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Thierry Vincent publie « Dans la tête des black blocs : Vérités et idées reçues » aux éditions de l’Observatoire.
Thierry Vincent publie « Dans la tête des black blocs : Vérités et idées reçues » aux éditions de l’Observatoire.
©Thomas SAMSON / AFP

Bonnes feuilles

Thierry Vincent publie « Dans la tête des black blocs : Vérités et idées reçues » aux éditions de l’Observatoire. Qui sont les Black Blocs ? Comment s'organisent-ils ? Quels sont leurs mots d'ordre ? Extrait 2/2.

Thierry Vincent

Thierry Vincent

Journaliste free-lance après avoir travaillé douze ans à Canal+, Thierry Vincent réalise des documentaires pour France 2, Canal+, M6 et France 4, et écrit des articles pour L’Obs, Blast, Marianne, Le Monde diplomatique et La Chronique d’Amnesty International.

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Qui se cache sous ces cagoules et ces vêtements noirs ? C’est la question qui taraude tout le monde, grand public comme journalistes, chercheurs, politiciens. Une question incongrue, perçue comme illégitime, comme un quasi-viol, par certains activistes. « On  s’en fout complètement de savoir qui se cache derrière les cagoules. Thierry, si on met des cagoules, c’est pas pour que tu tires dessus ! », est-il écrit à mon adresse dans un texte du site Paris-lutte.info le 21 mars 2017, alors que je posais cette question en introduction de mon documentaire « Nous sommes tous des casseurs ».

Les cagoules servent à anonymiser pour se protéger des arrestations bien sûr, mais elles créent aussi un univers fantasmatique déroutant : quoi de pire pour un pouvoir que de ne pas savoir qui sont ses ennemis ? Et quoi de plus tentant et de plus rassurant que d’accoler un profil type à ces ennemis fantomatiques et insaisissables ? C’est bien pour déjouer cette tentative que les activistes des black blocs sont réticents à s’aventurer sur le terrain d’un portrait type.

« Les médias sont obsédés par l’idée de dresser un profil sociologique type. Mais la réalité, c’est que ça n’existe pas. Dans le bloc, tu vas retrouver un thésard, un prof, un employé de bureau ou un mec qui bosse à l’usine, m’explique une activiste nantaise. Les flics veulent absolument nous cataloguer, nous catégoriser, imaginer des structures, des organisations, des chefs. La réalité est tout autre : le bloc est un mouvement spontané de révolte, une sorte d’autodéfense populaire par rapport à la violence policière et du capitalisme. »

Une vision romantique de black blocs composés d’opprimés, des classes populaires, des classes moyennes. Ainsi, un communiqué de militants italiens affirmait : « Voulez-vous voir les visages sous les foulards, les casques, les cagoules ? Ce sont les mêmes qui vous versent un loyer pour des logements décrépits. Ce sont les visages qui préparent votre cappuccino, ce sont les visages de celles et ceux dont le sang est drainé par la précarité, dont la vie est de la merde, et qui n’en peuvent plus. »

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L’idée reçue véhiculée par les médias est que les black blocs sont des Blancs, fils de bourgeois. Pas forcément contradictoire avec la réalité que dépeignent les activistes italiens, tant la mobilité sociale descendante est de plus en plus courante chez les classes favorisées.

Sans parler de l’origine sociale, le point commun le plus frappant des militants du bloc est leur jeunesse. Une simple observation sur le terrain permet de le constater : nombre des activistes sont lycéens, parfois de 15‑16 ans à peine. « On n’imagine pas, explique l’un d’eux, mais c’est hyper-physique, avec des risques. Beaucoup d’entre nous alternent les manifs en mode tranquille et en mode black blocs. Et puis, au bout d’un moment, les gardes à vue, les condamnations éventuellement, ça use. À 25 ou 30 ans, beaucoup prennent, entre guillemets, leur retraite. »

Logiquement, les black blocs sont donc souvent des lycéens et des étudiants. Beaucoup ont aussi commencé très jeunes, comme Milan, 18 ans, participant au bloc depuis l’âge de 15 ans. « En première, j’étais déjà dans le bloc. Mais là, je me suis tapé plusieurs gardes à vue, j’ai même eu une perquise chez mes parents, alors je me suis calmé. Je reste solidaire, je vais dans le cortège de tête, mais pacifiquement, sans commettre aucun délit. » Le turn-over et le renouvellement des troupes est donc très important. Milan a pris sa retraite à 18 ans.

