Crise énergétique : voilà pourquoi les marchés du gaz pourraient bien exploser cette semaine<!-- --> | Atlantico.fr
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Des travailleurs passent devant des installations de distribution du gaz naturel sur le site de l'opérateur de réseau de transport et de gazoduc Gascade à Lubmin, dans le nord-est de l'Allemagne, le 30 août 2022.
Des travailleurs passent devant des installations de distribution du gaz naturel sur le site de l'opérateur de réseau de transport et de gazoduc Gascade à Lubmin, dans le nord-est de l'Allemagne, le 30 août 2022.
©Odd ANDERSEN / AFP

Tic tac, tic tac, boum

Les prix du gaz pourraient connaître une forte augmentation sur les marchés en ce début de semaine, fragilisant encore plus la situation énergétique en Europe.

Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

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Atlantico : Vous avez évoqué sur Twitter le risque d’une forte hausse des prix du gaz auquel il faut s'attendre sur les marchés ce lundi 5 septembre. Quelles pourraient être ces réalités ? Pour quelles raisons va-t-on assister à ce boom des prix ?

Damien Ernst : Les Russes n’enverront plus de gaz avec l’arrêt de Nord Stream 1, le gazoduc qui relie la Russie directement à l’Allemagne. Les Russes vont encore réduire les volumes de gaz envoyés en Europe. Ils ne veulent surtout pas que les pays de l’UE puissent remplir leurs réserves de gaz avant l’hiver. La Russie continue de mettre la pression sur l’Europe. Dans ce contexte, beaucoup de traders comptaient sur un minimum de volumes de gaz distribués via Nord Stream à destination des pays européens.

Le grand danger à l’heure actuelle concerne les prix très élevés du gaz pour la santé financière de tout le système de trading de gaz. Ces acteurs-là n’ont plus assez de liquidités pour pouvoir maintenir le fonctionnement du système à cause des appels de marge.

Avant la crise du Covid, le gaz était à 20 euros par mégawatt-heure. Il est maintenant aux alentours de 250 euros sur les marchés. Les traders avaient accès à assez de cash pour couvrir leurs appels de marges lorsque le cours du gaz variait par exemple de 20 à 30 euros mais certainement pas pour une augmentation de plusieurs centaines d'euros du mégawatt-heure de gaz. Cela provoque donc actuellement un manque de liquidités sur les marchés. Les traders ne veulent même plus vendre du gaz. Lorsque vous vendez du gaz pour novembre, vous devez déposer une marge initiale qui est égale à 30 à 40 % du prix du contrat initial. Si vous vendez du gaz à 250 euros par MWh, vous devez déposer entre 70 et 80 euros sur un compte pour que la transaction puisse être acceptée. Chaque fois que le gaz augmente, s’il passe de 250 à 350 (ces chiffres pourraient être atteints cette semaine sur les marchés), la banque avec laquelle vous travaillez doit verser cet argent-là sur le compte de l’exchange qui garantit la transaction. Si vous achetez du gaz à 250 euros par MWh, vous voulez être sûr que si le vendeur fait faillite, vous pouvez toujours avoir le gaz de l’exchange. Pour garantir la transaction, si le gaz passe à 350 euros, il va falloir 100 euros supplémentaires pour aller le chercher sur le marché spot en cas de faillite du vendeur. Ces appels de marché se chiffrent en centaines de milliards d’euros. Toute cette industrie de trading est donc fortement exposée aux évolutions du marché et se retrouve financièrement exsangue avec ces appels de marge. L’Allemagne a garanti, au travers d’une institution bancaire, une partie des appels de marge. La Suède vient d’annoncer qu’elle prenait aussi des dispositions pour assurer la viabilité financière de son industrie de l’énergie. Si les prix montent de manière très forte ce lundi et ce mardi et si rien n’est fait, plusieurs acteurs pourraient tomber en faillite. Cela peut entraîner des répercussions systémiques dans toute l’industrie de l’énergie et dans une partie du système financier.  

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Il y a donc un vrai risque qui est très peu évoqué. Cette situation pourrait avoir des conséquences très fortes à court terme.

Quelles vont être les conséquences économiques et financières ? Si les prix du gaz montent en flèche, va-t-on assister à un vrai risque de faillite des "traders" en raison des appels de marge ? Cela pourrait-il envoyer une onde de choc à l'ensemble de l'industrie énergétique et financière ?

Concrètement, les clients ont souvent des contrats à prix fixe pour le gaz et s’estiment protégés grâce à ce dispositif. Il y a en réalité un trader qui est en train de payer pour les appels de marge pour les contrats prix fixes. Ce trader peut faire faillite car les appels de marge sont très élevés pour l'instant.  Cela peut provoquer la faillite de fournisseurs de gaz. Cette situation peut donc entraîner de mauvaises surprises chez les consommateurs et  les industries qui pensaient être sincèrement protégés par des contrats à prix fixe signés lorsque le gaz était beaucoup moins cher sur les marchés.  

Quelles seront les conséquences sociales d’une telle explosion des prix avec les mouvements de protestation qui se développent en Europe ? La colère et l’exaspération des citoyens s’expriment notamment à travers des manifestations à Prague et des appels à ne plus payer ses factures au Royaume-Uni ou à les brûler en Italie… Va-t-on assister à un effet boule de neige ?  

