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Confinement : les entreprises confrontées à de multiples questions sans réponses claires
©PATRICK HERTZOG / AFP

Pagaille généralisée

Que cela soit les TPE, PME ou ETI, toutes les sociétés connaissent une situation de crise sans précédent face au confinement et à la crise sanitaire du Covid-19. La situation est incertaine et les questions sans réponse sont nombreuses face aux annonces du gouvernement.

Natalie Maroun

Natalie Maroun

Natalie Maroun est directrice-conseil et analyste chez Heiderich Consultants, spécialisée dans la gestion et la communication de crise. Elle travaille également pour l'Observatoire international des crises (OIC). 

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Jérôme Pardigon

Jérôme Pardigon

Jérôme Pardigon est directeur des Affaires publiques chez CCI France. Jérôme Pardigon est conseiller municipal de Rueil-Malmaison en charge du Tourisme et de l’Evènementiel. 

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Andrea Camaiora

Andrea Camaiora

Andrea Camaiora est administrateur délégué du cabinet de communication The Skill (Rome-Milan-Padoue), spécialisé en situations de crise

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Atlantico.fr : La France vient de commencer sa phase de confinement, la quasi totalité des employés va donc être confinée dans leur foyer, perturbant ainsi la vie des entreprises. Malgré des services juridiques ou de gestion de crise dans les grandes entreprises il est impossible de voir l’avenir. 

Quelles sont les problématiques et questions principales qui se posent au début de cette crise ? Et surtout pour les petites entreprises qui n’ont pas l’habitude de réagir à une telle crise ? 

Jérôme Pardigon : Aucune entreprise, qu’elle soit petite, moyenne ou grande, ne pouvait réellement être prête à affronter une telle crise. Les entreprises se sont d’abord adaptées aux mesures sanitaires, en s’efforçant de faire respecter tous les gestes barrières, pour protéger à la fois leurs salariés et leurs clients. Les chefs d’entreprise ont démontré une nouvelle fois leur sens des responsabilités en se conformant aux recommandations des pouvoirs publics. Mais, depuis le 14 mars et la décision de fermer un grand nombre d’établissements accueillant du public, nous sommes entrés dans une nouvelle dimension. Les commerces non alimentaires ou considérés comme non essentiels ont dû baisser le rideau, suivis cette semaine par de nombreuses autres entreprises pour lesquelles le confinement a été synonyme d’arrêt de l’activité. Tout le monde peut aisément constater ce ralentissement de l’activité, mal nécessaire dans la lutte contre le coronavirus. Les chefs d’entreprise, relayés par leurs représentants comme les chambres de commerce et d’industrie, ont poussé un cri d’alarme pour obtenir du soutien de la part du Gouvernement. Au vu des annonces du Président de la République et du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, nous pouvons dire que nous avons été entendus. Il s’agissait non seulement de couvrir le chômage partiel des salariés désormais sans plan de charge, mais aussi d’assurer à tous les entrepreneurs, et notamment les micro-entrepreneurs, les indépendants et patrons de TPE, qu’ils pourraient bénéficier de la solidarité nationale avec la mise en place d’aides directes budgétaires, au-delà des souplesses de trésorerie. Le Président de CCI France, Pierre Goguet, a ainsi parlé d’un plan massif de soutien aux entreprises, se félicitant notamment de la mise ne place d’un fonds d’indemnisation dont vont bénéficier les petits entrepreneurs. Ceux-ci en avaient besoin, tout simplement pour vivre !