Travailleurs et étudiants, rarement chômeurs

Si j’avais à me hasarder à une statistique bien pré‑ somptueuse et approximative, je parierais plutôt sur un taux de chômage des activistes du black bloc inférieur à la moyenne nationale. Aucune valeur scientifique, néanmoins mon expérience me conduit intuitivement à le penser  : parmi tous les activistes que j’ai pu rencontrer, aucun n’était chômeur, aucun n’était déclassé socialement ou en rupture familiale. Il y a néanmoins des branches qui, visiblement, attirent plus que d’autres les activistes radicaux. Les étudiants –  une grande partie du bloc  – ont plutôt tendance à s’orienter vers les sciences sociales ou les matières littéraires (sociologie, psychologie, histoire, lettres modernes, langues étrangères) que les matières scientifiques. Pour ceux qui travaillent, beaucoup sont dans le spectacle (organisateurs de concerts, comédiens, réalisateurs) ou dans tout ce qui relève de la création artistique (dessinateurs, mode, monteurs vidéo). D’autres sont chercheurs ou profs. Des métiers souvent intellos aux revenus moyens donc, mais pas que  : certains travaillent dans le secteur caritatif, d’autres accumulent les petits boulots dans la restauration, certains sont livreurs, infirmiers, éducateurs spécialisés. J’ai même rencontré une directrice de crèche. Plus rares, des informaticiens ou cadres sup gagnant bien leur vie, et même un pompier, arrêté le 20 avril 2019 en possession de cocktails Molotov, lors d’une manif Gilets jaunes. Il a été condamné à dix mois de prison avec sur‑ sis. Plus surprenant encore, un centralien, consultant au salaire confortable de 4 200 euros net, a été interpellé parmi le black bloc le 1er  mai 2018. Autre cas, inconnu des médias car vite étouffé tant l’affaire était sensible  : un informaticien travaillant à la préfecture de police s’est fait interpeller avec marteau, burin et divers projectiles dans un contrôle en amont d’une manif. Il a fait l’objet de sanctions disciplinaires, mais pénalement, l’affaire est passée à la trappe.

Des fils à papa ?

« Black blocs : un mouvement de fils de profs ? » Le bandeau qui s’affiche en gros sur BFM ce 6 décembre 2020 pour illustrer un débat sur le mystérieux profil des cagou‑ lés sonne à la fois comme un cliché et une provocation. Les black blocs seraient des fils de bourgeois et d’intellos. Un remake du gosse de riches soixante-huitard. Excessif, le stéréotype recouvre néanmoins une certaine réa‑ lité. « Je suis un peu un cliché du black bloc fils de prof, explique, gênée, Jade, militante nantaise. Mon père est prof de lettres modernes, ma mère est écrivain. Ce n’est pas le seul profil, mais il faut le reconnaître, nous sommes nombreux dans ce cas », susurre-t-elle, presque comme pour s’excuser. Zoé, autre militante du bloc, le reconnaît plus franchement : « Dans la majorité des cas, les black blocs viennent de milieux culturellement favorisés, mais pas forcément financièrement. Le cas typique, c’est le fils ou la fille d’instit, de prof, d’universitaires, d’artistes ou d’intermittents du spectacle. Mais pas forcément riches non plus, les fils de bonne famille qui font une crise d’adolescence, c’est un cliché un peu facile. » Est-on un privilégié quand on est enfant d’instituteur ?

Un cas emblématique : l’activiste radical le plus connu de France (mais dont la participation aux black blocs n’a jamais été formellement démontrée), Antonin Bernanos, le jeune homme condamné à 3 ans de prison ferme dont deux avec sursis (bien qu’il ait toujours clamé son innocence) pour avoir frappé un policier dans l’affaire de l’incendie de la voiture quai de Valmy à Paris, le 18 mai 2016, en pleine loi travail. Arrière-petit-fils de l’écrivain Georges Bernanos, il est devenu, aux yeux de la droite, de l’extrême droite, de la police et du gouvernement, le symbole de cette gauche bourgeoise et privilégiée qui constituerait le black bloc. C’est très exagéré  : le père d’Antonin Bernanos est un intermittent du spectacle aux revenus très fluctuants. Sa mère est fonctionnaire territoriale. Pas franchement la grande bourgeoisie, malgré un nom de famille passé à la postérité.

Hormis Lamine – dont je dresserai plus loin le portrait –, le seul enfant de véritable prolétaire que j’ai rencontré est Milan, un jeune de 18 ans : « Mon père est arrivé en France à l’âge de 26 ans, raconte-t-il. Il est resté longtemps sans papiers. Il travaillait sur des chantiers. Depuis, il a été régularisé et est devenu cadre, mais à la base c’est un vrai prolo. Mais c’est vrai que c’est très rare. »

Autre fait notable : la plupart des activistes que j’ai rencontrés ont des parents pas forcément très politisés, mais votant généralement à gauche. Et plutôt PS qu’extrême gauche. Je n’ai connu que quelques très rares cas d’activistes dont les parents votaient à droite.

