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Contrôle budgétaire de l'Etat : trop de Cour des Comptes, pas assez de Parlement
Contrôle budgétaire de l'Etat : trop de Cour des Comptes, pas assez de Parlement
©LUDOVIC MARIN / AFP

Démocratie fragile

La Cour des comptes vient de publier son rapport annuel. La Cour des comptes dresse notamment un bilan des politiques gouvernementales. L'institution est-elle dans son rôle lorsqu’elle se mêle du contrôle de l’opportunité de tel ou tel choix politique ? Comment expliquer le défaut de contrôle politique sur la technostructure française ?

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico : Le rapport annuel de la Cour des comptes est paru en fin de semaine dernière, distribuant bons et mauvais points aux politiques gouvernementales. La Cour des comptes est-elle dans son rôle lorsqu’elle se mêle, non pas uniquement de contrôle budgétaire et d’efficacité de l’argent public, mais de contrôle de l’opportunité de tel ou tel choix politique ?

Charles Reviens : La Cour des comptes a effet rendu public le jeudi 18 mars dernier son rapport public 2021, qui constitue le moment médiatique clé de cette institution française dont il faut d’abord rappeler le cadre d’action.

La Cour des comptes est mentionnée à deux reprises dans la Constitution, d’abord à l’article 47-2 issu de la réforme constitutionnelle de 2008 et selon lequel « La Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement. Elle assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale ainsi que dans l’évaluation des politiques publiques ». La Cour des comptes est donc placée dans cet article dans un rôle d’assistance au Parlement et du Gouvernement pour le contrôle de l’exécution des deux lois de finances françaises (Etat et sécurité sociale) et d’assistance du Parlement pour le contrôle de l’exécutif.

Mais il ne faut pas oublier l’article 13 qui dispose que les conseillers maîtres à la Cour des comptes sont nommés en Conseil des ministres et avec donc à la clé l’approbation du Président de la République, d’où le débat politique régulier sur la nomination du Premier président qui est depuis près de trois décennies une personnalité politique de premier plan souvent ancien ministre (Pierre Joxe, Philippe Séguin, Didier Migaud, Pierre Moscovici). Seul François Logerot (2001-2004) fait exception à cette règle.

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Le site de la Cour des comptes liste ses quatre missions : juger, contrôler, certifier et évaluer. Le rapport public s’appuie sur les missions de contrôle (« la Cour veille à la régularité, à l’efficience et à l’efficacité de la gestion ») et d’évaluation (« La Cour assiste le Parlement et le Gouvernement dans l’évaluation des politiques publiques. Elle cherche à vérifier si les résultats d’une politique publique sont à la hauteur des objectifs fixés, et si les moyens budgétaires sont utilisés de manière efficace et efficiente. Le rôle de la Cour n’est pas de commenter les choix faits mais d’évaluer les conséquences et de formuler des recommandations pour atteindre les objectifs votés par le Parlement. Les pouvoirs publics peuvent ainsi fonder leurs décisions sur des analyses objectives »).

Les termes d’efficience, d’efficacité sont de toute évidence très généraux et normalement au service d’ « analyses objectives » en assistance au Parlement et au Gouvernement. Mais la Cour des Comptes porte très régulièrement des jugements subjectifs en opportunité sur les politiques publiques, ce qui est probablement inéluctable.

Regardons à titre d’exemple le rapport public 2021 qui consacre 9 de ses 20 chapitre à la crise sanitaire covid-19 et à ses conséquences mais surtout quelques reprises dans la presse. Selon le Figaro, la Cour note que les acteurs publics d’abord dépassés par l’épidémie ont su s’adapter (impréparation de départ, faible anticipation de la crise) et critique la gestion des réanimations (nécessité des déprogrammation massives, accueil en mode dégradé, nécessité de nouveaux financements). Même chose pour l’Opinion qui remarque le même jugement global de manque d’anticipation mais constate la mansuétude de la juridiction financière vis-à-vis de l’ensemble des administrations publiques en citant un ministre qui « n’oublie pas que La Poste et certains membres de l’Education nationale ont déserté en début de crise ».

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Donc la Cour produit des analyses avec un côté distribution et bons et mauvais points voire de juge des élégances, en concurrence d’attention du public, avec de nombreux thinktanks et autres médias au premier rang desquels Atlantico. Le caractère inéluctablement subjectif de ses analyses est probablement aussi la conséquence de l’espace laissé de fait vacant par le Parlement (voir question suivante) et de son positionnement de juridiction financière échappant de ce fait au combat politique partisan.

Aux termes de la Constitution, le Parlement compte parmi ses prérogatives le contrôle de l’exécution de la loi de finances ainsi que l’évaluation des politiques publiques. Comment les applique-t-il ?

