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Un touriste visite l'église Saint-Vincent des Baux-de-Provence le 30 juillet 2013.
Un touriste visite l'église Saint-Vincent des Baux-de-Provence le 30 juillet 2013.
©BORIS HORVAT / AFP

Bonnes feuilles

Christophe Bazin et Charles Rouah ont publié "Curé de campagne" aux éditions Robert Laffont. À quoi ressemble la vie d'un curé de campagne ? À l'heure de la désertification et des crises de conscience, celui-ci a-t-il encore un rôle à jouer ? Le père Christophe Bazin en est convaincu. En charge d'une soixantaine de villages et d'une cinquantaine d'églises, il s'est mis au service des fidèles, notamment des plus fragiles, et parcourt chaque jour des kilomètres pour leur apporter son soutien. Extrait 1/2.

Demain, justement, j’y pense souvent, sans renier hier, ni passer à côté d’aujourd’hui. Mais notre futur est un défi, car il nous faut l’inventer, et nous réinventer. Je porte donc des lunettes à double foyer afin de voir aussi bien de loin que de près. Je tente ainsi d’appréhender l’Église telle qu’elle est tout en l’imaginant sur le moyen et long terme, pour lui éviter la sortie de route.

En tant que membre du conseil épiscopal, je profite des retours d’expériences de mes confrères et du point de vue des quatre laïcs qui en font partie (trois femmes et un homme). Une bonne connaissance du terrain est précieuse, fondamentale, elle constitue une source de réflexion et d’inspiration pour conduire mon doyenné. Pour autant, je n’ai aucune légitimité pour dresser le portrait-robot du prêtre de campagne des années à venir. Il y a et il y aura autant de manières de vivre cette mission que de couleurs dans l’arc-en-ciel.

Je vais pourtant commencer par une généralité : le rôle du curé de campagne n’a fondamentalement pas changé depuis deux mille ans! Il a et il aura toujours les trois mêmes défis à relever : célébrer Dieu avec les fidèles; annoncer la Bonne Nouvelle à tous; et se mettre au service des hommes, particulièrement des plus pauvres, comme l’a fait Jésus. Voilà pour le cadre. À présent, si l’on aborde le cœur du sujet, autrement dit le réel, le curé de campagne est un funambule, en permanence en équilibre, tiraillé entre l’envie de maintenir une certaine proximité et l’obligation de mutualiser les tâches qu’il doit accomplir. Comment rester proche des chrétiens dispersés sur le territoire, alors que nous, prêtres, sommes si peu nombreux ? Mieux encore, comment s’y prendre pour rester au service de l’ensemble des habitants de nos paroisses et les accompagner dans les grands moments de l’existence (baptêmes, mariages, funérailles…) ? On le voit, les temps changent, aussi chacun doit s’adapter. Concrètement, les chrétiens doivent se saisir eux-mêmes de leur avenir : le futur de l’Église dépend de leur investissement. Certains le font déjà. Je me réjouis de pouvoir faire confiance à ceux qui s’engagent, qui en visitant les malades de leur village, qui en s’occupant des jeunes d’un secteur, qui encore en préparant les liturgies pour les messes ou les funérailles dans leur paroisse. De notre côté, il arrive que telle ou telle formation soit mutualisée, qu’une réunion rassemble plusieurs paroisses. Les décisions collectives se prennent ainsi plus rapidement. Pas de doute, notre union fera notre force. Notre salut passera par le travail d’équipe. Dans les faits, le prêtre n’est déjà plus celui par qui tout doit passer, celui qui attire tous les regards. Et c’est très bien ainsi! Les paroissiens doivent dorénavant se serrer les coudes et les prêtres doivent les encourager. Cela me rappelle cette phrase tirée de l’Apocalypse, le livre de la révélation : «Alors j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et, de mer, il n’y en a plus .» (Apocalypse, chapitre 21, verset 1).

C’est un énorme défi que nous devons relever ensemble. Chaque chrétien devra s’investir, notamment en rendant visite à ceux qui en ont besoin. Certains groupes le font déjà. Cela doit s’intensifier. Mon travail, comme celui de beaucoup de curés de campagne confrontés aux mêmes défis que moi, ne peut plus être de rendre visite à tout le monde, mais de m’assurer que tout le monde reçoit ce dont il a besoin. La nuance est de taille. Bien entendu, je dois continuer de montrer l’exemple, l’idée n’étant pas de tout déléguer puis de me reposer sur mes lauriers! Finalement, ma mission reste peu ou prou la même, elle sera simplement de plus en plus partagée. Notre diocèse, avec son synode «Osons un nouvel élan, vers une Église disciple-missionnaire», a d’ores et déjà franchi le pas en multipliant les consultations de chrétiens, afin de prendre des décisions souhaitées par tous, en concertation. C’est une bonne chose, l’époque est certes délicate, mais galvanisante aussi. Je trouve le moment beau. Et plein de promesses : moins de chrétiens, mais plus convaincus; des baptisés moins nombreux, mais plus responsables; des structures allégées et réactives; une Église plus soucieuse de notre maison commune, la Terre ; une Église moins prétentieuse aussi, plus missionnaire ; une Église, enfin, plus mobile. Je ne vois pas d’autre façon d’avancer, la cohésion des communautés en sortira grandie.