Et les quartiers populaires ?

Les militants le reconnaissent : les jeunes des quartiers populaires sont traditionnellement très peu nombreux dans le milieu militant d’ultragauche. Un paradoxe pour des activistes dont l’insurrection populaire anti‑ capitaliste est le totem suprême. Selon les services de renseignement, il n’y a guère plus de 2 000 personnes en France susceptibles de s’adonner aux violences de rue lors de manifestations politiques. « C’est clair, c’est pas avec ça qu’on va faire la révolution », se désole un activiste du bloc, qui regrette « l’entre-soi » du milieu militant radical. Les activistes du bloc se sentent pourtant solidaires des quartiers dits sensibles  : « C’est dans les banlieues qu’a d’abord été utilisé le flashball par exemple, reprend ce militant. Ce que nous subissons dans les manifs, les quartiers dits sensibles le subissent depuis des années, dans l’indifférence des médias. »

Zoé, 21 ans, le reconnaît sans ambages : « Le bloc reste très majoritairement composé de classes moyennes blanches, c’est notre gros échec. » D’autant plus regret‑ table que les révolutionnaires du bloc n’ont de cesse de dénoncer « le racisme systémique de l’État ». « Les quartiers populaires et les banlieues sont les premières victimes de la répression, analyse Giovanni, 37 ans, un âge déjà canonique dans les black blocs. Ils servent de zones tests pour la militarisation de la police. » Jade, militante nantaise surdiplômée, avance une explication : « Pour un “racisé” d’un quartier populaire, aller à l’affrontement avec la police est bien plus risqué que pour nous. La justice de classe et encline au racisme va avoir la main beau‑ coup plus lourde que pour un Blanc, d’autant plus qu’il a souvent un casier. » Giovanni, fan de foot, ose une métaphore : « Les centres-villes où il y a des manifs, les mecs de banlieue ne connaissent pas. Ils jouent en quelque sorte à l’extérieur. Leur terrain de lutte, ce sont les émeutes de banlieue. » « Quand tu es issu d’un milieu défavorisé, et que ton principal problème, c’est ta survie, tu as autre chose à foutre que te plonger dans l’action politique radicale, développe Jade. Tu songes surtout à éviter la garde à vue et la prison qui font partie de ton univers. Tu vas pas prendre ce risque pour un idéal anticapitaliste, tu le prends éventuellement pour améliorer ton niveau de vie, à coups de petits vols ou de trafics », ajoute Jade.

« La jonction avec la banlieue, c’est à la fois un fantasme de gauchistes et de flics. Les premiers en rêvent, les seconds le craignent », explique un autre activiste. Un peu la version moderne de l’alliance étudiants/ouvriers que cherchaient les soixante-huitards, qui a connu une certaine réalité dans les années 1970 sans réellement perdurer. « L’idéologie radicale des autonomes et la force de frappe des banlieues, c’est un mélange détonnant, la hantise de la police », me confie un policier des services de renseignement, aujourd’hui retraité. La fameuse « convergence des luttes ».

Banlieues/black blocs, deux mondes hermétiques ? Pas tout à fait. Si le bloc reste très blanc, un rapprochement commence à se faire. C’est notamment le cas dans les manifs contre les « violences policières », qui ont lieu le plus souvent dans les quartiers sensibles. « C’est clair, c’est pas sur les bancs de la fac ou dans les réunions militantes souvent très fermées qu’on se rencontre, explique Arnaud, activiste du bloc. Dans les mobilisations contre les bavures en revanche, les deux mondes se côtoient. » Souvent, les black blocs se rendent aux protestations, mais restent pacifiques, par respect pour les familles qui demandent qu’il n’y ait aucune violence.

J’ai effectivement eu du mal à rencontrer des militants radicaux venant de banlieues difficiles, sans diplôme universitaire, a  fortiori « racisés », comme l’on dit dans le milieu militant. Cela ne signifie pas forcément qu’ils soient complètement marginaux, tant il y a un biais classique, que l’on retrouve à peu près dans tous les sujets journalistiques, qu’ils soient politiques ou pas, jusqu’aux moindres faits divers : les catégories traditionnellement discriminées (femmes et personnes « racisées » notamment) ont une propension à ne pas vouloir parler aux journalistes, par peur de « dire des bêtises » ou de « mal s’exprimer » : « C’est sûrement pas très clair ce que je te dis », s’excuse ainsi le militant Lamine, la petite quarantaine. Le discours est pourtant parfaitement structuré, la parole oscillant entre langage soutenu et argot des banlieues.

Extrait du livre de Thierry Vincent, « Dans la tête des black blocs : Vérités et idées reçues », publié aux éditions de l’Observatoire

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