Déconfinement : voilà les chiffres pour y voir clair sur l’arbitrage nombre de morts/ coût économique d’une vie sauvée<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président de la République, Emmanuel Macron, et le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, lors d'une réunion à l'Elysée.
Le président de la République, Emmanuel Macron, et le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, lors d'une réunion à l'Elysée.
©Yoan VALAT / POOL / AFP

Quel bilan sommes-nous prêts à assumer ?

Emmanuel Macron a dévoilé un calendrier du déconfinement auprès des journalistes de la presse régionale. L’exécutif est poussé à faire évoluer sa politique du « quoi qu’il en coûte » afin de redonner de l’oxygène à une économie exsangue. L'arbitrage entre les risques sanitaires avec les conséquences sur la mortalité et la relance de l'économie afin de sauver les entreprises et les emplois représente un dilemme pour l'exécutif.

Christian Gollier

Christian Gollier

Christian Gollier est économiste à la Toulouse School of Economics et co-auteur des 4e et 5e rapports du GIEC.

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En mai 2020, j’avais milité pour le maintien d’un confinement fort pour éradiquer le virus, dans l’esprit de la politique que l’on appelle depuis « Zero-Covid », ou « No-Covid ». Selon le modèle utilisé par les épidémiologistes pour prédire la dynamique pandémique complété par un module économique, cette stratégie d’éradication permettait de gagner sur les deux fronts, ceux du sauvetage des vies et de l’économie.

Alors que la troisième vague nous frappe avec une égale violence un an plus tard, faut-il encore faire la même recommandation ? Le variant anglais est de 50 à 70% plus contagieux que le virus historique, et pourrait bien être 50% plus mortel en cas d’infection. L’intuition suggère donc que cette stratégie de confinement ferme qui était optimale il y a un an devrait l’être encore plus aujourd’hui. Mais, surprise ! Ce n’est plus ce que dit le modèle aujourd’hui.

Deux facteurs clé ont changé radicalement la donne en ce mois de mai 2021. Premièrement, un début d’immunité collective s’est constitué dans la population française à la suite de ces 3 vagues de la pandémie. Selon les données statistiques disponibles, plus de 30% des moins de 50 ans auraient déjà été en contact avec le virus et auraient construit une immunité individuelle, au moins temporaire. Ce taux d’immunité chute considérablement pour les plus de 70 ans, grâce à leurs efforts passés et présents de distanciation sociale. Parce que ces populations sont particulièrement à risque, un confinement fort resterait aujourd’hui indispensable parce que ce seul facteur ne permet pas d’atteindre l’immunité collective nécessaire à les protéger.

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Le deuxième facteur est évidemment la campagne de vaccination en cours. Aujourd’hui, plus de 50% des plus de 75 ans sont vaccinés à deux doses, et plus de 60% des 65-74 ans ont reçu au moins une dose. Plus de 300.000 doses sont inoculées chaque jour. A ce rythme-là, les seniors auront été immunisés d’ici la mi-mai, et le bénéfice net du confinement devient beaucoup moins clair qu’il y a un an.

Concrètement, mon analyse combine le modèle épidémiologique de référence (S.I.R. avec structure par âge, pour les spécialistes) avec un module économique permettant de mesurer l’impact de la politique sanitaire sur l’économie. Elle est fondée sur le modèle que vous trouverez dans ce lien. Comme tout modèle, ses résultats ne sont pas plus fiables que les hypothèses sur lesquelles il repose. Ici, je devrais parler du risque d’inefficacité du vaccin face aux variants, d’effet du printemps, et de bien d’autres incertitudes encore. Je renvois ici le lecteur à mes articles scientifiques sur le sujet.

Je compare deux politiques sanitaires. La première consiste à prolonger jusqu’à l’été un niveau de confinement comparable à celui observé depuis un mois et conduisant à un R0 autour de 0.92. La seconde consiste à réduire de 25% l’intensité du confinement d’avril dès les premiers jours de mai. Dans les deux cas, on réduit progressivement l’intensité du confinement en parallèle à la montée en puissance de la vaccination. La figure ci-dessous décrit la dynamique de confinement, d’infection, de réanimation (« ICU »), de vaccination, d’immunisation et de décès dans six graphiques distincts.