Dans cette situation inédite, et face au décalage de quelques jours entre les annonces gouvernementales et la mise à disposition concrètes des dispositifs de soutien, les chefs d’entreprise ont sollicité en masse les services de l’Etat et les chambres de commerce et d’industrie pour obtenir des clarifications : peuvent-elles ou non continuer leur activité quand elles ne peuvent pas mettre leurs salariés en télétravail, de quelles mesures de trésorerie ou d’aides directes peuvent-elles bénéficier, quels sont les bons formulaires à utiliser, peuvent-elles déroger à certains délais légaux ?... Les cellules d’accompagnement déployées par toutes les CCI dans les territoires veillent à les renseigner au mieux sur tous ces points. Mais il reste parfois des angles morts dans les dispositifs de soutien ; nous les relayons en temps réel au cabinet de Bruno Le Maire et d’Agnès Pannier-Runacher, ainsi qu’à la Direction générale des entreprises. Dans de nombreux cas, nous parvenons à trouver des solutions adaptées, en un temps record, avec beaucoup de flexibilité de la part de l’Etat. Sans accompagnement des CCI, des services de l’Etat et souvent des Conseils régionaux, nos TPE-PME seraient complètement perdues.

Andrea Camaiora : Le début de la crise est certainement le moment le plus difficile car c'est le moment le plus incertain. Les questions sont: combien de temps cela durera-t-il? Le ferons-nous? Quels risques? Que puis-je faire pour sécuriser mon fils, ma mère, les gens que j'aime? Comment puis-je diriger mon entreprise? Ce sont des questions fortes et il n'est souvent pas facile d'y répondre. La première période pour l'Italie a été difficile car nous n'avions pas de modèle. Notre « précédent » était la dictature chinoise, pas une démocratie occidentale. Nous avons donc aussi commis quelques erreurs auxquelles vous avez malheureusement répliquées: trains et métros bondés de monde par exemple. Sans parler des élections municipales, une erreur sensationnelle. La réponse la plus importante, cependant, est de ramener tout le monde au sens des responsabilités. En gardant la distance de sécurité, en se lavant souvent les mains et en gardant les surfaces des environnements publics et privés propres. Agir de manière responsable signifie clairement qu'il est triste de ne pas rendre visite à nos grands-parents et aux personnes âgées, mais c'est la meilleure façon de les protéger aujourd'hui. Et puis les institutions doivent pouvoir envoyer des messages d'espoir et des indications claires et non contradictoires. La communication est l'un des facteurs déterminants de la gestion d'une crise d'une telle ampleur.

Natalie Maroun : Nous avons fait face il y a quelques années au H1N1, et c'est dommage qu'on n'ai pas apprit les leçons. En effet, tout était en place pour permettre les plans de continuité d'activité, les gestes barrières, etc... Finalement, la crise H1N1 n'a pas eu lieu et nous avons arrêté de croire au risque de pandémie. La réponse au risque sanitaire a souvent été qu'il ne passera pas nos frontières, comme lors de l'épidémie d'EVD-Ebola en Afrique de l'Ouest.  cela peut  expliquer un peu le cafouillage du début, dû à l'absence de préparation au risque pandémique, souvent délaissé au profit du risque incendie, catastrophe naturelle ou encore lié à la cyber-insécurité. 

Toutefois faut saluer le fait que la plupart des entreprises ont très rapidement et mis en priorité la santé et la sécurité des collaborateurs avant l'activité économique. Cela démontre la maturité des patrons  français et leur sens des responsabilité. 

Pour toutes les entreprises, les problématiques sont désormais semblables:   le télétravail pour ceux pour qui c'est possible, et pour les autres, l'attente.  Pour certaines petites entreprises, cela signifie tout simplement l'arrêt de l'activité avec toutes les conséquences financières que cela peut avoir. Li'mplication dans la  gestion de cette crise est  plus sérieuse pour les opérateurs  d'importance vitale (l'alimentation, les banques, les télécom ainsi que certains services stratégiques: police/ services pénitentiaires, état civil)  qui se doivent de maintenir leurs activités même au pic de la crise avec toutes les contraintes liées à cela : l'absentéisme massif, la perturbation sociale, la crainte de sortir de chez soi ou d'être en contact avec les clients.

Enfin, il ne faut pas sous-estimer pour les salariés et les indépendants l'impact lourd du confinement sur la santé mentale. Le sujet devrait être posé dès à présent et avant d'attendre la vague de surmenage dû à la difficulté de concilier taches professionnelles, tâches domestiques, école à domicile dans un contexte de crainte pour sa propre santé et celle des siens. 

