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Déclencher chaos et guerre civile mondiale : l'objectif de l'Etat islamique parfaitement décrit dans "le management de la sauvagerie", ce manuel du parfait calife djihadiste
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THE DAILY BEAST

Du meurtre d'un prêtre français au massacre de 80 musulmans chiites à Kaboul, Daech a un seul but : que les Etats et l'extrême droite désignent les sunnites comme coupables pour créer une traînée de guerres de religion civiles dans le monde.

Maajid Nawaz

Maajid Nawaz

Maajid Nawaz est notamment président et cofondateur de Quilliam, un think tank à caractère global s'intéressant aux questions d'intégration, de citoyenneté et d'identité, de liberté religieuse, d'extrémisme et d'immigration. 

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Londres - par Maajid Nawaz, The Daily Beast

Pendant la convention démocrate aux Etats-Unis, quelqu'un a-t-il prêté attention au meurtre d'un prêtre de 86 ans en France, le père Jacques Hamel ? Les djihadistes l'ont égorgé dans sa propre église durant la messe du matin. Non ? Eh bien, ils devraient et voici pourquoi. Pour notre propre salut, nous devons comprendre ce que les djihadistes cherchent en semant les graines d'un tel chaos. Quelle stratégie militaire possible y a-t-il sous le massacre de 84 innocents sous les roues d'un camion à Nice ? En quoi la “cause” est-elle servie par la mort de 325 personnes, principalement des chiites, à Bagdad ? Ou dans celle de 80 personnes, principalement des chiites hazara, à Kaboul ? Cette année, entre le début du ramadan et le 27 juillet, 75 attentats ont eu lieu en 50 jours, perpétrés par différentes factions jihadistes dans le monde. Ce qui équivaut à une moyenne de 1,5 par jour, dans 21 pays et à 1 169 victimes, sans compter les blessés. Les 21 pays ou territoires attaqués sont la Jordanie, l'Irak, le Bangladesh, la Syrie, Israël, l'Afghanistan, le Liban, la Libye, la France, le Nigeria, le Pakistan, la Somalie, le Yémen, la Malaisie, la Turquie, le Mali, la Palestine, le Cameroun, l'Arabie saoudite, la Thaïlande et l'Allemagne. Seize de ces pays sont des pays à majorité musulmane. Oui, ces attentats ont été organisés par des groupes djihadistes disparates (tous professent la même idéologie) et nombre d'entre eux ont une direction et une structure identifiées. Mais semer le chaos dans les rangs de leurs ennemis est une stratégie que les groupes djihadistes modernes partagent tous. Que veulent-il obtenir ?

Il existe hélas une logique djihadiste sous cette folie. Daech suit à la lettre les commandements de son livre de prédilection, Idarat al-Tawahhush, ou Le management de la barbarie. Daech n'agit pas pour déclencher une guerre mondiale mais une guerre civile mondiale. Ce livre sur l'art du djihad a fait son apparition en ligne vers 2004. Il est attribué à un idéologue dont le nom de guerre est Abou Bakr al-Naji. Naji demande à ses disciples d'inciter à la haine inter-ethnique, inter-religieuse, et inter-courants religieux dans le monde entier afin que les sociétés finissent par se fracturer sur le soupçon et le désir de vengeance. Dans la logique de Naki, les musulmans sunnites seraient alors vus comme les principaux responsables – et c'est ce qui se passe – de l'intolérance et de la violence. Ils seront haïs et isolés en bloc. Naji va jusqu'à souligner qu'il est important de chercher à provoquer une riposte militaire lourde, d’État, contre les musulmans sunnites partout, pour que des populations entières de sunnites soient soupçonnées et attaquées par tous et se replient sur elles. L'idée est que "grâce" à de telles divisions, les sunnites ne trouveraient plus nulle part refuge face à des non musulmans en colère et des État qui sur-réagissent, sauf auprès des djihadistes, qui les recueilleront. A leur tour, les sunnites gonfleront les rangs des combattants djihadistes pour se protéger des représailles. Ecoutez bien : un monde divisé par les religions réunit les conditions idéales de l'établissement d'un "califat". Si vous croyez que tout ceci n'est que pur délire de la par de Daech, réfléchissez.