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Figure : Dynamique pandémique selon deux politiques sanitaires à partir de la mi-avril 2021 (jour « 0 ») en France. Les courbes hachurées correspondent à la politique sanitaire prolongeant le niveau de confinement actuel, tandis que les courbes pleines correspondent à la politique sanitaire réduisant le confinement de 25% début mai. Les courbes vertes, oranges et bleues correspondent respectivement aux seniors (65+), actifs (18-64) et juniors (18-).

Comme on le voit dans cette figure, la politique de confinement maintenue (courbes hachurées) permet de réduire la circulation du virus d’ici l’été, et de désengorger rapidement les hôpitaux. Par contre, en accélérant le déconfinement de 25% début mai (courbes pleines), un rebond de circulation du virus est à prévoir, en particulier chez les jeunes) en été, mais sans que cela soit accompagné de remise en tension hospitalière, puisque le virus touchera des populations beaucoup moins susceptibles d’être hospitalisées en cas d’infection. Même si le virus n’est éradiqué que 50 jours plus tard que dans la politique initiale, le coût économique de cette politique est moindre grâce à une remise au travail plus forte en mai, juin et juillet. Le modèle estime que ceci permettrait de créer 28 milliards de richesse supplémentaire. Par contre, la vaccination n’est pas suffisamment rapide pour empêcher 3400 décès supplémentaires.

La politique, c’est aussi l’art de faire des compromis entre différents objectifs contradictoires. De toutes parts, l’exécutif est poussé à revoir sa politique du « quoi qu’il en coûte » pour redonner de l’oxygène à une économie exsangue. Concrètement, la terrible question qui se pose aux politiques aujourd’hui est de savoir si nous devrions collectivement accepter 3400 décès supplémentaires pour pouvoir réinjecter 28 milliards de richesse dans la population. Au niveau individuel, cela revient à une hausse du risque de mortalité de 51 millionièmes, et d’un supplément de revenu individuel de 410 euros. Et pour les 67 millions de procureurs, quelle serait la décision coupable ?

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Ma tribune pourrait s’arrêter ici, et ce serait sans doute mieux pour moi. Mon expérience d’économiste est en effet que rendre explicite des arbitrages aussi terribles est en soi inadmissible, scandaleux, intolérable. Alors, faire une recommandation à la lumière d’une analyse scientifique, évidemment imparfaite, est proprement condamnable. La société française, et en particulier une bonne partie de son élite intellectuelle, n’est pas prête à ce débat. Elle préfère la position de facilité consistant à s’en remettre aux politiques, tout en les condamnant par avance. Cela n’est pas un signe de santé de notre démocratie.

Voulez-vous savoir ce que disent les économistes de la santé qui travaillent sur ce type de sujets depuis un demi-siècle ? Certes, comme toute question de santé, le sujet est entouré de questions éthiques. Par exemple, l’accroissement de mortalité est maintenant transféré vers les classes d’âge plus jeunes, qui n’ont pas eu le droit de se vacciner, alors que le bénéfice du déconfinement profite plus aux classes d’âge senior. Cela n’a pas empêché les économistes de la santé d’étudier la manière dont les citoyens français arbitrent eux-mêmes entre santé et pouvoir d’achat. Ce qu’ils ont notamment fait, c’est d’étudier les comportements impliquant ce type d’arbitrage, pour changer leur pneu, réduire leur vitesse sur la route ou choisir un métier moins risqué. Ces analyses suggèrent que les gens ne sont pas prêts à sacrifier plus de 150 à 200 euros pour réduire leur risque de décès de 51 millionièmes. De cette « préférence révélée », l’économiste de la santé serait conduit à recommander de déconfiner de 25% début mai 2021. Certes, ce n’est pas « Mai, fais ce qu’il te plaît », mais cela en a un peu le goût.

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