Coupe du monde de Rugby : petit auto portrait de la France à travers l’image projetée lors de la cérémonie d’ouverture<!-- --> | Atlantico.fr
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L'acteur Jean Dujardin participe à la cérémonie d'ouverture de la Coupe du monde de rugby avant le match entre la France et la Nouvelle-Zélande au Stade de France, le 8 septembre 2023.
L'acteur Jean Dujardin participe à la cérémonie d'ouverture de la Coupe du monde de rugby avant le match entre la France et la Nouvelle-Zélande au Stade de France, le 8 septembre 2023.
©FRANCK FIFE / AFP

Cocorico !

La cérémonie d'ouverture de la Coupe du monde de Rugby avec Jean Dujardin et une trentaine de stars a mis à l'honneur les traditions françaises et l'image de la France.

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : La cérémonie d'ouverture de la Coupe du monde de rugby a mis à l'honneur les traditions françaises à travers les artisans, la gastronomie, parfois jusque dans le cliché de l’image de la France à l’international, avec une mise en scène dans un contexte des années 50 et avec la présence de nombreuses personnalités (Jean Dujardin, Philippe Lacheau, Yann Arthus-Bertrand, Adriana Karembeu, des chefs étoilés et les artistes Vianney et Zaz). Que révélaient les images, les valeurs et les idées mises en avant dans cette cérémonie d’ouverture ? Qu’est-ce que cela nous dit de la manière dont la France se voit et se projette ?

Michel Maffesoli : Le choix même de Jean Dujardin pour mettre en scène cette cérémonie d’ouverture en dit long sur l’asservissement de notre pays à la culture marchande américaine. Pourquoi, alors que notre pays a des chorégraphes, des metteurs en scène mondialement reconnus, choisir un acteur dont le mérite est surtout d’avoir été « oscarisé » ?

La mise en scène de ce que la France a de plus connu dans le monde, sa gastronomie, sa tour Eiffel enrubannée, le « Marcel » et autres stéréotypes ressortit plus de la boutique d’aéroport que d’une cérémonie. Le fouillis tient lieu de rythme, le défilé de people de présentation des héros, le genre du spectacle hésitant entre le documentaire et la pièce de boulevard, le tout dans une atmosphère tout sauf bon enfant.

On ne peut s’empêcher de penser en voyant ce spectacle aux romans de Michel Houellebecq qui prédit à notre pays un avenir de parc d’attraction pour touristes étrangers. Sauf que la pelouse du stade n’est pas le parc Astérix et qu’aucune de ces images n’évoque une émotion ou des souvenirs communs et vivants.

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On ne peut donc pas dire que ce spectacle dise quelque chose de fondé sur « la manière dont la France se voit et se projette », mais plutôt qu’il traduit, malheureusement la manière dont les élites (bien sûr celles qui ont défilé sur la pelouse, mais aussi les politiques commanditaires du spectacle) pensent que la France, enfin le peuple du stade, mais surtout de la télévision, se représente. Et si ces élites imaginent que le rugby est un sport populaire, ce qu’il est un peu devenu, plus en tout cas que l’athlétisme ou le tennis, alors force est de reconnaître qu’elles ont du peuple une vision bien méprisante en lui offrant ce spectacle digne d’une animation de supermarché.

Jean Petaux : Moment fort d’une compétition sportive internationale, inaugurée à l’occasion des Jeux Olympiques modernes et qui était en fait un défilé de toutes les délégations sportives nationales participant aux Jeux (on se souvient de la mise en scène grandiose et provocatrice de celle des Jeux de Berlin en 1936, filmée par les caméras de la réalisatrice nazie Leni Riefenstahl montrant un Hitler « Imperator »), une cérémonie d’ouverture est aujourd’hui un spectacle qui tient tout à la fois du show, du cirque, du théâtre et, vaguement, du spectacle digne du Puy du Fou. Les Chinois aux Jeux Olympiques de Pékin de 2008 ont atteint une forme de démesure dans les « tableaux humains animés ». Les Britanniques, quatre ans plus tard, à Londres en 2012, ont rivalisé dans l’extravagance et l’envergure dans une mise en scène confiée au grand réalisateur anglais Danny Boyle, oscarisé en 2009 à Hollywood. Avec ce zeste d’autodérision chère aux sujets de sa Royal Majesty qui s’était d’ailleurs prêtée, elle-même, à la chorégraphie…

