Déconfinement : ce sort indigne que nous continuons à infliger aux résidents des Ehpad dans l’indifférence générale<!-- --> | Atlantico.fr
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Une résidente d'un EHPAD dans l'est de la France se déplace en fauteuil roulant le 14 avril 2020 au cours du 29e jour d'un confinement strict en France face à la menace du Covid-19.
Une résidente d'un EHPAD dans l'est de la France se déplace en fauteuil roulant le 14 avril 2020 au cours du 29e jour d'un confinement strict en France face à la menace du Covid-19.
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Libérez les seniors ! 

Alors que le protocole sanitaire a été allégé dans les Ehpad, la situation dans certains établissements est encore difficile pour les résidents et les familles. La loi Grand âge et autonomie laisse entrevoir un espoir pour l'avenir.

Florence Paraclet

Florence Paraclet

Florence Paraclet est membre-fondateur du Cercle des Proches Aidants en Ehpad.

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Atlantico : À l'heure où le déconfinement est général, les résidents en Ehpad (Etablissement d'hébergement des personnes âgées dépendantes) sont-ils tous enfin libérés ?

Florence Paraclet : Les témoignages de familles auprès de différents collectifs comme le CPAE (Cercle des Proches Aidants en Ehpad), Touche Pas mes Vieux le Collectif Ehpad Familles 42 et FAVICOVID montrent malheureusement que les assouplissements du régime des sorties et visites sont encore aujourd’hui restés lettre morte dans certains EHPAD. Depuis quelque seize mois, les résidents connaissent ce sentiment de solitude et d’isolement, comme dit la chanson, mais sans le grand air de Belle-Île-en-Mer.

En mai dernier, le rapport de Claire Hédon, Défenseure des droits, sur « les droits fondamentaux des personnes âgées en Ehpad » a pourtant fait état de maltraitances individuelles et institutionnelles liées notamment à la rupture du lien entre familles et résidents, et au manque de personnels formés, suffisamment nombreux et correctement rémunérés.

Si la présence d’un proche est indispensable aux patients hospitalisés, comme le rappelle le collectif « Tenir ta main », elle ne l’est pas moins aux résidents qui par définition restent en Ehpad pour y finir leurs jours.

Et pour les familles qui ont perdu leur parent mort de glissement -autrement dit, de chagrin- comment faire le deuil quand ses compagnons d’infortune sont encore sous les verrous ? On le doit à leur mémoire, on le doit aux survivants.

Tant qu’un seul résident sera encore entravé dans sa liberté de circuler et de recevoir dans l'intimité de sa chambre, nous resterons mobilisés. Le CPAE a été l’un des premiers à lancer l’alerte sur la détresse des résidents comme des familles, tenus éloignés les uns des autres. Aujourd’hui, nous souhaiterions passer à une autre séquence, celle de tirer les enseignements de cette crise et de jeter les bases pour un Ehpad plus humain.

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Comment expliquez-vous ce retard dans la libération des Ehpad ? N’y a-t-il pas un double discours de la part des politiques ?

On pourrait dire à la façon d’Hamlet qu’« il y a quelque chose de pourri au royaume des Ehpad ». Toute une chaîne de dysfonctionnements dans les prises de décisions, du gouvernement qui ne fait encore qu’édicter des « recommandations » sans donner lieu à des sanctions contrairement à ce à quoi la ministre Bourguignon s'était engagée vis-à-vis des "Ehpad prisons", des ARS (Agences régionales de la santé) qui n’assument pas leur rôle de régulation et de médiation alors qu’elles sont alertées depuis des mois par des familles, de grands groupes privés qui font passer avant tout leurs intérêts -et peinent d’ailleurs à recruter clients et personnels- et enfin de certaines directions qui usent de leur pouvoir de police pour porter atteinte à la liberté des résidents. Si des directions ont pu abuser de leur pouvoir, c’est parce qu’elles y ont été autorisées.

Quant aux politiques, peu s’engagent sur ce terrain. L’une des seules est Anne-Sophie Pelletier, députée européenne ayant elle-même travaillé en Ehpad en tant qu’aide médico-psychologique, qui essaie depuis des années de mobiliser ses collègues sur le sujet.

La fermeture des Ehpad est-elle une fatalité en cas de nouvelle épidémie ?

