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Crise du coronavirus aux Etats-Unis : une mise à l’épreuve des valeurs fondamentales de la société américaine
©MANDEL NGAN / AFP

Bonnes feuilles

Jean-Eric Branaa publie "Rien ne sera plus comme avant: 1. L’Amérique au temps du coronavirus" chez VA Editions. La campagne des primaires bat son plein. La peur emporte tout et on commence à entrevoir que la Covid-19 n’aura pas que des conséquences sanitaires. Extrait 2/2.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Il y a aussi une autre face, moins glorieuse, de la crise, qui en fait aussi son quotidien. Les réticences à suivre les règles de bon sens sont encore fortes parfois, notamment quand il s’agit de modifier les habitudes ou, ce qui est encore plus difficile, les rituels. L’implication ou la non-implication des dirigeants et leur volonté qu’ils expriment, ou pas, à faire appliquer des règles communes, certes difficile, mais nécessaire, jouent alors beaucoup. 

La frilosité de certains rend au contraire l’effort commun plus compliqué. Ainsi, le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, déclare que les services religieux organisés dans les églises, les synagogues et les lieux de culte sont des « essentiels » de la vie des Américains et sont donc exemptés des mesures de confinement. Il répond là directement au pasteur Rodney Howard-Brown, qui a déclaré qu’il ne fermera pas les portes de sa mégaéglise de Tampa « avant le début de la fin des temps ». La police, qui n’est pas prête à attendre aussi longtemps, arrête le pasteur évangélique. À peine ressorti du poste, celui-ci organise à nouveau de grands services religieux malgré les ordres exhortant les habitants à rester chez eux pour aider à contenir la propagation du nouveau coronavirus. Toujours en Floride, l’église de scientologie refuse aussi de fermer ses portes. Ses dirigeants affirment avoir mis en place « le meilleur système au monde de défense » contre le coronavirus et qualifient le confinement d’hystérie. Certaines personnalités font de la provocation, comme le très conservateur Roy Moore, l’ancien président de la Cour suprême de l’Alabama, qui se rend dans une église de Louisiane pour défier les ordres de l’État contre les rassemblements de masse. Il dit venir soutenir le pasteur Tony Spell, qui est poursuivi en justice pour avoir célébré plusieurs offices non autorisés, à Bell, une ville de 29 000 habitants, près de Baton Rouge. « Il n’y a pas de violation plus claire du Premier amendement que cette interdiction de se réunir dans une église », affirme Moore. 

Sur Fox News, on entend des discours très contradictoires et certains décontenancent réellement. Le 26 mars dans le sillage de Donald Trump, la chaîne milite visiblement pour une reprise rapide de l’activité économique. Parmi les raisons avancées, une présentatrice parle des femmes qui ne peuvent ni aller chez le coiffeur ni faire une manucure, même si elle précise quand même – et à plusieurs reprises, visiblement gênée elle-même par ses propres arguments – que ce n’est pas une priorité. Deux jours plus tôt, sur cette même chaîne, le républicain Dan Patrick, viceGouverneur du Texas, demande avec force le retour à la normale. Il explique sans plaisanter que la génération des plus anciens, les grands-parents, sont prêts à mourir pour sauver l’économie des États-Unis, à la manière des enfants de l’Amérique qui ont donné leur vie pour sauver la liberté pendant la Seconde Guerre mondiale. 

Il y a donc un côté plus sombre dans cette Amérique, celui qu’on préférerait taire, mais qui est bien présent. À Los Angeles, le maire démocrate Eric Garcetti incite à dénoncer les personnes qui laissent leurs commerces ouverts alors qu’ils ne sont pas essentiels. Il précise que les dénonciateurs peuvent recevoir une récompense. À Brooklyn, un hôpital, débordé par le nombre de victimes, utilise un chariot élévateur pour charger les corps dans un camion frigorifié. L’horreur s’affiche en Une du New York Post. 

Même la Marine annonce qu’elle relève le capitaine de l’USS Theodore Roosevelt de son commandement, parce qu’il a sonné l’alarme concernant une épidémie de COVID-19 à bord du porte-avions et demandé que les marins puissent débarquer. On lui reproche d’avoir écrit dans une lettre « que le pays n’est pas en guerre : il n’y a donc aucune raison que des marins meurent. » Mais le ministre de la Défense ne partage pas son avis. 
Enfin, la montée stupéfiante du nombre de décès propulse les États-Unis au sommet de la liste des pays les plus touchés par le coronavirus. La Chine tout entière, où la pandémie a commencé, n’a déclaré que 82 200 cas et 3 300 décès, ce qui correspond à peu près à la situation de New York où on enregistre 93 000 malades et 2538 décès au 3 avril. À cette même date, les États-Unis sont déjà à plus de 250 000 cas et 6000 morts. Il y a un million de malades à travers le monde. Et le pire reste à venir… 

Rejet, entourloupe, marché noir, racisme, violence, font aussi partie des crises. Ici comme ailleurs. La rhétorique du « virus chinois » de Donald Trump peut être ajoutée à la liste, même si certains considèrent qu’il ne fait que s’inscrire, au fond, dans une longue tradition américaine du bouc émissaire. C’est vrai que la tentation de blâmer quelqu’un n’est pas nouvelle dans ce pays et que les Américains ont une longue histoire durant laquelle ils ont reporté les fautes, identifiées ou pas, sur les étrangers, les immigrants ou les plus pauvres. 

Le temps du coronavirus en Amérique est un de ces moments qui « mettent à l’épreuve l’âme des hommes », selon l’expression de Thomas Paine. Il est fort possible que la fin de cette crise mette en effet à l’épreuve les idées et les valeurs fondamentales de cette société. La pandémie du coronavirus met au défi les dirigeants politiques américains à tous les niveaux et sur bien des sujets. Elle pose également une question plus large : que doit le peuple de cette république à son gouvernement, et que doivent les gouvernements, quel que soit leur niveau dans la hiérarchie fédérale, à leur peuple ? Le gouvernement fédéral doit-il être plus présent ou simple support en soutien à l’action des gouvernements des États ? 

Cette crise majeure rebat une fois de plus les cartes de l’organisation politique américaine et ajoute un nouveau chapitre à cette discussion sans fin : depuis 230 ans, cette question, qui avait été délaissée ces dernières années, est l’une des plus importantes et des plus farouchement contestées de ce système politique. Elle a opposé furieusement Adams et Jefferson à l’aube de cette république. Elle est posée maintenant chaque heure du jour et sera à nouveau le socle du débat politique de demain aux États-Unis, à l’issue duquel, certainement, rien ne sera plus comme avant.

A lire aussi : Comment le coronavirus a bouleversé et totalement relancé la course à la Maison Blanche entre Joe Biden et Donald Trump

Jean-Eric Branaa publie "Rien ne sera plus comme avant: 1. L’Amérique au temps du coronavirus" chez VA Editions. 

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