En règle générale les cérémonies d’ouverture de Coupes du monde (football, rugby) sont moins « grandioses » que leurs « grandes sœurs » des JO. Sans doute parce que les délégations de compétiteurs, moins nombreuses par définition qu’aux JO, ne défilent pas à ce moment-là. Reste que c’est l’occasion de montrer au reste du monde (et ces sports collectifs sont, évidemment, des « objets de mondialisation » désormais) une « image » du pays hôte. Celle à laquelle les Français et les téléspectateurs étrangers ont assisté ce samedi soir, en prélude à un match remporté avec vaillance par le « XV Tricolore » contre l’une des toutes meilleures équipes du monde, au moins quant à son palmarès « historique », a choisi de présenter des « tableaux d’une France » traditionnelle, sympathique, souriante, ethniquement multiple et manifestement heureuse d’être la France. Il n’y a rien de très surprenant à cela dans la mesure où ces saynètes se doivent de répondre aussi aux représentations, pour ne pas dire aux stéréotypes, que les étrangers se font de la France et des Français. Le fait qu’un des acteurs français parmi les plus connus dans le monde, Jean Dujardin, oscarisé, ait tenu un « rôle » important dans le spectacle, face aux caméras, s’inscrit dans cette logique. Son image est aisément identifiable, avec un look à la « Gabin », au moins dans son costume, époque « La Belle équipe » de Duvivier, il a montré une France populaire, amoureuse d’un sport pratiqué au niveau du village, dans la moitié sud de la France, même s’il a été importé d’abord au Havre et même s’il a été inventé par nos plus fidèles rivaux, les Anglais… Tous les invités qui ont été conviés à tenir un rôle un peu visible n’ont certainement pas « parlé » aux Néo-Zélandais d’Auckland qui ont regardé la cérémonie, ils n’ont sans doute rien « dit » aux Irlandais, pourtant plus proches ou aux Argentins. Mais pour les téléspectateurs français, voir des grands chefs étoilés, originaires du sud-ouest, entendre les notes de la très célèbre «  pena baiona », hymne de « L’Aviron » (comprendre « L’Aviron bayonnais », le club de Bayonne), jouée dans toutes les arènes du sud-ouest (aïe aïe aïe Monsieur le député Caron) et assister à un « paquito » spontané : tout cela a un sens. Les images disaient bien le sens qu’elles voulaient montrer : fête, bonheur partagé, racines et terroirs.

Je ne pense pas que la France avait à se projeter dans un tel moment. Et je ne pense pas qu’un tel événement se devait d’être un « manifeste politique » destiné à montrer je ne sais quelle « ambition » ou à « porter un message » sur une quelconque « modernité ». Cette Coupe du Monde, surtout avec l’excellent état d’esprit qui est celui du XV de France, coche plusieurs cases pour être un grand moment de « parenthèse », une sorte de suspension « hors du temps quotidien ». On verra bien la suite des événements et ce qu’il en sera de son déroulement, mais c’est un des scénarii possibles…

Sur Twitter, Sandrine Rousseau a annoncé avoir « honte. Notre France ce n’est pas une série de clichés empilés ». Pour Jean-Michel Aphatie, le Marcel, le policier des années soixante : s’il y a un pays où le wokisme n’a aucune chance, c’est bien la France ? Etonnant, non ? ». Que faut-il penser de ces réactions indignées politiques, notamment à gauche ?  

Michel Maffesoli - Une cérémonie publique a pour fonction de rassembler la population d’un territoire autour d’une émotion commune. Les cérémonies les plus fédératrices sont bien sûr dans l’histoire la fête nationale et les cérémonies d’hommages aux morts pour la France.

Le sport n’est pas une guerre, mais traditionnellement sert de catharsis aux affrontements entre les Nations. On comprend donc mal comment il n’a pas été au centre de la cérémonie d’ouverture, faisant défiler toutes les équipes par exemple dans une chorégraphie puisant dans l’histoire de l’art de notre pays son esthétique.

On aurait pu imaginer que l’on fasse défiler, sur une musique et une chorégraphie de qualité diverses équipes représentant les clubs locaux ; mais pourquoi produire un spectacle dans le spectacle, comme si l’on voulait retirer au rugby sa vedette et la confier à l’acteur oscarisé ?

