Confessions d'un homme d'Assad (3e partie) : comment Bachar a perdu le tiers de son territoire après avoir soutenu le djihad dans la région<!-- --> | Atlantico.fr
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Lorsque Safira, une grande ville au sud d'Alep, était prête à tomber fin octobre 2013, 500 combattants de l'EI dans la région étaient en train de « regarder de loin sans rien faire» dit-il.
Lorsque Safira, une grande ville au sud d'Alep, était prête à tomber fin octobre 2013, 500 combattants de l'EI dans la région étaient en train de « regarder de loin sans rien faire» dit-il.
©GEORGE OURFALIAN / AFP

THE DAILY BEAST

Après avoir parrainé le djihad pendant près d'une décennie chez son voisin irakien, Assad a perdu le contrôle d’un tiers de son pays au profit de ces mêmes djihadistes.

Roy Gutman

Roy Gutman

Roy Gutman est un journaliste indépendant basé à Istanbul, ancien directeur du bureau moyen-oriental du groupe de presse McClatchy.

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The Daily Beast par Roy Gutman

Voici le dernier chapitre d'une enquête du journaliste Roy Gutman qui montre la contribution de Bachar al-Assad à la création du soi-disant Etat Islamique. Il souligne la complicité du dictateur dans les horreurs qu’ISIS a imposées à l'intérieur de la Syrie tout en inspirant des attaques terroristes en Europe et aux États-Unis. Ce sont tous ces faits que le président élu Donald Trump devrait prendre en compte quand il enisage de travailler avec la Russie et Assad pour lutter contre ISIS.

Comme on l'avons vu dans les deux chapitres précédents de cette enquête, Assad a d'abord essayé de se concilier les dirigeants occidentaux en présentant le soulèvement national contre lui qui a commencé en 2011 comme une révolte dirigée par des terroristes. Quand cela a échoué, il a libéré des extrémistes islamistes qui avaient combattu contre les troupes américaines en Irak, puis il a mis en scène de faux attentats contre les installations de son propre gouvernement en les mettant sur le dos des terroristes. Au lieu de lutter contre ISIS (Etat islamique), Assad a tourné la tête quand ISIS a mis en place un Etat dans l'Etat avec sa capitale à Raqqa, puis il a laissé aux États-Unis et à d'autres le soin de combattre ces extrémistes islamistes.

Reyhanlı, Turquie -  Au printemps 2012, des centaines de militants islamistes ont traversé la frontière de l’Irak arrivant dans l’est de Syrie sous les yeux du vaste appareil de sécurité du régime Assad. Quand ils sont arrivés, les services de renseignement syriens ont reçu deux séries d'instructions.

L'une était écrite, elle contenait les noms et des informations sur les djihadistes, avec instruction de « les arrêter et de les éliminer »

Mais c’était un rideau de fumée. Même si l’ordre « de tuer » a bien été diffusé, le régime a envoyé, en même temps, des messagers officiels pour donner un ordre contraire.

« Ils sont venus du quartier général et ont réuni les responsables des services de renseignement » dit Mahmoud al Nasr, un ancien responsable du renseignement dans le nord de la Syrie qui a fait défection en octobre 2012. « Ils nous ont dit: ‘restez à l’écart. N’y touchez pas' ». 

Les djihadistes sont arrivés en groupes de trois, puis cinq, et enfin par centaines dit-il. "Chacun d'entre eux a commencé à venir avec ses amis» dit al Nasr. La majorité a rejoint Jabhat al Nusra, groupe qui a déclaré publiquement son appartenance à Al-Qaïda en avril 2013, avant de se diviser en deux groupes, Nusra et l'Etat islamique. Certains de ces djihadistes infiltrés ont rejoint Ahrar al Sham, une troisième groupe islamiste apparemment plus modéré.

Ces instructions contradictoires mettent en lumière la relation peu connue entre le régime Assad et l'Etat islamique. Assad affirme que son opposition politique intérieure est composée de terroristes décidés à détruire l'Etat syrien et appelle régulièrement la communauté internationale à l'aide dans la lutte contre le terrorisme. Mais le régime, en fait, a facilité l'expansion des groupes terroristes en Syrie.

L’enquête qui a duré deux ans montre une image complexe, car le régime a monté des opérations en collaboration avec l'État islamique mais il l'a aussi, parfois, combattu, en subissant des pertes importantes.

«Parfois, ils sont alliés. Parfois, ils sont ennemis » dit Massoud Barzani, président du gouvernement régional du Kurdistan en Irak dans une récente interview avec le Daily Beast. « Parfois, ils coopèrent les uns avec les autres. Parfois, ils se combattent entre eux » Selon quelle logique ? "Dieu seul sait" dit Barzani

Il est clair que le régime Assad a une relation de longue date avec l'État Islamique, qui date de la guerre en Irak, lorsque la Syrie a canalisé des milliers de volontaires vers l'Irak pour lutter contre l'occupation américaine. Il a ensuite emprisonné plus de 1.000 djihadistes à leur retour, avant de les libérer en 2011, quand les Syriens se sont soulevés contre le régime. Et parmi ceux qui ont été libérés, il y en a beaucoup qui sont les leaders d'ISIS aujourd'hui.