Elle ne doit pas l’être. Certains Ehpad ont d’ailleurs prouvé que leurs établissements pouvaient, malgré tout, rester des lieux de vie. En continuant d’accueillir les familles, en les associant aux décisions, en jouant la transparence et la confiance, en les écoutant et en les entendant. D'autres se sont contentés de fermer leurs portes. Entrées et sorties interdites aux résidents comme à leurs proches. Ils sont devenus des prisons et n'ont plus envie de rouvrir leurs portes.

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Familles et résidents ont connu depuis un an des reconfinements plus ou moins fréquents et stricts, avec récemment une annonce gouvernementale de soi-disant déconfinement et retour à la vie normale. Ils ont vécu avec au-dessus de leur tête l'épée de Damoclès du virus qui entre dans l'établissement et des portes qui se referment.

Physiquement, moralement, nerveusement, c’est épuisant. Pour les personnels aussi, qui doivent obéir à des injonctions paradoxales, pris dans un conflit de loyauté entre les ordres parfois abusifs des directions et les demandes légitimes des résidents et des familles. Et on ne peut vivre au rythme d’un hypothétique vaccin contre un potentiel virus. Sinon c'est l'éternel reconfinement.

Quelles sont, selon vous, les conditions pour un Ehpad de demain plus humain ?

Faire jouer à fond la démocratie médico-sociale au sein des établissements, notamment grâce à des élections et un pouvoir accru des Conseils de Vie Sociale (CVS) qui comprennent des représentants des résidents, des familles et des personnels, mais restent encore souvent de simples chambres d’enregistrement des décisions des directions. La participation aux décisions, la communication et la transparence ne doivent plus être des options.

Un événement – pour anecdotique qu’il soit- est révélateur du sentiment de toute-puissance des groupes d'Ehpad. Une confédération d’Ehpad privés a récemment organisé sa grand messe annuelle avec une table ronde -bien-nommée car tournant sur elle-même- intitulée « Famille, on vous aime », et parlant de « liens familiaux resserrés ». Sans faire participer aucun collectif de familles, mais avec une intervenante qu’on a pu entendre dire en notre nom « les Ehpad ont ajouté de la transparence à la transparence ». Alors que certains ont ajouté de l'opacité à l'opacité, du mensonge au mensonge. Contre-vérité totalement déconnectée de la réalité du terrain. Ce n’est pas ainsi que les proches pourront à nouveau travailler en confiance et de façon constructive avec les acteurs du secteur.

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Il faut également placer un supplément d’éthique au cœur du dispositif, dans la formation des personnels comme dans la prise de décisions par les directions. Affirmer avec clarté, fermeté et fierté les valeurs du soin et de l'accompagnement, qui doivent s’incarner dans un vrai projet personnalisé à l’entrée de chaque résident et régulièrement évalué.

De façon générale, la personne doit être considérée de façon holistique, comme dit la philosophe Cynthia Fleury, dans toutes ses dimensions physiques, psychologiques, affectives, spirituelles...

Qu'attendez-vous de la loi Grand âge et autonomie ?

La loi Grand âge et autonomie est un peu l'Arlésienne de ce mandat.

Repoussée aux calendes, elle est pourtant nécessaire et urgente. Madame Bourguignon était sans doute trop occupée à mener campagne pour assurer sa réélection à la députation dans le Pas-de-Calais, ce qui a profondément choqué nombre de familles. Un peu comme la ministre de la santé qui avait déserté son poste en pleine pandémie pour se lancer dans la course aux municipales de la capitale.

Nous ne saurons nous satisfaire d’un changement cosmétique, par exemple d’une nouvelle appellation de l'Ehpad qui évoquerait plutôt un club de vacances qu’un établissement de soins et accompagnement. Le virage domiciliaire qui s’annonce ne pourra cacher les défaillances du système Ehpad. C’est pourtant un enjeu majeur dans une société qui voit les baby-boomers devenir des personnes âgées. Ceux qui ont eu vingt ans en 1968 seront plus nombreux et surtout moins dociles que la génération actuelle qui a connu la guerre et ses privations. Allez par exemple les priver de wifi -ce qui est encore le cas de beaucoup d'Ehpad restés en-deçà de la fracture numérique- et vous verrez.

La loi Grand âge et autonomie devra évidemment également donner les moyens de lutter contre les discriminations et l’invisibilisation des personnes âgées, le validisme, promouvoir les relations intergénérationnelles, la recherche, l’accompagnement de la fin de vie… Bref, tout ce qui concourt à la dignité et la citoyenneté des personnes âgées en situation de dépendance ou de handicap, et a si cruellement fait défaut pendant cette crise sanitaire.

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