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Surendettement, faillite des banques : autopsie d'un désastre loin d'être terminé
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Le jour d'après-subprimes

Du logement aux banques, des banques aux gouvernements, des gouvernements aux banques centrales, elle monte, elle monte la mer de dettes.

Bruno Bertez

Bruno Bertez

Bruno Bertez est un des anciens propriétaires de l'Agefi France (l'Agence économique et financière), repris en 1987 par le groupe Expansion sous la houlette de Jean-Louis Servan-Schreiber.

Il est un participant actif du Blog a Lupus, pour lequel il rédige de nombreux articles en économie et finance.

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Fin Mars 2012, Ben Bernanke a donné 4 conférences à la George Washington University School of Business. Elles sont passées quasi inaperçues. Il est possible que les observateurs aient jugé qu’une conférence destinée aux étudiants ne pouvait rien apprendre de nouveau aux professionnels qu’ils étaient. Ils ont tort, ils oublient que le Docteur Bernanke attache beaucoup d’importance au monde académique et aux débats théoriques.

Les deux dernières conférences contiennent une multitude de pépites, nous en avons extrait une : « la crise des subprimes est un symptôme, ce n’est pas la cause de la Grande crise financière ».

C’est, à notre connaissance, la première fois que Bernanke  reconnait que le mal est plus profond que celui qui a été  épinglé sous le nom de crise des subprimes. C’était la thèse de tous ceux qui, comme nous, pensent que l’on est dans une crise du cycle du crédit, une crise de surendettement généralisé, la Réserve Fédérale s’y est ralliée. Un texte récent de la Fed de San Francisco le confirme.

Qu’est-ce que cela implique? Cela implique que l’on est validé à faire un lien organique entre ce qui est arrivé au système entier des prêts hypothécaires et ce qui arrive maintenant aux gouvernements.

Le lien, c’est le recours excessif au crédit provoqué par des taux trop bas. Le crédit n’étant pas assez cher, tout le monde en a abusé. Il n’y a pas que les prêts hypothécaires qui se sont retrouvés subprimes, il y a une multitude d’autres prêts qui, eux aussi, se sont retrouvés douteux.

Tous les crédits  qui, de près ou de loin, reposaient sur de faux paradigmes, de fausses certitudes, se sont ainsi révélés irrécouvrables.

Quels sont ces paradigmes, ces illusions? Il y a ceux de la hausse continue des prix du logement, il y a ceux de la convergence des économies européennes, il y a ceux de la poursuite infinie de la croissance,  il y a ceux de la possibilité de maintenir ad vitam aeternam les taux d’intérêt voisin de zéro. Et d’autres qu’il est trop tôt d’évoquer.

Le paradigme de la hausse des prix du logement s’est effondré. Celui de la convergence des économies européennes également, même si on tente d’en maintenir l’espoir. Le mythe de la croissance est en train d’en prendre un sacré coup, plus personne n’ose s’aventurer à prédire une petite reprise autoentretenue, on ne parle que de soutiens.

Il ne reste de vraiment vivace que la croyance en la possibilité de maintenir les taux nuls  aussi longtemps qu’il faudra, c’est à dire longtemps, très longtemps.

Pour le moment, pour diverses raisons que nous n’expliciterons pas ici, personne ne doute de la possibilité de maintenir les taux très bas. Pourquoi? Parce que Bernanke et la Fed l’ont promis. La croyance ne résulte pas d’une analyse, elle repose sur une promesse. Simplement sur la répétition d’une promesse. Cette promesse gèle d’autant plus l’esprit critique, qu’un autre paradigme est à l’œuvre. Don’t fight the Fed. On ne combat pas la Fed.

L’ennui est que la confiance est quelque chose de fragile, qui a besoin d’être étayée. Elle est là, on en jouit et puis, du jour au lendemain, elle vacille et s’évapore. Quand les situations fondamentales sont bonnes, pas de problème, avec des mesures adéquates, tout rentre dans l’ordre, mais quand les situations sont profondément détériorées, trop obérées, alors il n’y a pas de retour en arrière. C’est l’inverse qui se produit: la boule de neige. Il ne viendrait à personne l’idée de douter de ce que nous avançons, maintenant que l’on a vu les exemples de l’Irlande, de la Grèce, etc. Des problèmes qui étaient au départ chiffrés à quelques dizaines de milliards sont maintenant de plusieurs centaines de milliards, 400 pour la Grèce. Et encore, en  ne comptant que la partie visible des icebergs, bien entendu.