C'est précisément par son adhésion à la gestion du chaos — Le management de la barbarie — que Daech est devenu le groupe terroriste le plus "efficace" dans l'Irak post-Saddam Hussein. Le gouvernement irakien, majoritairement chiite, a suivi sous le président Maliki le monstrueux jeu de stratégie religieux, de façon presque folle à tel point qu'il a, sans le vouloir, créé un climat au nord de Bagdhad étouffant pour les sunnites. Les sunnites se sont retrouvés isolés, sous siège, sans pouvoir et brutalisés par le régime chiite de Maliki alors que celui-ci ripostait aux attentats terroristes. Bien entendu, le gouvernement d'Irak ne faisait que réagir à la pression des attrocités de masse orchestrées par les djihadistes de Falloujah contre les chiites en danger en Irak. Mais, là encore, le gouvernement irakien a réagi à travers un prisme religieux et n'a pas réussi à isoler les terroristes de la population sunnite en Irak. Ces sunnites, un jour, se sont tournés vers Daech, dans l'espoir que l'organisation serait une protection contre le régime irakien. Et il y avait une certaine vérité dans cela. Auréolé de ses victoires en Irak du nord, Daech a reproduit la méthode du chaos en Syrie. Au début de la guerre civile en Syrie, Daech n'était pas l'armée rebelle principale à combattre Bachar al-Assad. Mais en maintenant sous pression le régime brutal d'Assad pour l'obliger à sur-réagir (un penchant légué de père en fils chez les Assad), Daech a réussi à convaincre assez de sunnites syriens qu'il était la seule armée capable de résister à Assad sur le terrain quand la communauté internationale a reculé. Là encore, ils n'avaient pas tort. Et c'est ainsi que le chaos, les divisions, la sauvagerie et la haine font prospérer Daech. Le seul maitre devant lequel le chaos cède est un tyran suprême.

Une guerre civile perpétuelle, plus qu'une guerre perpétuelle entre Etats, sied à ceux qui veulent un nouveau monde arraché aux Etats existants. Le traitement égalitaire, le statut de citoyen, ne signifient rien pour les djihadistes. Il n'y a pas meilleur moyen de provoquer des divisions entre humains sur les lignes de fracture des religions que commettre des atrocités au nom de l'islam. L'attente, derrière, est que tous commencent à identifier les sunnites d'abord par leur appartenance religieuse en réaction à ces atrocités. De cette façon, l'identité religieuse a gagné, la citoyenneté d’État a perdu. Des massacres de masse, sans provocation, sont une provocation destinée à répandre la panique et la peur, à pousser l'Europe plus près d'une guerre de religion civile. Préparez-vous, car il y aura bien d'autres provocations de ce type. Le chaos provoque la peur, qui dégénère en panique, qui conduit à une paralysie entrecoupée de spasmes de réactions désordonnées. Nous assistons aujourd'hui soit à un déni total, sous la forme du "ceci n'a rien à voir avec l'islam", soit à une généralisation grossière selon laquelle "tout a à voir avec l'islam" et avec tous les musulmans. Les deux naissent de la peur. Faire à peine assez, ou en faire trop, ne fera qu'exacerber les tensions. Bien entendu, le problème du terrorisme jihadiste a quelque chose à voir avec l'islam. Bien entendu, les musulmans doivent jouer un rôle très actif pour le résoudre, avec tous les autres. Pendant ce temps, jamais nous n'avons été aussi divisés. Trop de musulmans assurent encore que lutter contre l'extrémisme islamiste exacerbe le racisme anti-musulman. Ils ne saissisent pas que ce sont les islamistes eux-mêmes qui provoquent ce sentiment anti-musulman par leur stratégie de division, et en définissant les musulmans vis-à-vis des non musulmans avant tout par l'identité religieuse.

Notre devoir collectif sera de résister fermement contre les divisions créées. Seule l'affirmation de l'universalité de notre citoyenneté a-religieuse, libérale, démocratique nous permettra de protéger nos multiples identités contre une identification basée sur les religions, qui exclue et fait prosperer les islamistes et les anti-musulmans. Aucune insurection ne peut survivre sans un certain soutien idéologique à l'intérieur de la communauté dans laquelle elle souhaite recruter. Isoler les terroristes de leur ecosystème doit être notre priorité commune. Il n'est pas nécessaire d'être noir pour condamner le racisme. De même, il n'est pas nécessaire d'être musulman pour condamner toute expression d'un islamisme théocratique. Nous devons collectivement condamner toute forme de haine et d'extrémisme, sans exception. Mais il s'agit là d'une lutte sur une génération contre l'idéologie islamiste dans son intégralité, pas uniquement contre la dernière incarnation du terrorisme djihadiste. Pendant des années, avec mes collègues du think tank Quilliam, nous avertissons à corps et à cris, à la moindre occasion, qu'une insurection djihadiste mondiale ne peut pas être vaincue par la loi ou par la guerre. Cela nécessite une société civile engagée tous azimuts. Le comprendre nous oblige à commencer à travailler sérieusement pour éviter cette guerre civile avant que certains intérêts dissimulés de l'extrême droite et des extrémistes musulmans réussissent à produire l'étincelle. Si vous vous demandez à quoi ressemble cette insurrection djihadiste, regardez autour de vous. Nous sommes en plein dedans.

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