Débats pré-européennes : l’économie par les nuls, épisode 1<!-- --> | Atlantico.fr
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Gabriel Attal et Jordan Bardella lors du débat organisé sur France 2.
Gabriel Attal et Jordan Bardella lors du débat organisé sur France 2.
©THOMAS SAMSON / POOL / AFP

Campagne électorale

Les débats organisés entre les têtes de liste des élections européennes ont révélé les failles des candidats sur les questions économiques.

Jean-Luc Demarty

Jean-Luc Demarty est ancien Directeur Général du Commerce Extérieur de la Commission Européenne (2011-2019), ancien Directeur Général Adjoint et Directeur Général de l'Agriculture de la Commission Européenne (2000-2010) et ancien Conseiller au cabinet de Jacques Delors (1981-1984; 1988-1995).

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Le débat du 21 mai sur LCI entre les têtes de liste des élections européennes a été d’une rare indigence sur les questions économiques, à l’exception de rares éclairs essentiellement à l’actif de François-Xavier Bellamy, malgré sa faible compétence économique.

Haro sur les accords de libre-échange semble être la devise de sept candidats à l’exception de Valérie Hayer qui les a à peine défendus. Jordan Bardella a expliqué doctement avec le culot qu’on lui connaît que les accords de libre-échange sont préjudiciables aux agriculteurs français qui auraient été sacrifiés systématiquement aux intérêts de l’industrie allemande. En réalité il n’en est rien, bien au contraire, comme le démontrent les faits et les chiffres. Depuis 2008, date à laquelle l’UE a développé une nouvelle génération d’accords de libre-échange avec un chapitre développement durable ambitieux qui impose le respect des conventions clefs de l’OIT et de tous les accords environnementaux multilatéraux, l’excédent commercial agroalimentaire de l’UE est passé de 10 milliards d’Euros à 70 milliards d’Euros en 2023. C’est un grand succès et non un préjudice. Pour la France, c’est grâce à ces accords qu’elle a pu maintenir son excédent agroalimentaire autour de 8 milliards d’Euros, malgré une dégradation accélérée de sa balance à l’intérieur de l’UE qui est passée sur la même période d’un excédent de 4 milliards d’Euros à un déficit de 2 milliards d’Euros, signe d’un problème massif de compétitivité de l’agriculture française à l’intérieur de l’Europe. La situation est la même mutatis mutandis pour l’industrie européenne et l’industrie française, dont le déficit est beaucoup plus important à l’intérieur de l’UE qu’avec le reste du monde, malgré la Chine.

La négation de la réalité et l’ignorance crasse sont devenus l’alpha et l’oméga de la politique française. La mauvaise politique économique, tous gouvernements confondus, et la bureaucratie nationale galopante sont les premiers responsables de l’état de l’économie française. François-Xavier Bellamy a eu le courage de faire l’éloge de la valeur travail et de dire que les Français, en moyenne, ne travaillaient pas assez, lanterne rouge des pays développés, vérité jamais relevée par aucun politique français. Il a également fait référence à juste titre aux dangers du pacte vert, facteur de décroissance pour l’agriculture, en omettant néanmoins de mentionner les ajustements significatifs positifs qui viennent d’être décidés et rendent ce pacte beaucoup plus acceptable. Ce point a été relevé par Valérie Hayer, malheureusement avec la platitude d’expression qui lui est propre. Elle n’a pas cherché non plus à expliquer comment seraient financés les 1000 milliards d’investissements supplémentaires au niveau européen en faveur du pacte vert, mesure phare de son programme.

Le paroxysme de la démagogie et de l’ignorance a été atteint avec la partie du débat sur la Chine. Chaque candidat a expliqué doctement qu’il fallait augmenter les droits de douane sur les produits chinois comme le font les Etats-Unis, revendiquant fièrement leur protectionnisme pour la majorité d’entre eux. S’il est incontestable que les excédents chinois, les subventions chinoises, les pratiques prédatrices des industries chinoises constituent une grave menace qu’il faut traiter résolument, il n’est pas possible de faire n’importe quoi comme les Etats-Unis. François-Xavier Bellamy a rappelé à juste titre que la fin de la voiture thermique en 2035 était un formidable cadeau à la Chine.