Ce que traduisent le raté de cette cérémonie et les réactions politiques soi-disant « indignées » d’hommes et de femmes politiques, c’est la difficulté à concevoir un « roman national ». Les images héroïques du passé ne fédèrent plus forcément, difficile d’en appeler à notre histoire coloniale ou aux guerres napoléoniennes comme paradigme de notre place dans le monde. Aurait-il fallu choisir Robespierre avec Mélenchon ou Jeanne d’Arc avec le R.N ? ou bien Jules Ferry ? La statue proposée à tous ne risque-t-elle pas d’être déboulonnée par certains ?

Peut- être eût-il fallu s’en tenir aux héros sportifs et laisser le spectacle se faire, sans prétendre l’enrichir de quelque propagande patriotique de carton- pâte !

Les commandes du pouvoir comme les critiques de l’opposition traduisent au fond un désarroi et une peur devant ce qu’ils ressentent comme un déclin du pays. Si notre équipe devait ne pas gagner ou en tout cas être éliminée rapidement, comment gèrerait-on le désintérêt du public ? Et ne devait-on pas montrer en confiant la direction du spectacle à un acteur internationalement reconnu que la France était capable d’accueillir non seulement cette coupe du monde, mais les J.O. Car en arrière fond des revendications et critiques de l’opposition on les entend préparer leur « je l’avais bien dit » qu’ils sortiront en cas de Couac dans ces derniers. 

Jean Petaux : En matière d’empilement, la question qui se pose est de savoir quel est le pire : l’empilement de clichés dans une cérémonie d’ouverture d’une coupe du monde ou l’empilement d’inepties pour faire du buzz sur les réseaux sociaux… Madame Rousseau a passé une grande partie de sa jeunesse à Nieul-sur-Mer, petite commune située à quelques kilomètres au nord de La Rochelle. Elle gagnerait beaucoup à prendre l’attache de quelques-uns des joueurs des « Maritimes », champions d’Europe de rugby pour la deuxième saison, en juin 2023, qui figurent parmi les meilleurs membres de l’équipe de France : les Alldritt ou Atonio, pour ne citer que deux d’entre eux qui se sont illustrés ce soir face aux « Blacks »… Elle pourrait peut-être mieux comprendre la réalité d’un jeu étroitement associé à une culture. J’ignore si, comme a l’air de le dire Jean-Michel Apathié, pour le coup fin connaisseur de cette culture rugbystique, on peut considérer, au vu du spectacle offert au Stade de France pour inaugurer la Coupe du Monde, que la France est définitivement « vaccinée » contre le « wokisme ». Je l’ignore parce que je pense que ce genre de mot n’a pas grand sens, ou plutôt n’en a aucun de précis… Mais ce qui est certain c’est que le public qui se passionne pour cette compétition sportive n’a pas très envie, en ce moment, dans de telles circonstances, qu’on mélange les sujets… Si la gauche, celle d’une partie de la NUPES (autrement dit LFI, EELV et une partie du PS) veut encore se « couper » davantage d’un électorat qui lui était, hier, favorable, qu’elle multiplie les commentaires sentencieux sur certains épisodes de la compétition qui commence… 

Est-ce que ces images sont raccord avec l’idée que les Français se font de l’image de la France ? Quelles données existent notamment sur ces enjeux dans les études d’opinion et de sciences politiques ?

Michel Maffesoli -Il est même possible que nos gouvernants aient fait quelques sondages d’opinion pour savoir, avant cette cérémonie, qu’elles étaient les images les plus populaires pour représenter le pays. Après tout on sait que les hommes politiques et les décideurs en général sont drogués aux sondages.

Il n’en reste pas moins que cette absence d’une représentation, d’un mode de représentation du pays qui s’impose, comme une évidence, ne peut être palliée par quelques sondages et autres études de science politique.

Car les images, les rêves, l’imaginaire du pays sourd de la base même, l’imaginaire est l’inconscient collectif populaire.

Ce que marque le vide d’images communes c’est bien la césure entre le peuple et les élites, entre l’opinion publique et l’opinion publiée. Les élites mondialisées se font une image abstraite et monétarisée du folklore national. C’est cette image que le pouvoir a vendue au peuple, le peuple du stade, le peuple de la télévision et même le peuple à l’étranger. Mais c’est une image morte, parce que ce pouvoir n’est plus innervé par la puissance populaire, parce que l’imaginaire du marketing doit se nourrir de l’imaginaire de la rue.

