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Contrebande d’alcool, liens avec les mafieux Al Capone et Frank Costello : le business bien peu avouable du patriarche Joe Kennedy
©FRANCE PRESSE VOIR / AFP

Bonnes feuilles

Banquier, trafiquant d’alcool, producteur de cinéma, ambassadeur et homme d’affaires, Joe Kennedy a vécu plusieurs vies. Sensible aux honneurs de la vie publique, il serrait les mains de Roosevelt et de Churchill comme celles des parrains de la mafia. Obsédé par la réussite, il ne s’embarrassait pas de considérations quant aux moyens d’y parvenir. Extrait de "Joe Kennedy, le pouvoir et la malédiction" de Georges Ayache, aux éditions Perrin (1/2).

Georges Ayache

Georges Ayache

Ancien diplomate, aujourd'hui écrivain et avocat, Georges Ayache est docteur en science politique et ancien élève de l'ENA.

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À la différence des bootleggers habituels, Joe Kennedy avait une vision structurée et globale du trafic. Il fut même de ceux qui inaugurèrent les routes de l’alcool en provenance de Nouvelle-Écosse, d’Angleterre et d’Irlande. Ces routes transitaient souvent par Saint-Pierre-et-Miquelon, où Joe recevait de grandes quantités d’alcool en provenance de son fournisseur britannique, la Distillers Company Ltd22. Dans cet archipel sous tutelle française, situé à une douzaine de milles au sud de Terre-Neuve, les droits de douane étaient moins élevés que ceux imposés par le Canada. Ces îles présentaient aussi l’avantage d’une protection optimale, bien à l’abri des icebergs qui dérivaient couramment en ces endroits improbables* . Joe fut également soupçonné de faire venir des camions chargés de mélasses en provenance du Canada. Un de ses plus gros fournisseurs en rhum aurait été Jacob M. Kaplan, qui produisait des mélasses et du rhum bon marché distillé à Cuba et aux Antilles.

D’autres voies empruntées par Joe Kennedy pouvaient se révéler plus périlleuses. L’une d’entre elles traversait le lac Michigan et était exposée à la surveillance permanente des gardes-côtes patrouillant entre le Canada et les États-Unis. Il fallait alors l’intervention directe des boys de la Mafia pour résoudre les difficultés et sécuriser les cargaisons de Joe qui provenaient des distilleries canadiennes* .

Assez vite, Joe avait noué des contacts qu’il jugeait indispensables à son business. Le lien avec Al Capone, le boss redouté de Chicago, lui était tout particulièrement précieux. Plus tard, Joe frayerait avec le successeur de Capone à la tête de l’Outfit (le nom donné à la Mafia de Chicago), Frank Nitti, ainsi qu’avec des lieutenants influents tels que Paul Ricca et Murray «Curly » Humphreys.

Plus tard, Frank Costello se vanterait d’avoir aidé Joe Kennedy à devenir riche. Et pour cause ! L’alcool était une véritable manne. Le scotch haut de gamme se négociait ainsi aux alentours de 45 dollars le casier, auxquels il fallait rajouter 10 dollars pour le coût du transport et encore une dizaine de dollars en frais généraux (manutention ou pots-de-vin): soit un prix de revient de 65 dollars, en vue d’une revente aux négociants à 85 dollars. Suivant les quantités négociées, la marge bénéficiaire pouvait aisément grimper jusqu’à 75%. Si les risques étaient élevés, les profits l’étaient mêmement.

De telles activités n’étaient pas sans risques. Joe se trouva un jour avec un contrat sur sa tête lorsqu’il s’avisa de vendre de l’alcool à Detroit. La contrebande locale était l’apanage des gangsters juifs du Purple Gang et Joe ne se tira d’affaire que grâce à l’intervention des négociateurs de l’organisation mafieuse. Une autre fois – cela se passait en 1927 –, à la sortie de Brockton, petite ville du Massachusetts, Joe fut victime du détournement d’une importante cargaison de whisky irlandais. Dans la fusillade qui s’ensuivit, une douzaine d’hommes de main restèrent au tapis. Il imputerait longtemps sa mésaventure à Abner «Longy» Zwillman et à ses associés* .

Même s’il avait suffisamment d’estomac pour traiter directement avec la pègre, celle-ci était partagée envers Kennedy. Si certains lui faisaient confiance, d’autres lui montraient de l’hostilité. Curly Humphreys, qui deviendrait un des cerveaux les plus remarquables de l’Outfit, le jugeait peu fiable et trop porté sur le double cross (double jeu). Connaissant les méthodes singulières de Joe, Curly savait qu’il recourait, lui aussi, aux gros bras et aux nervis pour protéger ses intérêts.

Malgré ses liens avec la Mafia et le caractère illicite de ses activités. Joe Kennedy ne fut jamais inquiété. Au début des années 1950, la commission sénatoriale chargée d’enquêter sur la criminalité organisée, appelée communément « commission Kefauver », publia des milliers de pages de témoignages ou d’auditions de mafieux mis en cause. Le nom de Joe Kennedy y apparaissait à plusieurs reprises**, mais sans conséquence pour lui.

On retrouverait également un Joseph Kennedy dans un rapport d’enquête de la commission royale canadienne de 1927 sur l’alcool exporté aux États-Unis durant la Prohibition. Homonymie ou simple coïncidence ? Certains prétendirent que ce nom de Kennedy, en bonne place sur les livres de comptes de la firme canadienne Hiram Walker, renvoyait à la Joseph Kennedy Export House Ltd, une société commerciale appartenant à Henry Reifel, un richissime distillateur de Colombie-Britannique. Cette firme travaillait essentiellement à l’exportation aux États-Unis et depuis la Prohibition sa production avait quadruplé grâce aux demandes croissantes des bootleggers. Pourquoi le nom de Kennedy ? Reifel prétendrait s’être simplement inspiré, pour des raisons qui échappent manifestement au sens commun, du patronyme d’un certain Daniel Joseph Kennedy… serveur de bar à Vancouver24. Dans le livre de comptes d’Hiram Walker figuraient aussi les noms d’Al Capone et d’Owney Madden. Chef du Gopher Gang et surnommé the Killer (le tueur), ce dernier était associé à Kennedy dans certaines affaires louches: l’un contrôlant la majeure partie des boîtes de nuit de New York et l’autre le fournissant en alcool.

La preuve par neuf de l’implication de Joe Kennedy dans la contrebande d’alcool serait administrée quelque temps plus tard. Dès l’abolition de la Prohibition par Franklin D. Roosevelt, en 1933, Joe obtint les droits d’importation aux États-Unis de grands labels d’alcools écossais. Sa société commerciale, la Somerset Importers, eut l’exclusivité sur le territoire américain de la commercialisation du gin Gordon, du whisky Haig & Haig et du scotch John Dewar’s White Label. Joe bénéficiait de solides atouts: un réseau commercial de détaillants étendu dans tout le pays et, plus encore, des relations qui comptaient dans ce secteur si particulier des alcools et spiritueux. Il n’aurait sans doute pu réussir aussi vite si le milieu ne lui avait pas été déjà familier et s’il n’avait pas été déjà rompu aux règles forgées au temps de la Prohibition.

Extrait de "Joe Kennedy, le pouvoir et la malédiction" de Georges Ayache, aux éditions Perrin

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