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Consanguins : le mélange des élites politico-médiatiques conduit à la débilitation de la pensée politique française
©Reuters

Bonnes feuilles

Ces écrits de circonstance en rapport avec l’actualité récente dénoncent une véritable "démission" de la raison "politico-morale". Si cette éclipse de la pensée se reflète dans l’appauvrissement considérable du débat au sein de la sphère médiatico-politique, où les vraies questions de fond sont constamment éludées, les différentes études proposées dans ce livre sont animées, au contraire, par le souci de donner un éclairage philosophique sur l’actualité, tout en proposant des remèdes pour éviter cette plongée imminente dans une nouvelle forme de barbarie, au vu de l’inadaptation et de l’inadéquation des solutions politiques actuellement proposées. Extrait de "La défaite de la raison", de Charles-Éric de Saint-Germain, éditions Salvator (2/2).

Charles-Éric de Saint-Germain

Charles-Éric de Saint-Germain

Charles-Éric de Saint-Germain, né en 1967, est professeur agrégé de philosophie en Classes préparatoires aux grandes écoles (hypokhâgne et khâgne) au lycée Notre-Dame-Saint-Sigisbert à Nancy. Docteur en philosophie, il a publié aux Éditions Ellipses des Cours particuliers de philosophie en deux volumes (2011 et 2012) et est l’auteur de Un évangélique parle aux catholiques, sur la doctrine paulinienne de la Grâce et du Salut, paru chez François-Xavier de Guibert en 2008.

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Enfin, un dernier aspect de ce formatage pourrait être illustré par les fortes connivences qui existent entre les « hommes d’influence » et les médias. L’homogénéisation du discours médiatique semble renforcée par les complicités entre les journalistes, les directeurs de journaux, les commentateurs de télévision et les hommes de pouvoir, ce qui favorise l’autocensure, et conduit à ce que les interlocuteurs, notamment lors des débats sur les sujets « chauds », ne s’affrontent plus que de manière « convenue ». Peut-on parler de véritable débat démocratique si les « opposants » (faut-il dire aujourd’hui les « dissidents » ?) ne peuvent s’exprimer sur un plateau de télévision ou dans les médias sans déchaîner aussitôt la meute des journalistes bien-pensants ? On l’a vu suite à la publication du livre de Zemmour, Le suicide français, livre qui, bien que contestable sur de nombreux points, avait néanmoins le mérite de proposer une réelle alternative à l’idéologie libérale-libertaire véhiculée par les médias. En faisant de Zemmour un « bouc émissaire », tout en lui donnant ponctuellement la parole, la médiacratie française se donne certes, dans sa terrible médiocrité, une bonne conscience facile, laissant croire à l’existence d’un réel débat démocratique en son sein quand tout porte à croire, au contraire, que le questionnement sur les orientations éthiques et libertaires de la France depuis quarante ans doit, à tout prix, échapper à cette juste remise en cause proposée par Éric Zemmour dans Le suicide français. Porter aux nues les journalistes de Charlie Hebdo tout en stigmatisant les journalistes qui sortent du conformisme intellectuel des médias laisse clairement entendre que la liberté d’expression n’est pas la même pour tous, et qu’elle fonctionne de plus en plus à sens unique, au risque de mettre gravement en péril la démocratie. « La démocratie d’opinion, soulignait Benoît de Valincourt, a engendré le populisme ; la médiacratie entraînera-t-elle la conÞ scation du pouvoir par une élite bien-pensante aux ordres de l’oligarchie capitaliste ? »

Il semble donc que les médias pratiquent d’euxmêmes une forme de censure qui nivelle la qualité du discours dans l’espace public et conduit en réalité à supprimer toute véritable liberté de penser. Les médias apparaissent alors, au Þ nal, comme un instrument de contrôle social permettant le maintien d’un ordre symbolique par lequel le système dominant s’assure de la conformité des membres de la société. Ils sont bien en ce sens, comme le dit Anne-Marie Gingras, des « appareils idéologiques » au service de l’élite dominante et de l’idéologie consumériste que ces élites soutiennent. La place de plus en plus importante accordée par la télévision aux émissions de du conÞ rme ce triomphe de l’idéologie « libérale-libertaire » : ce dont il s’agit avant tout, c’est de distraire le peuple, de lui procurer un moyen de s’évader ponctuellement d’une réalité morose qui le détourne de l’engagement politique en le maintenant dans une attitude strictement passive et consommatrice qui le dispense de (trop) penser.