La réforme constitutionnelle de 2008 a puissamment affirmé le rôle majeur du Parlement dans l’évaluation des politiques publiques à côté de l’élaboration de la loi. L’article 24 indique ainsi qu’il contrôle l’action du Gouvernement et évalue les politiques publiques, et l’article 51-2 prévoit la possibilité de créer des commissions d’enquête pour l’exercice des missions de contrôle et d’évaluation de l’article 24.

De fait le rôle de contrôle et d’évaluation des Assemblées a un très faible impact et on ne se souvient pas de beaucoup d’exemples de travaux marquants ayant conduit à des transformations ou des réorientations majeures de l’action publique. L’écart est immense entre l’impact des commissions parlementaires et celui de certaines procédures et décisions de justice (cf. l’analyse de l’impact de la judiciarisation et de la pénalisation de la vie publique dans une contribution récente) avec l’ombre porté du destin politique contrarié de Laurent Fabius du fait de l’affaire du sang contaminé. Concernant l’Assemblée nationale, il ne faut pas oublier que la réforme du quinquennat en 2000 a de fait juniorisé cette assemblée puisqu’à quatre reprise (2002, 2007, 2012, 2017) les résultats des élections législatives se sont alignés sur la tendance des présidentielles.

Les commissions d’enquête créée pour analyser la crise sanitaire covid-19 sont emblématiques de cette situation, alors même qu’il y avait un grand travail et une vaste matière à utiliser et à mettre en perspective au vu d’un événement exceptionnel et dramatique. La Commission d’enquête de l’Assemblée nationale créée en mars 2020 a arrêté ses travaux en janvier 2021 sur l’initiative de la majorité LREM-Modem sans que son dernier rapport de décembre 2021 n’ait eu un gros impact. Celle du Sénat où le gouvernement n’a pas la majorité n’a pas eu davantage d’impact, beaucoup mois que la commission sénatoriale créée sur l’affaire Benalla en 2018.

L’écart avec l’impact des commissions d’enquête de la Chambres des représentants et du Sénat américains est abyssal au regard de leur impact sur la vie publique américaine : commission sur les activités anti-américaines au cours des années 1950, commissions d’enquête sur le Watergate en 1972-1974, procédures d’impeachment contre Bill Clinton et Donal Trump… Un autre exemple particulièrement notable concerne le comité Truman du Sénat entre 1940 et 1944 ayant pour mission de contrôler les modalités du colossal effort de guerre américain avec à la clé une réduction de la gabegie et de la corruption. « Investigator Truman » fit la couverture de Time en mars 1943, acquit une notoriété nationale et fut de ce fait choisi comme candidat à la vice-présidence en 1944 par Roosevelt pour lui succéder à son décès en avril 1945.

Comment expliquer ce défaut de contrôle politique sur la technostructure française ? S’agit il d’un pur manque de volonté politique ou ladite technostructure s’est-elle organisée pour de bonnes comme de mauvaises raisons afin échapper au regard des élus ?

J’ai évoqué à plusieurs reprises deux faiblesses bien installées dans l’action publique française : la part majeure prise par la communication pour les responsables politiques au détriment de la volonté de changer et d’améliorer le réel, et justement la faiblesse des études d’impact et de l’évaluation des politiques publiques dont on voit que le Parlement ne se saisit pas. Concernant le Parlement, cette situation a une certaine rationalité de la part de la majorité parlementaire mais est un peu moins compréhensible de la part de l’opposition.

On peut noter aussi la tentation universelle de la technostructure publique (pour parler comme John Kenneth Galbraith) à s’autonomiser vis-à-vis de ses mandats élus comme l’explique par exemple l’analyse économique des choix publics (« public choice »). Ceux qui ont vu l’excellent série américaine The Wire ont pu admirer les astuces de ruse et de séduction du chef de la police de Baltimore pour garder ses fonctions juridiquement dans la main du maire de la ville.

Cela s’applique bien sûr en France. A une époque où l’on file régulièrement la comparaison avec 1940, l’analyse historique de la bataille de France conclut maintenant généralement au caractère central des questions militaires dans l’explication de l’écrasement de la France, avec un cadre intellectuel dépassé et les extraordinaires capacités survivalistes de Maurice Gamelin, chef d’état-major général de 1931 à 1940 mais apparemment pas le choix approprié au moment décisif.

On peut de même constater qu’en 2020 il y a eu peu de changements des personnes clés dans le dispositif covid-19 en dépit de dysfonctionnement multiples et avérés. De fait les seuls changement d’ampleur ont été le remplacement en février 2020 d’Agnès Buzyn par Olivier Véran pour des raisons d’élections municipales parisiennes n’ayant strictement rien à voir avec la crise sanitaire covid-19, puis le changement de Premier ministre.

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