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Elle a inventé les armes
financières de destruction massive
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Blythe Masters

La crise mondiale de 2008 a un visage, celui de Blythe Masters. La banquière de JP Morgan, inventeur du "credit default swap", méconnue du public, est la femme la plus puissante du monde. (Extrait de l'ouvrage "Blythe Masters" de Pierre Jovanovic)

Pierre Jovanovic

Pierre Jovanovic

Ecrivain et journaliste (service économie), puis correspondant aux Etats Unis du Quotidien de Paris de Philippe Tesson, Rédacteur en chef "Technologies" de France Câbles et Radio, actuellement sur Radio Ici et Maintenant 95,2 FM pour la Revue de Presse Internationale de son blog www.quotidien.com.

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Une nouvelle alerte sonnera cette fois en même temps à New York et à Paris. Durant l'été 2007, le 17 juillet, deux fonds spéculatifs de la Bear Sterns, et notés AAA par Moody, s'il vous plaît, ont perdu 90% de leur valeur. Pourquoi ? Un peu plus de 1, 250 000 ménages américains avaient cessé de rembourser leurs échéances. La banque va liquider les fonds, ruinant les investisseurs auxquels ils avaient vendu ces placements soi-disant sûrs et garantis par Moody ! À Paris, la pression est identique au siège de la BNP. L'affaire ne doit pas s'ébruiter. Les dirigeants de la banque interdiront soudain à leurs riches clients de retirer leur argent investi dans des "véhicules spéciaux ". Panique chez les intéressés qui téléphonent à leurs amis, qui téléphonent à leur tour à leurs amis, etc. Les fonds d'investissements Parvest Dynamic ABSBnp-Paribas ABS Euribor et Bnp-Paribas ABS Eonia sont gelés, en plein mois de juillet, pour cause de liquidités. Les freins ABS n'avaient pas fonctionné !

Tous les états-majors des banques sont cette fois informés et cessent du jour au lendemain de se prêter les uns aux autres, au point que la Banque Centrale Européenne a dû injecter des liquidités de toute urgence, 75 milliards, une paille, et, notez-le bien, en toute discrétion, car le système faillit se bloquer le 15... août, en plein milieu des vacances !!!

La BNP est suivie par Axa. Sous les menaces des clients, la BNP redonne les autorisations de retrait le 30 août 2007. La presse française n'en parle pas. D'ailleurs elle n'est même pas au courant. Et dans les rédactions il n'y a que des stagiaires...

En septembre, les choses dégénèrent, cette fois à Londres : les clients de la Northern Rock Bank, entendant les rumeurs de sa faillite sur la BBC, paniquent et se précipitent dans les agences pour retirer leurs économies. La banque est sauvée in extremis par le gouvernement anglais qui lui fait un chèque colossal et garantit ses dépôts. Le mal est fait, le ver est cette fois dans le fruit. Mais les médias américains battent les tambours pour noyer le poisson... Le Dow Jones monte toujours et atteint des records monstrueux, tandis que les multinationales affichent des profits records.

Puis arrive le mois d'octobre et sa saison des résultats trimestriels. Le monde bancaire découvre, halluciné, que la petite affaire des subprimes commence à sentir mauvais. L'UBS, la CitibanketMerrill Lynch annoncent respectivement des pertes de 3,1, de 3,4 et de 7,9 milliards de dollars ! La confiance entre banques est rompue, mais le public est tenu dans l'ignorance.

C'est à ce moment précis, le 9 novembre 2007, que Blythe Masters abordera le sujet de front devant ses pairs, dans un hôtel de luxe de Boca Raton en Floride pour la fameuse réunion annuelle de l'association de tous les vampires et banquiers, la SIFMA. Habituellement, cette réunion se résume surtout par une gigantesque fête et un discours le vendredi, puis golf et bronzage. Pourtant, Blythe Masters avait mis des gants pour poser publiquement ses "points sur les i". Normal, elle était la "chairwoman" de l'association : "Au moment même où je vous parle, nous vivons une crise d'une ampleur sans précédent, aussi bien dans le marché de l'immobilier que sur le marché des prêts hypothécaires subprime, assortie de complications sur les liquidités, elles-mêmes aggravées par des prêts à effet levier excessifs mis dans de nombreux véhicules d'investissements. Il y a de très sérieuses répercussions dans toute cette économie et à travers l'ensemble des marchés de capitaux mondiaux. Une fois de plus, nous sommes sur la défensive. Nous ne l'avons pas vu venir. Nous ne sommes pas particulièrement bien préparés en tant qu'industrie, ni en tant qu'association. Nous devons donc définir de toute urgence ce que nous pouvons faire afin de rétablir la confiance des investisseurs dans ces marchés".

Faux. Elle "l'avait vu venir" puisque la JP Morgan, comme on l'a vu nous aussi, avait commencé à se débarrasser de ses prêts toxiques grâce à William Winters. Mais passons. Un seul journaliste de la presse "normale" s'était déplacé pour l'écouter et couvrir l'événement, Randy Diamond du Palm Beach Post, une ville voisine... Et son décodage du langage politiquement correct de Blythe Masters est éloquent. Voici sa description de la soirée : "Vendredi, une étoile montante de Wall Street a critiqué son industrie de s'être laissée prendre par surprise par la fonte des subprimes (...)" Masters a dit lors de la conférence annuelle du groupe que l'industrie bancaire a été aveuglée et qu'elle n'avait pas vu la sévérité des problèmes financiers qui ont frappé au cours des derniers mois (...) Cela n'a pas empêché les banquiers de danser et d'hurler toute la nuit. Ils avaient fait venir le groupe Hootie and the Blowfish pour un concert privé.

Et encore, Randy Diamond ne savait pas que trois mois auparavant, le 12 juillet 2007, la Deutsche Bank avait fait bien mieux. La banque avait payé les Rolling Stones 5 millions de dollars simplement pour jouer devant ses plus gros clients et ses meilleurs traders lors d'un concert privé à la Sala Oval de Barcelone. À Boca Raton, l'industrie financière n'avait payé que 1.000 dollars par personne mais pour 2 jours de golf et de farniente au soleil, pas pour entendre de mauvaises nouvelles. Et beaucoup avaient pensé qu'elle en faisait un peu trop. Certains s'étaient même moqué d'elle, connaissant son rôle et surtout celui de sa banque dans les credits default swaps. En fait, ce n'est qu'en décembre 2007 que les banquiers avaient commencé à réaliser que quelque chose d'important se passait. Mais fondamentalement, je crois que Blythe Masters elle-même n'avait pas imaginé l'étendue des dégâts et la vitesse à laquelle le cancer des impayés allait se répandre.

Exactement un an plus tard, après l'effondrement de Wall Street du 29 septembre 2008, lors de la même conférence annuelle de la SIFMA, mais à New York, elle reprendra la parole, mais cette fois avec son invisible couronne de la "femme qui avait inventé les armes financières de destruction massive", dans une ambiance tendue, à couper au couteau. Là tout le monde l'a prise au sérieux. Cependant, le fait qu'elle les ait tous prévenus avec un an d'avance n'avait pas compté. D'ailleurs personne n'était venu à sa rescousse ni dans le Wall Street Journal, ni sur Bloomberg

 (Extrait de l'ouvrage Blythe Masters de Pierre Jovanovic, disponible aux éditions Le jardin des livres , 260 pages )

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