La crise du système de trading sur les marchés de l’énergie peut accélérer la crise énergétique. Les citoyens qui se pensaient protégés se retrouvent directement exposés à des prix très élevés. De plus, comme le système de trading est paralysé, le volume de ventes diminue. Il y a donc très peu d’offres et de liquidités. Cela va contribuer à l’augmentation des prix. Ce système de trading paralysé à cause des appels de marge ne fonctionne plus de manière optimale. Ce contexte et ces réalités contribuent à accélérer la crise.

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Si le prix du gaz reste élevé sur le long terme, la situation va énormément se dégrader. Cela va générer d’importants dégâts sur le système industriel et sur la santé financière des ménages. Beaucoup d’entreprises ont déjà fermé et ralenti leur production.

Pour rééquilibrer l’offre avec la demande, si les Russes arrêtent complètement de nous envoyer du gaz, il manque entre 400 et 500 térawatt-heure (la consommation de gaz de toutes les entreprises allemandes). Ces 400 térawatt-heure ne peuvent être trouvés qu'au travers de mécanismes de destruction de la demande causés pas des prix très élevés. 

Il va sans dire que les prix risquent de rester exorbitants pendant longtemps. Face à cette réalité, il est probable que des mouvements sociaux très durs se créent dans le futur. Il faut bien comprendre qu'une augmentation très rapide des prix pour des biens de première nécessité est un élément qui incite les mouvements sociaux. La crise sociale peut aussi être accélérée par les possibles faillites de traders qui risquent d’arriver. Ces faillites risquent de paupériser fortement une partie de la population encore épargnée par des contrats à prix fixe. Et même sans faillite des traders, il faut garder à l'esprit que chaque jour qui passe, un grand nombre de ménages perdent leurs contrats à prix fixe avantageux car ces derniers sont limités dans le temps.

La crise des traders est donc un accélérateur de cette instabilité sociale qui pourrait éclater dans les mois à venir.

Les mesures annoncées par les gouvernements européens pour faire face aux nouvelles coupures liées aux gaz russe comme le redémarrage progressif des 32 réacteurs nucléaires en France vont-elles permettre de temporiser les craintes sur les marchés ou sont-elles insuffisantes ?

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Ces annonces et ces mesures sont très insuffisantes. Le redémarrage des réacteurs français est une arlésienne. Il va falloir couvrir la charge du chauffage à partir de novembre en France. Une grande partie est électrique.

Il n’y aura pas de solution miracle sur le court terme.

Des mesures ont été prises à l’échelle européenne. Pour le marché électrique, le Portugal et l’Espagne ont décidé de faire des modifications de marché pour tuer le signal de prix. Ce mécanisme réduit directement le prix de l’électricité. L’Europe ne souhaite pas directement adopter ce modèle. Elle souhaite continuer à  exposer les gens aux prix très élevés des marchés pour tuer la demande et, par la suite,  souhaite capter le surprofit des générateurs qui ne dépendent pas de l’énergie fossile  pour ensuite les redistribuer. La redistribution aura lieu sous forme de chèques. Cette stratégie risque de prendre plus de temps à mettre en place que la stratégie adoptée en péninsule ibérique. 

Il faut donc espérer que les gouvernements soient assez rapides dans les aides sociales qu’ils vont déployer pour faire face à la hausse des prix de l’énergie et pour éviter une trop grande catastrophe.

Les citoyens ne sont pas les seuls concernés. Les entreprises peuvent fermer et cela pourrait exposer de plus en plus de gens au chômage et fragiliser le tissu industriel. Cela risque donc d’aggraver cette crise sociale. Cela pourrait aussi contribuer à ce que cette crise économique perdure même après cette crise du gaz. En effet, lorsqu'une unité de production ferme, la redémarrer est très difficile, surtout si ces entreprises ont décidé de délocaliser dans une région du monde où l’énergie est moins chère.         

Les gens n’ont pas encore très bien compris à quel point l’Europe est tombée dans un gouffre et nous n’avons pas encore atteint le fond de ce dernier. Nous sommes dans la chute.

Cette panique sur les marchés ne va-t-elle pas s’aggraver au regard de la temporalité de cette crise qui pourrait s’inscrire dans un temps long avec l’enlisement de la guerre en Ukraine et en cas d’hiver rude et prolongé dans les mois à venir ?     

Le danger avec ces augmentations soudaines de prix à des niveaux très élevés pourrait s’aggraver si cela devait durer sur le temps long effectivement. Le seul mécanisme de contrôle de la consommation que nous avons à l’heure actuelle est le signal de prix des marchés.

Si les Russes n’envoient plus de gaz, par rapport à la demande qui a déjà été réduite maintenant suite aux fermetures de nombreuses entreprises et avec l’arrêt de leur production, il faut encore aller réaliser 400 térawatt-heure d’économies. Ce signal de prix très élevé  durera donc jusqu’à ce que cet objectif soit atteint. Cette crise risque donc de continuer encore des mois et des mois.

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