Jean Petaux : Les sondages d’opinion montrent que les valeurs qui sont appréciées par une majorité de Français aujourd’hui sont celles qui défendent une France traditionnelle, plutôt épargnée par une mondialisation synonyme de disparition des « qualités culturelles » (réelles ou fantasmées ou nostalgiques) issues du « roman national français ». Je ne pense pas du tout que les images données à avoir lors de la cérémonie d’ouverture ont choqué la grande majorité des Français qui ont regardé le match en suivant.

Sur le plan politique, la cérémonie a été marquée par un bref discours du chef de l’Etat Emmanuel Macron qui s’est félicité de l’organisation d’un tel événement. Le président de la République a été  hué au début de son discours. La colère sociale et politique s’est-elle invitée dans l’arène et sur la pelouse ?

Michel Maffesoli - En tout cas ce n’est pas le rugby qui a été sifflé, ni même la cérémonie d’ouverture, mais plutôt une volonté qu’on attribue par pure soupçon au président de vouloir « se servir du sport pour redorer son blason ». S’il est de bonne guerre pour un président d’assister à un évènement aussi populaire, il n’est pas très habile de vouloir y jouer un rôle, s’y faire remarquer. Avant que la colère ne s’invite dans le stade, disons que c’est le président qui s’y est invité.

Les sondages d’opinion ne l’ont-ils pas averti qu’il risquait d’être hué ? n’a-t-il pas fait tourner des modèles pour prédire les réactions des supporters ?

Fallait-il véritablement que ce soit lui qui déclare les jeux ouverts ?

Ce président n’est non seulement plus populaire, mais il est l’objet d’une détestation qui s’exprime à tout propos.

Nous sommes dans une période de défis et contre défis : aux moindres manifestations répondent des dispositifs de maintien de l’ordre surdimensionnés. Aux tentatives de tel ou tel groupe d’imposer le thème de la discussion dans l’espace public on répond par l’interdiction voire le confinement.

Le pouvoir est de plus en plus fragile qui craint que quelques jeunes filles en abaya puissent mettre à mal la république ou que quelques refus de suivre les prescriptions de plus en plus nombreuses dans notre vie quotidienne puissent casser la cohésion sociale.

Les régimes totalitaires sont bien connus pour se servir des cérémonies sportives pour asseoir leur autorité.

Mais les émotions soulevées par le spectacle du sport, l’hystérie collective que comporte toute communion sportive sont difficiles à réguler.

La grande fête sportive peut être un beau moment de cohésion sociale nationale, elle peut aussi exacerber les conflits, être l’occasion de conduites agressives.

Les bacchanales ont permis à Thèbes de se régénérer, mais Penthée a été sacrifié par les femmes en furie.

Introduire Dionysos dans la ville a permis que celle-ci ne meurt pas d’ennui, mais le sage Penthée a été sacrifié pour permettre cette Renaissance.

Jean Petaux : La surprise aurait été qu’Emmanuel Macron ne soit pas sifflé ce soir par une partie des 79.000 spectateurs du Stade de France. Il ne recueille guère plus de 30% d’opinions favorables dans la société française. Comme l’époque n’est plus à « respecter la fonction » ou « l’institution » représentée par l’individu et que la confusion des esprits fait que l’on mélange aisément celui qui incarne un pouvoir et l’autorité que représente ce même pouvoir, les sifflets fusent assez facilement désormais. Mais, en regardant bien la séquence, on constate qu’Emmanuel Macron a fort intelligemment réagi. Là encore ce n’est pas une surprise : il adore ce genre de challenge. Il a laissé les sifflets s’exprimer et a très vite fait acclamer la « France et les Bleus ». Manière de faire taire les sifflets puisqu’on n’imagine mal les supporters de l’équipe de France siffler les joueurs qu’ils allaient soutenir un quart d'heure plus tard pendant 80 minutes de jeu. Le président Macron a appliqué la « méthode » de Serge Gainsbourg face aux Légionnaires  venus pour le conspuer dans un de ses concerts, à Strasbourg en janvier 1980, quand il avait adapté la Marseillaise en reggae. Gainsbourg avait entonné l’hymne national, l’authentique, et les « Bérets verts » s’étaient aussitôt mis au « garde à vous" en reprenant les paroles de Rouget de Lisle… Macron, Gainsbourg : même combat ?... Ça ferait sans doute bien rire le second.  

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