élites que nous avons…?
©Reuters

Défiance totale

75% des Français pensent que les responsables politiques sont "plutôt corrompus". 40% éprouvent de la "méfiance"... Le résultat du baromètre CEVIPOF de la confiance politique est sans appel : jamais la défiance n'a été aussi haute. Pour autant, face aux nombreuses contradictions que soulève cette enquête, une question doit être posée. Est-ce que l'on a les élus que l'on mérite ?

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Michel Guénaire

Michel Guénaire est avocat et écrivain. Il est l’auteur du Génie français (Grasset, 2006) et Après la mondialisation. Le retour à la nation (Les Presses de la Cité, 2022). Vous pouvez retrouver Michel Guénaire sur Twitter : @michelguenaire

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Atlantico : Le baromètre CEVIPOF montre clairement que la défiance vis-à-vis des acteurs politique n'a jamais été aussi grande. Pour autant, il y a aussi une appétence pour le débat public. Est-ce que dans un système représentatif, ce n'est pas déjà une première contradiction ?

Bruno Cautrès : Ce résultat n’a que l’apparence d’une contradiction. En fait dans nos démocraties, et pas seulement en France, les citoyens voient de plus en plus leur système de gouvernement avec un regard critique, même défiant, tout en continuant d’adhérer aux grands principes de la démocratie représentative. L’appétence pour le débat public existe mais les chemins qu’empruntent les citoyens pour se faire entendre ou s’exprimer se sont diversifiés : le vote continue d’être le moyen d’expression publique privilégié mais dans le même temps des formes plus ponctuelles d’expression de la citoyenneté se développent, on l’a vu au moment des Nuits debout par exemple. Au fond, la démocratie représentative repose sur ce paradoxe que nous acceptons de déléguer notre souveraineté à des « experts » de la décision politique (nos élus) tout en restant sur l’idée que cette délégation va peut-être ne pas nous représenter ou même trahir ses engagements et ses promesses. La promesse non-tenue est un reproche presque éternel du citoyen vis-à-vis de l’élu. Dans les périodes de grand changement, comme celle que nous vivons depuis ces dernières décennies avec l’ouverture de nos pays et la question de leur place dans un monde global et dans les périodes de crise économique il devient beaucoup plus difficile pour les hommes politiques de gérer cette contradiction ou cette tension inhérente à leur mandat. Il se trouve que nous vivons les deux processus à la fois, grand changement et crise économique. Cela a accentué encore plus cette tension. Les grandes explications politiques qui servaient avant à donner sens aux changements et à montrer la direction aux citoyens ne sont alors plus perçues que comme des discours creux, éloignés des préoccupations et de la vie des électeurs. Cela ne veut pas dire que nous vivons « la fin des idéologies », mais que nous vivons une période de fortes turbulences pour elles. 

Michel Guénaire : Le pays aspire à débattre des orientations qui lui sont proposées, mais est déçu par celles et ceux qui les lui présentent. Ce n'est pas une contradiction, car il n'a jamais été dit que le système représentatif présumait la légitimité de ses acteurs. C'est seulement le constat d'un divorce entre le peuple et ses représentants. Les plus pessimistes en concluront que la démocratie agonise. Les plus optimistes diront que le pays cherche de nouveaux représentants. C'est le thème de la société civile, ou le renouvellement du personnel politique par les femmes et les hommes de la société civile, auquel je crois et qui seul permettra le renouvellement de l'offre politique.

Les exemples d'incohérence sont légion. 40% des interrogés affirment vouloir un homme fort à la tête de l'Etat qui n'aurait pas à se soucier des institutions mais élisent pourtant un président "normal". Ils veulent des réformes libérales mais sont parfois en quête d'interventionnisme économique.  Au final, est-ce que les Français ne devraient pas se poser la question de savoir ce qu'ils attendent vraiment d'un politique avant de le défier.