Or, il se trouve que lorsque la confiance s’effondre, non seulement les dettes et déficits font boule de neige, mais, en plus, la mer se retire qui laisse découvrir dans toute son ampleur la taille de ce qui était caché par l’eau. Le colossal, ce qui n’est  pas encore à la une des medias, c’est l’éléphant dans la pièce, nous voulons parler de la dette des retraites. La dette à l’égard des futurs inactifs, elle est évaluée à 800 milliards en Grèce. Nous avons donné récemment les chiffres pour l’Europe entière, nous ne les avons plus en tête, les autorités européennes ont commandité une étude sur ce sujet, elle se retrouve facilement.

Nous avons dit que le lien organique entre la crise des subprimes et la situation globale de surendettement était constitué par le bas niveau des taux d’intérêt. Les taux voisins de zéro facilitent, incitent à l’endettement, mais quand on a succombé à la tentation, on ne peut plus s’en passer. En effet, le stock de dettes, quand les taux sont voisins de zéro, ne coûte pas cher à rémunérer, mais au fur et à mesure que la dette grossit, elle peut de moins en moins supporter une hausse des taux. C’est le problème du Japon. Le pays en est arrivé au point où une hausse des taux de 1% engloutit quasi  toutes ses  recettes fiscales.

Il y a un autre lien entre les crises dites de subprimes, cette fois nous visons les subprimes hypothécaires et les subprimes souverains, et le surendettement global.

En 2008, la crise des subprimes a été endiguée parce que les gouvernements ont racheté les créances sans valeur détenues par le système financier. Le risque a été transféré et le système a tenu à la faveur de la croyance que les Trésors et les Banques Centrales avaient les moyens de le faire et qu’ils  le referaient si nécessaire.

La dette publique des pays développés s’est trouvée gonflée par, non seulement ces créances pourries, mais aussi par les promesses et garanties données. Et, comme si les rachats de créances et les promesses, les assurances fournies ne suffisaient pas, certains pays ont commencé à prendre à leur compte les dettes de leur système bancaire. Erreur funeste, colossale, dans la mesure où les passifs des secteurs bancaires représentent des multiples et des multiples à la fois des dettes des gouvernements et des richesses nationales.

Alors que, déjà au départ de la crise de 2008, le monde global était en situation de surendettement, la voie de sortie de la crise qui a été choisie a consisté à concentrer les dettes sur les gouvernements.

Ce qui a été fait pour le crédit hypothécaire a été fait pour les banques, certaines assurances, mais on ne s’est pas arrêté en si bon chemin: comme si cela ne suffisait pas, on a décidé d’étendre le processus de concentration des dettes et fait prendre en charge les dettes de certains gouvernements par d’autres gouvernements: ce fut le trait de génie des Européens! Dans les pays européens, la dette publique classique s’augmente implicitement de la dette des banques, de la dette des voisins en difficulté, en attendant la dette des systèmes de retraites et autres.

Qui s’étonnerait que face à une telle succession d’erreurs, les créanciers du monde entier aient peur?

Ils en sont à évaluer, le mot juste serait réévaluer, les engagements implicites et explicites de tous les gouvernements. Le transfert et la concentration des dettes sur les gouvernements augmente considérablement leurs engagements et fait se poser la question.  Peuvent-ils faire face en cas de problème?

On en est maintenant à mettre en doute, de façon justifiée, la solvabilité de pays auparavant considérés comme sans risque, simplement parce qu’ils ont des secteurs bancaires outrageusement exposés, gonflés, et parce qu’ils sont tenus par la solidarité à l’égard de leurs voisins. Suivez mon regard pour voir qui, en Europe, se trouve dans cette situation, menacé par la taille de ses banques et par la masse des promesses faites pour sauver les voisins. Vous pensez à la France? Pensez également aux Pays Bas et à l’Autriche… et à l’Allemagne dont le système bancaire a servi de dépotoir au monde entier.