Les Etats-Unis se sont mis de facto en dehors des règles de l’OMC en bloquant le renouvellement de l’organe d’appel du règlement des différends qui assure le respect des règles du commerce international. Désormais les Etats-Unis ne cessent de prendre des mesures grossièrement incompatibles avec les règles de l’OMC, non seulement à l’égard de la Chine, mais aussi du reste du monde avec l’IRA, sans possibilité de les faire condamner par l’OMC. L’UE a fait le choix en 2019 de créer à 53 membres de l’OMC, avec la Chine, mais sans l’Inde, ni les Etats-Unis, un substitut provisoire à l’organe d’appel qui permet d’assurer le respect des règles du commerce international. Si l’UE suivait les Etats-Unis, ce serait la fin définitive de toute règle, la loi de la jungle et probablement les prémisses d’une nouvelle guerre mondiale.

Cela ne signifie pas que l’UE ne peut pas agir contre la Chine. Elle dispose d’une grande palette d’instruments unilatéraux compatibles avec l’OMC, considérablement renforcés à partir de 2017 : l’anti-dumping, l’anti-subvention, l’instrument de réciprocité sur les marchés publics, l’anti-coercition, le filtrage des investissements, l’instrument contre les subventions étrangères à l’investissement et enfin l’instrument contre le travail forcé tout juste adopté. La Commission Européenne utilise résolument ces instruments à sa disposition. Elle a notamment sauvé la sidérurgie européenne en 2016 face aux surcapacités chinoises grâce aux nombreuses mesures anti-dumping appliquées. C’est ce qu’elle s’apprête à faire face aux nouvelles menaces chinoises, par exemple sur la voiture électrique. Malheureusement Valérie Hayer a été incapable de faire ce point de manière convaincante, face au simplisme ignorant de ses compétiteurs.

Les quatre candidats de gauche n’ont pas été non plus avares de démagogie spécifique commune en demandant la suspension de l’accord d’association de l’UE avec Israël qui comprend un volet libre-échange. L’article 2 de cet accord de 2000 stipule : Les relations entre les parties, de même que toutes les décisions du présent accord, se fondent sur le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques qui inspire les politiques internes et internationales et qui constitue un élément essentiel du présent accord.

Cet article s’entend en référence à l’article 60 de la Convention de Vienne sur le droit des traités qui autorise la suspension unilatérale d’un traité pour la violation d’une clause essentielle. La question est de savoir si la conduite de la guerre à Gaza par Israël est une violation des droits de l’homme. C’est loin d’être évident. Les accords d’association avec l’Algérie, la Tunisie, l’Egypte et le Liban qui datent de la même époque comprennent une clause similaire. Or il est clair que le régime actuel de ces pays viole les droits de l’homme en interne, ce qui n’est certainement pas le cas d’Israël. Par ailleurs si, par hypothèse, Israël viole les droits de l’homme à Gaza, l’Egypte les viole encore plus en ne permettant pas la fuite des populations civiles de Gaza menacées par la guerre. En conséquence il ne saurait y avoir de suspension de l’accord avec Israël sans suspension des accords avec les quatre autres pays mentionnés. Ce serait évidemment contraire aux intérêts de la France et de l’UE et contreproductif dans la recherche de la paix au Moyen Orient. Par contre, il est inexplicable que l’UE n’ait pas encore suspendu son accord de libre-échange avec le Nicaragua du régime criminel d’Ortega, ce que je demande sans succès depuis 2018.