Bruno Cautrès : On constate depuis le début de notre enquête, dont la première vague avait été réalisée en 2009, une permanence de ce thème de « l’homme fort ». Cela traduit une demande d’ordre public, de verticalité. Cela ne veut bien sûr pas dire que la France serait prête pour un régime politique autoritaire ! Notre « culture politique », façonnée par l’élection qui structure notre vie publique (l’élection présidentielle au suffrage universel et avec scrutin majoritaire) renvoie de manière permanente l’image du pouvoir vertical, jacobin, qui décide.  Ici encore, la crise économique et la perte de sens liée aux bouleversements du monde global, ont accentué la demande d’efficacité dans la décision. En toile de fond, cette demande traduit indirectement la demande de protection comme en témoigne aussi le fait que toutes les institutions qui incarnent la proximité, la sécurité et la protection sont nettement plus favorablement perçues que les autres. L’élection de François Hollande, le « président normal », traduisait le contexte post-Sarkozy mais aussi le besoin de proximité et de protection. Et l’un des ressorts des difficultés qu’a connues François Hollande dans l’opinion a justement été, au début de son mandat, qu’il n’arrivait pas totalement à combiner ce registre avec celui de la verticalité.

Michel Guénaire : Il y a deux niveaux dans l'incohérence actuelle. Un premier niveau, que je qualifierai de structurel, est lié au déchirement profond du pays entre son modèle historique, qui privilégie des institutions incarnées et un pouvoir régalien assumée, et la mondialisation qui postule que la création de la richesse des nations passe par le marché. Les Français hésitent ou oscillent entre ces deux tendances ou ces deux pôles qui caractérisent l'alternative entre l'Etat et le marché. Et puis il y a le second niveau, d'ordre conjoncturel, qui est l'extrême confusion des débats où des candidats font de la surenchère et passent du coq à l'âne. Les débats des deux primaires en furent et sont la démonstration : le débat du second tour de la primaire de la droite n'a été qu'une comptabilité étourdissante sur le nombre de fonctionnaires, les débats actuels de la primaire de la gauche sont d'une grande légèreté programmatique. Comment voulez-vous que les Français s'y retrouvent ? Sans représentants clairs dans leur tête et pédagogues dans leur parole, il ne peut y avoir de débat réussi.

Alors que cela fait dix ans que les professionnels de la politique font de la lutte contre le chômage leur cheval de bataille, ils n'arrivent toujours pas à le faire baisser. Ce simple exemple pourrait expliquer la lassitude des citoyens envers leurs représentants. Est-ce qu'aujourd'hui il n'y a pas une prime accordée à la radicalité pour obtenir des résultats. Ce phénomène pourrait alors expliquer la dynamique Macron qui ne veut pas se restreindre au seul système partisan ou encore le succès des candidats des extrêmes qui ne s'embarrassent pas des nuances dans les programmes.

Bruno Cautrès : Cela peut l’expliquer en partie seulement. La « radicalité » de certains programmes risquera d’engendrer encore plus de déception et d’incompréhension. Plus le changement a été « vendu » aux électeurs comme immédiat (« le changement c’est maintenant ») ou « radical », plus l’étau de l’exercice du pouvoir et de la rencontre des promesses avec la réalité vient broyer la popularité de celui qui exerce le pouvoir. Nous vivons dans des sociétés complexes, avec une multitude d’interactions. Lorsque l’on bouge les choses de manière « radicale » on obtient souvent plein d’effets inattendus, des tensions non-anticipées. Je ne vois pas vraiment, pour le moment, de candidats à la présidentielle qui échappent au registre du « élisez-moi et tout va changer »….On parle même aujourd’hui de tendances à un discours politique qui se débarrasse de la contrainte du réel et des faits, un discours de la « post-vérité » qui n’est plus qu’une grande narration. Ce n’est donc pas demain la veille que les citoyens n’auront plus de motifs de percevoir les hommes politiques comme des prometteurs…

Michel Guénaire : Quand j'ai créé SOCIETECIVILE2017 en 2013, je savais que la prochaine élection présidentielle ne ressemblerait pas à la précédente. Je mesurais la fin d'un cycle. J'ai travaillé à un projet, La Grande France. J'ai voulu le défendre dans la primaire de ma famille politique, la droite et le centre. Le bureau politique des Républicains a refusé ma participation à la primaire, préférant confectionner une primaire avec de seuls élus. Le même scénario a été arrêté à gauche. On va en voir le résultat. Radicalité ou sortie par le haut ? L'élection présidentielle de 2017 nous réserve une immense surprise. La lassitude des Français est à son comble. The last vote minute sortira d'une boîte noire.

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