Les chiffres sont effrayants. Les grands pays ont accumulé des dettes qui représentent des dizaines de fois leurs recettes fiscales annuelles. Le subterfuge de la propagande publique consiste à rapporter les dettes -officielles, pas les vraies-  au PIB, comme si on payait des dettes avec un Produit Intérieur Brut! On paie des dettes avec des recettes, donc, le bon critère, ce sont les recettes fiscales, à pondérer par le taux de prélèvement qui existe déjà. En effet, un pays qui a un taux de prélèvement obligatoire de 35% peut plus facilement augmenter les impôts qu’un pays comme les France qui est à 56%. Non seulement, il faut rapporter les dettes aux recettes, mais il faut aussi évaluer les marges de manœuvre dont disposent les gouvernements. Pour être rigoureux, il faudrait aussi tenir compte du consensus social qui règne ou ne règne pas dans le pays.

Nous avons régulièrement soutenu la thèse que les fonds d’Etat forment une bulle, comme il y a eu une bulle de la dette des pays sous-développés, comme il y a eu une bulle de la technologie Telco, comme il y a eu une bulle du logement, comme il y a eu une bulle du crédit spéculatif. Nous soutenons que, chaque fois, le même processus se répète, quand une bulle éclate, que le crédit menace de se contracter et de précipiter la déflation, alors les responsables alimentent une autre bulle. Il faut, cela est vital, que la masse de crédit dans le système,  non seulement ne baisse pas,  mais qu’en outre elle progresse. Nous avons en mémoire un article écrit il y a plusieurs années intitulé: « La régulation par les bulles », nous l’avons publié du temps de Greenspan.!

Apres la crise subprime, le seul agent économique susceptible d’augmenter son endettement était, et sont, les Etats. Comme on pouvait s’y attendre, c’est ce qui s’est passé, les dettes publiques, déjà exceptionnellement élevées, ont gonflé, gonflé. Les Etats ont fait, à la place des agents privés, le leverage que ces derniers  ne pouvaient plus faire. Ce sont eux qui ont supporté la charge de la création de dettes nouvelles pour faire tenir la machine.

Le risque est maintenant au niveau des Etats, c’est sur eux, sur leurs dettes que les primes de risque se tendent, que les spreads s’élargissent, que les  assurances contre les défauts renchérissent.

Comme pour les autres agents économiques, ce sont d’abord les marginaux et les plus mal gérés qui tombent, les serials defaulteurs d’abord, puis peu à peu, en vertu du processus de concentration des risques décrit ci-dessus, ce sont les autres, auparavant sains, qui sont touchés et, de proche en proche, et de proche en proche…

Dans la voie qui a été choisie, il y a un élément supplémentaire qui a été négligé. On a négligé la transitivité qui s’enclenche entre le crédit et l’économie. Pendant les années, les longues années d’expansion du crédit, l’économie s’est déformée, pervertie, de plus en plus de secteurs ont dû leur prospérité au crédit, en sont devenus dépendants. Ce qui signifie que, si maintenant les gouvernements des pays vulnérables essaient d’imposer l’austérité chez eux, c’est toute une part de cette économie artificielle qui s’effondre. Ce qui renforce le problème de la dette. La transitivité dans la phase d’expansion de la dette est euphorisante ; dans la phase de reflux, elle est destructrice.

Quelle est la prochaine étape? Réfléchissez. Quels sont les agents économiques, les institutions, qui sont capables, ont la possibilité, d’augmenter leur leverage, de gonfler leur bilan, d’émettre des promesses? Les Banques Centrales bien sûr. Quand la quasi monnaie, c’est à dire la dette émise par les gouvernements sera insuffisamment demandée, et cela a déjà commencé,  il faudra trouver un autre émetteur et ce sera, ce seront les Banques Centrales.

Ne nous dites pas que cela se fait déjà et que rien ne se passe,  non, dans la voie qui est suivie, vous  n’avez  encore rien vu. C’est par centaines et centaines de trillions que se chiffrent les dettes mondiales. La meilleure représentation que nous pouvons vous donner du système est celle d’une gigantesque pyramide ou d’un colossal triangle qui repose sur la pointe, pointe qui est le bilan agrégé des banques centrales. Doutez-vous un  instant que la seule solution pour stabiliser l’ensemble soit de transformer le triangle en trapèze ? C’est ce qui a commencé dans le sous ensemble européen, c’est ce que réclament à cors et à cris, à coup d’élections,  de manifestations et d’émeutes, les citoyens des pays en faillite, c’est ce que préconisent leurs chefs qui, comme d’habitude, les suivent.

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