Il ne vaut pas la peine de s’attarder sur l’économie vaudou proposée par Manon Aubry et Marie Toussaint dans laquelle les énergies renouvelables non pilotables suffisent à alimenter à elles seules l’UE en électricité. Selon elles, à l’abri du protectionnisme et du verdissement frénétique unilatéral de l’économie européenne, la production et les revenus augmenteraient miraculeusement, le climat s’améliorerait même en l’absence d’effort significatif du reste du monde, dans le cadre d’un rousseauisme béat et ridicule. Léon Deffontaines a défendu l’interventionnisme économique communiste classique, l’énergie nucléaire et, plus original, l’ouverture de la mine de lithium de l’Allier.

Raphaël Glucksmann, le chouchou des médias, au charisme incontestable, a cédé trop souvent à la facilité démagogique, en dehors de sa fermeté anti-Poutine en faveur de l’Ukraine partagée avec Valérie Hayer. Il s’est montré ambiguë sur l’énergie nucléaire, a critiqué les accords de libre-échange qu’il a votés, en écho à Léon Deffontaines. Il a réclamé un Buy European Act sur les marchés publics. Ce serait redondant avec l’instrument de réciprocité adopté en 2022 après 10 ans d’effort, instrument offensif et non défensif. Sur l’agriculture il s’est livré à l’incantation réductrice habituelle sur les 80 % des aides qui iraient à 20 % des agriculteurs. Si des améliorations sont possibles dans la répartition, les initiés savent que ces chiffres ne sont pas représentatifs de la réalité. En effet un grand nombre de petites exploitations agricoles sont à temps très partiel. La dernière étude très complète de l’INSEE publiée il y a trois mois indique que les revenus agricoles ne représentent en moyenne qu’un tiers du revenu des ménages d’exploitants agricoles. Sur la base de la segmentation des exploitations agricoles en quatre catégories de nombre équivalent, micros, petites, moyennes et grandes, le revenu par personne est équivalent pour les trois premières catégories et seulement supérieur de 20 % pour les plus grandes exploitations. Le 23 mai Raphaël Glucksmann a cru bon de faire une conférence de presse commune avec Frans Timmermans, actuel chef du parti socialiste néerlandais, largement responsable du mauvais dosage du Green Deal, en tant qu’ancien Vice-Président de la Commission Européenne, avec son directeur de cabinet, ancien dirigeant de Green Peace, anti-nucléaire idéologique. En un mot, Raphaël Glucksmann a tendance à raconter à l’opinion publique ce qu’elle a envie d’entendre sur les questions économiques, même s’il est plus courageux sur les autres questions.

Le débat Attal Bardella du 23 mai sur Antenne 2 a fait éclater le grand écart entre l’énorme confiance en lui de Jordan Bardella et son absence de maitrise concrète des dossiers que Gabriel Attal a pu aisément exploiter. De la préférence nationale pour les marchés publics à la double frontière en matière d’immigration en passant par le marché de l’électricité, Jordan Bardella a été à la peine pour expliquer le fonctionnement concret de ses propositions, visiblement très peu travaillées. Concernant les accords de libre-échange soi-disant nocifs, il a été pris complètement à revers par les résultats positifs de l’accord CETA sur lequel Gabriel Attal, non seulement maitrisait les faits, mais les complétait par des informations supplémentaires issues de son récent voyage officiel au Canada. Même sur sa critique justifiée de l’arrêt de la production des voiture thermiques en 2035, Jordan Bardella s’est fait corneriser par Gabriel Attal qui a réussi à donner l’impression que son opposant ne maitrisait pas la différence avec l’arrêt de leur utilisation.

Si Jordan Bardella peut faire illusion face à des débatteurs de deuxième ordre, catégorie à laquelle appartient Marine Le Pen, et encore dans un bon jour, il est clair qu’il ne tient pas encore la distance face à des débatteurs chevronnés maitrisant à la fois la substance et l’art de la communication comme Gabriel Attal. Toutefois en faisant apparaître l’énorme écart entre les capacités médiatiques de Gabriel Attal et celles de Valérie Hayer, il n’est pas certain qu’Emmanuel Macron, promoteur de ce débat, ait rendu service à celle-ci.

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