En combien de temps et comment l’Italie - qui connaît le même sort - a réussi à retrouver un niveau de crise « normal » ? Et en combien de temps cela va-t-il  arriver en France ?  

Jérôme Pardigon : Il est bien trop tôt pour parler de retour à la normale en Italie. Certes sur le plan sanitaire, le confinement généralisé a permis dans ce pays d’entrevoir une limitation toute relative de la progression du coronavirus, mais on ne dispose pas encore d’analyse pour juger de l’efficacité de leur plan d’aide de 25 milliards d’euros pour soutenir entreprises et ménages. Pour la France, je me garderai bien également de faire des projections, tant au niveau sanitaire qu’économique. Plus nous respecterons les consignes des pouvoirs publics, citoyens et entreprises, plus vite nous sortirons de cette crise. Mais respecter les consignes, ce n’est pas non plus les sur-interprêter en arrêtant toute activité économique. Certains déplacements domicile-travail demeurent autorisés, ne l’oublions pas. C’est le cas des entreprises considérées comme essentielles (commerces d’alimentation, d’équipements informatiques, de matériel de télécommunication, stations-services, réparateurs automobiles, etc…toute une liste fixée par arrêté) mais aussi de l’industrie indispensable à la vie de notre nation (agro-alimentaire, énergie, eau…). Quant aux autres entreprises, si la nature de leur activité ne leur offre aucune possibilité de mettre en place le télétravail et qu’elles ne figurent pas dans la liste des entreprises accueillant du public soumises à l’interdiction d’ouvrir, elles ont toute latitude pour continuer à fonctionner.

Aussi longtemps que durera cette crise, nous avons une responsabilité collective pour ne laisser aucune entreprise dans la détresse. Pour reprendre les mots de Pierre Goguet, les CCI « ne laisseront aucune entreprise au bord de la route ».

Andrea Camaiora : Vous découvrirez bientôt que la gestion de crise provoquée par l'urgence Covid-19 est super rapide. Au lieu de cela, ce qui se produit normalement en un mois se produit en une journée. Ce n'est pas facile à comprendre mais la gestion « normal » de la crise se traduit en réalité dans l'approche la plus difficile et la plus totale pour éviter la contagion de masse, avec les conséquences désastreuses en termes de vies humaines que les scientifiques nous ont expliquées et que nous voyons, heureusement , seulement en partie.

Bien que personne ne le dise encore, la quarantaine en Italie ne durera pas seulement les deux semaines initialement prévues. Ce sera donc aussi pour vous. Nous devons nous préparer à une attente beaucoup plus longue. Je prévois au moins jusqu'après Pâques. Cela aura des effets dévastateurs sur le système économique, mais la santé est plus importante. Mais nous devons penser que ce que vous appelez la phase normal de gestion de Covid-19 est la plus grande crise sociale que l'Europe ait connue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Bien sûr, tout ne s'est pas arrêté en Italie (et dans la France il sera le meme). Toutes les entreprises n'ont pas fermé leurs portes et certains secteurs continuent, bien que beaucoup plus lentement. Il faut aussi voir le côté positif: on s'habitue tous au “ smart working “ et c'est aussi l'occasion de passer plus de temps avec la famille, les enfants ... Il y a cependant une grande urgence: au niveau économique cela concerne les travailleurs précaires et indépendants et au niveau les personnes seules, en particulier les personnes âgées. Il faut les laisser seuls pour éviter la contagion mais ils ne peuvent pas être abandonnés. C'est un défi pour l'État et les organisations bénévoles, mais aussi pour chacun de nous.