Quoi qu’il en soit, il ne faut pas se bercer d’illusions, le curé de campagne «à l’ancienne», en charge d’un unique village, ne pourrait plus trouver sa place dans le monde tel qu’il est. Les hommes et les femmes ont changé, sont plus éduqués, et donc en capacité d’assumer des fonctions qui pouvaient naguère leur échapper. Et, surtout, ils sont devenus plus critiques, ce qui nous a obligés à nous remettre en question d’un point de vue moral et spirituel tout autant qu’organisationnel. Le revers de la médaille, comme je l’ai déjà évoqué, c’est que je n’ai plus la même connaissance de tous mes fidèles, ce qui représente une source de frustration pour moi comme pour eux. Je suis contraint de l’accepter, mais je n’y suis pas indifférent. C’est pour cette raison que j’ai mis en place les missions-villages, notamment. Une initiative qui ne me dispense pas d’entendre des reproches sur le mode «C’était mieux avant», bien que ces remarques se fassent de plus en plus rares.

Avant, il est vrai, j’aurais moi aussi rencontré moins de problèmes. Je n’aurais pas, par exemple, eu de difficulté à recruter des bénévoles. Aujourd’hui c’est plus souvent le cas, et demain, nous risquons tout simplement de manquer de forces vives, si le trop petit renouvellement par les jeunes générations se confirme. Heureusement, jusqu’à présent, les obsèques n’ont pas eu à pâtir du manque de bénévoles bien formés pour la circonstance. Depuis mon arrivée à Luxeuil, nous sommes toujours parvenus à assurer leur service, même pendant l’épidémie de la Covid, alors que seules dix personnes sur les quarante-cinq formées étaient encore opérationnelles. Que nous réserve l’avenir ? Chaque année, nous préparons des fidèles pour prendre la relève et apprendre à diriger les funérailles, mais plus on avance et plus il s’avère compliqué de recruter. Pourtant, les demandes restent encore fortes dans cette partie de la Haute-Saône. Et elles ne viennent pas uniquement de chrétiens convaincus. C’est aussi vrai pour les mariages. Certains souhaitent s’unir dans une église parce qu’ils veulent faire plaisir à leur famille, parce que la cérémonie revêt un caractère plus solennel, parce que «c’est mieux», disent-ils, mais pas vraiment parce qu’ils croient au Dieu de Jésus-Christ, ni même parce qu’ils aimeraient faire un bout de chemin vers lui. Les deux couples qui préparent ces jeunes candidats au mariage s’en étonnent, mais reçoivent avec beaucoup de bienveillance et d’espérance ces personnes en mal de repères religieux. Quelles que soient ses motivations, je saisis l’occasion pour interpeller chaque couple que je rencontre, le stimuler, lui faire découvrir que son amour trouve sa source en Dieu et que la foi est une ressource précieuse pour la vie à deux. Je sais pertinemment que pour certains mes paroles se perdront dans le vent; pour les autres, je veux croire qu’ils seront touchés par un mot. Dans ces moments, je sème humblement l’Évangile, sans être capable toujours d’en récolter les fruits. Mais la foi me permet de relativiser : je ne suis qu’un serviteur de Dieu, je fais de mon mieux, puis je m’en remets à lui, en sachant qu’Il me précède toujours dans tout ce que j’entreprends. D’ailleurs, des petits miracles se produisent. Je pense à ce couple qui a vécu un beau cheminement. Madame a demandé à effectuer sa première communion et sa confirmation dans la foulée du mariage. Lui, se définissant comme athée, a commencé par m’interroger sur la Bible, qu’il lit aujourd’hui avec beaucoup de bonheur. Ils ont ensuite choisi de faire baptiser leur petit garçon, ont décidé de suivre des formations sur Jésus ou la Bible, puis se sont engagés comme catéchistes. Un parcours étonnant!

En revanche, s’agissant du Service évangélique des malades (SEM), les bénévoles manquent cruellement. Pourtant cette mission revêt une grande importance. Nous aurions besoin de trois fois plus de bras pour être en capacité d’offrir notre assistance à tous et proposer un service de qualité. Car il s’agit non seulement de rendre visite aux malades, mais aussi aux personnes seules et âgées. Dans notre milieu rural, ces dernières sont, hélas, nombreuses. Je mesure l’ampleur de notre tâche lors des missions-villages, qui me permettent d’établir un véritable état des lieux. Ce qui prouve à quel point le contact direct est important, irremplaçable. Mais même si le diagnostic est bon, nous n’avons pas aujourd’hui trouvé de solution miracle. Je ne perds pas courage, car Jésus disait déjà : «La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson.»  (Évangile selon saint Luc, chapitre 10, verset 2). Dans mes prières, je formule la demande de m’envoyer de nouveaux visiteurs. J’ai consulté mes équipes pour envisager la venue de jeunes missionnaires, qui pourraient nous rejoindre sur la paroisse. Des WEMPS (Week-ends mission prière service : initiative d’évangélisation en milieu rural, qui rassemble des jeunes au service des paroisses rurales), qui télétravaillent ou télé-étudient en journée et qui partagent avec les prêtres une vie fraternelle de prière. Le soir et le week-end, ils peuvent soutenir la mission de la paroisse. Je pensais leur proposer de visiter les personnes isolées ou de créer par un autre moyen une proximité avec elles, ce qui pourrait être particulièrement précieux en ces temps incertains où nous faisons l’expérience de confinements.

