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La rigueur budgétaire ne doit pas occulter le mal logement
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DALO prend l'eau ?

François Hollande, Eva Joly, Jean-Luc Mélenchon et François Bayrou en visite à la Fondation Abbé-Pierre ce mercredi pour signer son "contrat social pour une nouvelle politique du logement". Une déclaration d'intention qui gagnerait à être suivie de faits pour résoudre les problèmes de logement que connait la France.

Didier Vanoni

Didier Vanoni

Didier Vanoni est Directeur du bureau d’étude FORS Recherche Sociale depuis 1995 (www.fors-rs.com) et en charge des études touchant aux questions de logement et d’habitat ainsi qu’aux démarches de développement social territorialisé.

il est également Directeur de la rédaction de la revue « Recherche sociale » et expert auprès de la Fondation Abbé-Pierre.

 

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Comme le rappelle régulièrement la Fondation Abbé-Pierre ainsi que divers sondages [1] et études récentes [2], le cercle des personnes touchées par le mal-logement s’est considérablement élargi ces dix dernières années. Ce sont en effet, 685 000 personnes privées de domicile personnel des 3,6 millions de mal-logés qui sont enregistrées par la statistique nationale. Au delà de ces chiffres, il faut prendre toute la mesure de ce que recouvrent les différentes manifestations du mal-logement. Celles-ci se sont ainsi considérablement diversifiées : elles concernent davantage de catégories sociales (il y a celles qui touchent les catégories défavorisées et qui les « tirent » toujours plus vers le bas ; et celles qui affectent les catégories qui appartenaient encore récemment aux classes moyennes, et qui rejoignent les catégories modestes ou qui basculent dans la pauvreté).

Elles connaissent aussi une certaine diversification de ses formes : camping à l’année, recours à des abris de fortune et à des « cabanes », squats ou bidonvilles... mais aussi un repli sur des formes d’habitat indignes ou le report des projets de décohabitation, ou encore un hébergement chez des tiers avec sur-occupation renforcée, etc. Le mal-logement signifie encore, pour une large fraction de la population, une mobilité impossible et des projets résidentiels contrariés… et pour la plupart, un effort financier toujours plus important.

Une grande partie des difficultés de logement peuvent être analysées comme étant une conséquence directe d’une production d’une offre de logement insuffisante, et aux caractéristiques décalées par rapport aux moyens et aux besoins d’une grande partie de la population (taille, localisation, prix). Les principales conséquences (variables selon les territoires) de ce décalage sont :

  • Un parc social sur-sollicité et tiraillé par des injonctions contradictoires (DALO, mixité, PRU, logement d’abord…) ;

  • Des collectivités territoriales laissées seules en première ligne face à la montée des précarités, avec des actions qui pâtissent d’une insuffisance des mécanismes de solidarité ;

  • Une éviction des publics traditionnels par les nouveaux publics (dans l’hébergement, le logement social, sur le marché locatif privé…) sur le mode d’une concurrence entre « pauvres » ;

  • Un renforcement  de la pauvreté et de la précarité dans les ZUS (zones urbaines sensibles), etc.


La manière dont se structurent et fonctionnent les marchés immobiliers sont l’autre grande cause du développement du mal-logement.  Un logement trop cher (même lorsqu’il est disponible) au regard des ressources des différentes catégories de ménages génère un certain nombre de conséquences, notamment en termes d’exclusion, de ségrégation mais aussi de recul des niveaux de vie. Alors que les loyers ont progressé de plus de 50% en une décennie en France, les loyers sont restés stables en Allemagne...


Des politiques publiques qui ne sont pas à la hauteur des enjeux…

Au-delà de ces conséquences, ce qui frappe dans la perception des tendances actuelles est que, malgré un partage du diagnostic par l’ensemble des acteurs sur ces phénomènes, l’on soit face à une certaine impuissance à dépasser les tendances déjà marquées (prix élevé, rythme de production insuffisant). Les gouvernements apparaissent le plus souvent en situation passive par rapport au marché et à ses dérives. L’essentiel des réponses publiques restent cantonnées au recours au parc social selon des injonctions paradoxales, voire même des logiques contradictoires (ventes de logements sociaux en secteur tendu et DALO (Droit au logement opposable, par exemple). Les mesures à prendre en termes de planification semblent souvent sous-utilisées ou insuffisamment portées politiquement. L’intervention sur les prix demeure un tabou.

Quant aux politiques partenariales destinées à lutter contre l’exclusion du logement, face à la montée de précarités, elles s’essoufflent et influent finalement assez peu sur la masse des situations relevant du mal-logement (DALO, PDALPD, etc.). La surenchère de réformes et de dispositifs nouveaux que l’on a connue depuis cinq ans (le « Logement d’abord ») n’a pas contribué pas à éclaircir les responsabilités et à ajuster réellement les moyens dédiés à l’ampleur des difficultés.

C’est pourquoi, il apparaît essentiel que la campagne présidentielle puisse être l’occasion d’envisager d’autres voies et des changements qui relèveraient non pas d’une énième réforme sectorielle, mais d’un changement de paradigme de la politique du logement. Il faudrait pour cela, mettre en exergue un certain nombre de valeurs (l’intérêt général) et privilégier une vision stratégique. Quel sera le candidat qui reprendra à son compte l’analyse de Pierre Bourdieu selon laquelle les maux d’aujourd’hui découlent de décisions prises ou éludées il y a 10, 20 ou 30 ans (voir citation ci-dessous) ? Il reste à espérer toutefois que la rigueur budgétaire à laquelle est soumis notre pays ne nous fera pas renoncer à une certaine ambition « pour la mise en place d’une politique du logement durable ».

« Je crois en effet que, si nos technocrates prenaient l'habitude de faire entrer la souffrance, sous toutes ses formes, avec toutes ses conséquences, économiques ou non, dans les comptes de la nation, ils découvriraient que les économies qu'ils croient réaliser sont souvent de forts mauvais calculs ». Pierre Bourdieu, dans une interview à l’Express (18/03/1993)



Notes


[1] Selon un sondage du début du mois de septembre 2011, réalisé par IPSOS auprès de 1000 français et de 351 parlementaires et élus locaux, 78% des français estiment qu’il est devenu très difficile de se loger (91% pour l’Ile-de-France) et 76% que la situation sera encore plus difficile pour les générations futures.

[2] Cf. Régis Bigot et Sandra Hobian , « Le coût du logement pèse sur la mobilité professionnelle », in Consommation et modes de vie, n°240, CREDOC,  juillet 2011.

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