Natalie Maroun : En France, le choix qui a été fait et celui d'une réponse graduée à la fois en intensité (stade 3 activé depuis quelques jours seulement), un pays au ralenti annoncé pour deux semaines. L'avenir nous démontrera si ce choix était sinon le meilleur, du moins le moins pire. Cependant, en communication de crise, il convient d'appeler un chat un chat, et un confinement un confinement. Autant l'Italie a été sur une communications très claire, sur ce qui attendait les Italiens (et même ce qu'on attendait d'eux), autant en France, les consignes sont plus nuancées, avec beaucoup de cas particuliers annoncés et surtout une approche "punitive" avec le système d'amende.  Par conséquent, .il est encore un peu tôt de parler de l'après crise alors qu'on n'en connait pas encore véritablement la durée. Il ne faut pas oublier qu'une épidémie (comme la grippe à qui on a comparé souvent à tort de SRAS-CoVid19) survient souvent par vagues, ce qui laisse encore plus de flou sur la durée.  L'après-crise sera sans doute amorcée par une phase de transition qui va être aussi difficile que la phase que nous traversons actuellement. Les impacts sur le système hospitalier et sur la santé aujourd'hui sont très directs. Beaucoup de mesures économiques ont été annoncées, des mesures très fortes, mais qui ne répondent pas véritablement à la situation économique. Elles permettent de repousser ses enjeux par des mesures conservatoires dont pourraient bénéficier les entreprises et les indépendants. et l'après-crise sanitaire sera sans doute la gestion de crise économique.  c'est un peu comme si la question économique est mise de côté. Il y a eu quand même des mesures très fortes qui ont été annoncées, il ne faut pas omettre cela. Mais ça reste un peu comme si l'on repoussait la crise économique sur l'après. 

Que peut-il se passer au lendemain du confinement pour toutes les sociétés ? Comment préparent-elles actuellement la fin de la quarantaine et quelles sont les choses à faire ?  

Jérome Pardigon : Nous espérons tous un rebond rapide à l’issue du confinement. Les mesures « bouclier » mises en place devraient pouvoir protéger un grand nombre d’entreprises et leur éviter de déposer le bilan. Le chômage partiel leur permet aussi de conserver leurs salariés et donc les compétences dont ils auront besoin quand le moteur redémarrera.

Mais d’ores et déjà, on voit des TPE-PME qui tentent de s’adapter au nouveau cadre légal et en profitent pour développer leurs ventes via les livraisons ou trouvent des solutions pour écouler leurs stocks. Je fais le pari que la résilience de l’économie française nous surprendra !

Andrea Camaiora : Dans les entreprises, il y a deux problèmes: les coûts de gestion de la crise et ceux dus au manque de revenus. Le problème central difficile à résoudre est la relation entre la santé des travailleurs et la poursuite des activités de production. Malheureusement, même si les entreprises italiennes ont fait beaucoup et investi économiquement et organisationnellement pour travailler en toute sécurité au fil du temps de Covid-19, il y a un problème émotionnel qui affecte tout le monde et qui fait bouger les syndicats, souvent de manière irresponsable. Cela conduit souvent les entreprises à fermer de toute façon. Mais l'entreprise qui est aujourd'hui contrainte de fermer également par la volonté de ses salariés continuera-t-elle à payer le salaire de ces mêmes salariés dans un mois ou deux? En bref, il faut aussi savoir anticiper. La chose la plus stupide en temps de crise est de ne penser qu'à la crise. Nous devons continuer à travailler et à transformer ce moment très difficile en une occasion de repenser notre système économique et aussi le fonctionnement de l'Union européenne.

Natalie Maroun : Il faut prendre conscience qu'il n'y aura pas de sortie de crise en une seule phase. On est passé d'un stade 1, à un stade 2, à un stade 3 et il est imprudent de penser que nous allons passer du stade 3 au  stade 0. Le niveau sanitaire va décroître et la dimension économique de la crise va commencer à prendre plus de place, sachant que les stades sanitaires ne correspondent pas forcement aux stades économiques. malheureusement, il est difficile de commencer à préparer la sortie de la quarantaine, l'esprit humain peut difficilement se projeter dans un après dont les contours sont très peu définis. il faut peut être se préparer à ce que rien ne soit plus comme avant, et apprendre à construire avec nos fragilités et non en dépit de nos fragilités. En somme, faire un pas collectif vers la résilience communautaire.  

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