Finalement, mon rôle de curé de campagne est paradoxal. D’un côté, je constate que j’accompagne une lente et inexorable fonte des neiges de notre Église – mais je préfère parler d’une cure d’amaigrissement : elle se purifie et se recentre petit à petit sur l’essentiel. De l’autre côté, je m’engage à faire croître la foi, l’espérance, la charité sur le doyenné de Luxeuil, en coopérant avec des fidèles expérimentés. Supporter cette tension n’est pas facile, mais mon tempérament optimiste et combatif me sauve de la noyade, il me permet de toujours voir briller une lueur d’espoir, même dans les moments sombres. Plus profondément encore, c’est mon indéfectible foi en la Résurrection qui m’anime. Des difficultés, de la mort, surgira la vie! Et surtout, je place toute ma confiance en Dieu pour conduire son Église vers demain!

C’est dans la tempête et les moments d’incertitude qu’il faut s’en remettre au Christ. Et relire la Bible : «Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait. Lui dormait sur le coussin à l’arrière. Les disciples le réveillent et lui disent : “Maître, nous sommes perdus; cela ne te fait rien ?” Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : “Silence, tais-toi!” Le vent tomba, et il se fit un grand calme. Jésus leur dit : “Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ?”» (Évangile selon saint Marc, chapitre 4, versets 37 à 40).

Alors la question n’est pas de se demander si je vais être capable de vaincre la tempête qui secoue l’Église – comment le pourrais-je seul? Elle est plutôt de savoir si je place ma foi en Jésus pour qu’il mène à bon port notre barque. J’ai décidé de ramer avec lui, si l’on peut dire, car Dieu ne nous sauvera pas sans que nous nous engagions. Voilà l’état d’esprit qui m’habite.

Et il y a déjà des résultats positifs dans la recherche de cette nouvelle organisation, avec la pastorale des mariages et des baptêmes. À mon arrivée à Luxeuil, il n’y avait plus qu’une précieuse animatrice dans le doyenné pour prendre en charge la préparation à ces sacrements. J’ai donc pris l’initiative de réunir quelques couples plutôt jeunes, qui me paraissaient motivés. Je leur ai proposé de m’assister dans la préparation des mariages; ils connaissaient le sujet bien mieux que moi, c’était une évidence. J’ai profité de l’occasion pour leur glisser que j’avais aussi besoin d’aide pour les baptêmes. J’ai été bien inspiré, deux couples se sont portés volontaires pour le mariage et trois autres pour le baptême. Morale de l’histoire : osons demander, appeler les plus jeunes à prendre des responsabilités. Tenons-leur un discours enthousiaste et ouvert. Le prêtre n’est pas condamné à subir, il peut agir et alerter les consciences du risque que court l’Église si chacun reste dans son coin. Il faut toutefois sans cesse se remettre à l’ouvrage, car rien n’est jamais acquis. Patience est mère de vertu.

L’avenir de certaines missions est, en revanche, encore bancal. Je pense au catéchisme. Dans le doyenné, on recense environ deux cent cinquante enfants qui suivent ce dernier. Si ce nombre peut sembler important, il est pourtant en constante érosion. Côté encadrement, si quelques paroisses s’en sortent bien et parviennent encore à réunir les équipes nécessaires, avec des jeunes – entre vingt-cinq et cinquante ans –, pour d’autres les choses se déroulent moins aisément, et le renouvellement ne suit pas. Certaines catéchistes, plus âgées, se retrouvent ainsi en difficulté, chahutées, voire carrément «bousculées » par des enfants turbulents. Mon espoir se place du côté des parents, quelques-uns commencent à se mobiliser. En espérant que ça dure ! Nous avons nous aussi une carte à jouer. C’est pourquoi, ces dernières années, les prêtres prennent plus de temps pour rencontrer les enfants le samedi matin. Ces visites leur permettent de mieux nous connaître, de nous poser leurs questions, et elles sont nombreuses! J’apprécie énormément ces échanges, ils sont pleins de spontanéité et de vérité.

L’avenir reste donc incertain, mais avec l’aide de l’Esprit Saint, notre guide, je suis convaincu que nous allons petit à petit réussir la nécessaire mutation de notre Église. Il nous faut tous réapprendre le sens du partage.

Extrait du livre de Christophe Bazin et Charles Rouah, « Curé de campagne » publié aux éditions Robert Laffont

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