Ainsi s’explique, selon Serge Halimi, auteur du livre Les nouveaux chiens de garde, la promotion du néo-libéralisme dans les médias. Le journaliste pamphlétaire tente de mettre en lumière l’asservissement des milieux du journalisme aux « maîtres du monde » qui détiennent, par le pouvoir de l’argent, une emprise particulièrement étroite sur eux. Halimi pointe ainsi la reprise du discours néo-libéral par les médias, porté au rang d’évidence sans remise en question aucune. Si les journalistes sont asservis au pouvoir économique, ils sont particulièrement dangereux, dans la mesure où ils ont une position dominante dans le champ de la diffusion des idées et des oeuvres de l’esprit, autrement dit, dans la constitution de l’espace public comme espace de « discussion politique ». D’où la dénonciation, également, des secrètes connivences entre les politiques, les journalistes, les vedettes et les hommes d’inß uence, de la culture d’entreprise et de l’amour de la mondialisation : tout cela permet de comprendre le véritable « contrôle idéologique » exercé par les élites économiques et Þ nancières du pays, qui sont d’ailleurs souvent propriétaires de certains groupes de presse. D’où s’ensuit un effet « d’autocensure » chez les journalistes, visant à protéger les actionnaires des journaux, mais aussi les publicitaires : il faut avant tout défendre les intérêts économiques, ce qui ne peut manquer de remettre en cause l’autonomie du champ journalistique, laquelle serait pourtant nécessaire à la formation d’un espace public réellement démocratique, c’est-à-dire ouvert à la discussion paciÞ que et à la confrontation d’idées réellement diverses et opposées.

Mais si les médias exercent une forme de « censure » vis-à-vis des idées non-conformistes, qui pourraient mettre en péril le système lui-même, cette censure, comme l’a bien montré Alain de Benoist, a quelque chose de tout à fait inédit :

« Alors que l’ancienne censure, en effet, relevait d’un système d’inter dits, la nouvelle censure émane désormais d’un système de liberté : elle ne vise pas tant, en effet, à empêcher l’expression d’une opinion, même si cela se fait couramment, qu’à délégitimer toutes les opinions en tant qu’elles signiÞ ent quelque chose, c’est-à-dire à réduire au non-sens tout ce qui se propose de faire sens. Quand rien n’a plus d’importance, quand tout est devenu insigniÞ ant, un tel message est assuré de rester sans effets. C’est ce que constate encore Joël Roman quand il écrit : « Pourquoi censurer si le bruit de tant de messages accumulés vient vider de son sens le message subversif, si toute parole dissonante est destinée à s’abîmer dans un interminable bavardage […]. Pourquoi la liberté si celle-ci se vide de son contenu ? Si pouvoir parler s’obtient au prix de ne plus rien dire ? Qu’est-ce qui nous menace davantage, est-ce le ciseau du censeur ou la redondante marée de discours qui ne dérangent plus personne faute de pouvoir émerger du bruit ? » On se souvient de ce qu’avait dit Soljenitsyne, après avoir passé quelques jours en Amérique : “J’ai vécu naguère dans un système où l’on ne pouvait rien dire, je suis arrivé dans un système où l’on peut tout dire et où cela ne sert à rien”. »1

Extrait de "La défaite de la raison - Essai sur la barbarie politico-morale contemporaine", de Charles-Éric de Saint-Germain, éditions Salvator, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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