La tendance générale était de faciliter la vie des djihadistes, avec juste assez d'affrontements pour que le régime puisse dire qu'il les combat.

Après leur arrivée en 2012, le régime a laissé les extrémistes prendre quelques bases appartenant à son gouvernement. Il a également permis à des convois d’aller et venir entre la Syrie et l'Irak et n'a rien fait pour empêcher ISIS d'expédier des armes en Irak, ce qui a conduit à la conquête de Mossoul par ISIS en juin 2014.

Aujourd'hui, le régime syrien largue des barils remplis d’explosifs et des missiles sur les villes occupées, mais ses objectifs sont généralement des civils. La ligne de front entre les deux forces, elle, est plutôt calme.

« Le régime a ignoré  ISIS la plupart du temps» déclare Karin von Hippel, un ancien fonctionnaire du Département d'Etat qui a travaillé sur la Syrie pendant six ans jusqu'en novembre 2015.

"Vous auriez du mal à trouver beaucoup de cas où le régime a attaqué ISIS et les quelques attaques sporadiques qui ont eu lieu ont touché plus de civils que de combattants d’ISIS."

Van Hippel dirige maintenant le Royal United Services Institute, un think tank basé à Londres.

Le secrétaire d'Etat, John Kerry, est allé plus loin en novembre 2015, quand il a dit qu’ISIS a été « créé » par le président syrien Bachar al-Assad, qui a libéré 1 500 prisonniers djihadistes emprisonnés, et l'ancien premier ministre irakien Nouri al Maliki, qui en a libéré 1 000.

Assad voulait être en mesure de dire "c’est moi ou les terroristes"  selon ce que Kerry a déclaré après les attentats terroristes de Paris.

En mars, le régime syrien l’a emporté sur l'Etat islamique, après des semaines de bombardement aérien russe avec l'aide de la milice du Hezbollah libanais, il a repris la ville antique de Palmyre à l'Etat islamique.

Pourtant, il y a beaucoup d'autres exemples où le régime a facilité la capture de certains territoires par les forces rebelles extrémistes. Des fonctionnaires irakiens, alors que l'État Islamique et ses partenaires sunnites occupent désormais environ un tiers du pays, attribuent un rôle clé à Assad dans la montée de l'Etat islamique.

"Il a aidé à mettre en place le passage par lequel des terroristes internationaux sont venus de Syrie pour combattre les Américains en Irak" déclare Saeed al Jayashi, qui était à l’époque membre du Conseil de sécurité du pays. Il fait référence à une période, il y a 10 ans, pendant laquelle des volontaires djihadistes étrangers ont afflué en Irak pour combattre les troupes américaines. "Et les mêmes itinéraires ont été utilisés pour le retour de ces terroristes en Syrie."

«Je crois qu'il y a eut une certaine forme de coordination, au plus haut niveau" dit-il mais il reconnaît qu'il ne sait pas comment elle a été réalisé.

***

La première étape de l’installation d'ISIS date d’octobre 2011, lorsque Abu Bakr al Baghdadi, alors le chef d'Al-Qaïda en Irak, a envoyé Mohamad al Jolani, un leader  qui devait former le groupe Jabhat al Nusra la al-Qaïda affilié en Syrie.

Puis, au printemps de 2012, les djihadistes ont commencé à arriver en provenance de Syrie. «Le régime savait quand et où ils arrivaient, et se déplaçaient dans les villages. Il ne les a pas attaqués » déclare Nabeel Dendal, qui vient de l'est de la Syrie et a fait défection du gouvernement en juin 2012.

« Dans certains cas, nous signalions un nom au haut commandement et disions : « cette personne est dans ma région », dit al Nasr, ancien fonctionnaire des services de renseignement du nord-est de la Syrie. « Je n’ai reçu aucun ordre de la direction pour la surveiller. Le régime ne nous a donné aucune information supplémentaire sur elle ».

Les chefs tribaux de la zone frontalière ont reconnu les combattants revenant en Syrie, selon Salman Sheikh, ancien directeur du Brookings Center au Qatar qui a régulièrement rencontré d’importantes personnalités syriennes pour évoquer l'avenir du pays. "Ils ont vu ces gens-là traverser leurs régions entre 2003 et 2005, et ils les ont vus de leurs propres yeux, pas seulement à revenir, mais aussi être bien accueillis. Personne au gouvernement n’a voulu les affronter."

À la fin de 2012, lorsque les États-Unis ont classé le Front Nusra comme une organisation terroriste, le groupe s’était transformé en une force de combat anti-régime efficace.

En avril 2013, Baghdadi a annoncé la création de l'Etat Islamique d'Irak et de la Syrie (ISIS), mais Jolani, qui avait développé un soutien local populaire pour la lutte contre le régime, a refusé de fermer Nusra. Les deux groupes sont devenus rivaux.

Bientôt, l'ISIS de Bagdadi a consolidé son pouvoir dans l'est et le nord de la Syrie. En mai de cette année, il a pris Raqqa à Nusra et ont commencé à prendre les villes du nord de la Syrie aux rebelles modérés soutenus par les Etats-Unis. ISIS a gagné rapidement du terrain en ouvrant ses portes à des volontaires d'autres groupes islamistes moins radicauxs et en recrutant des volontaires venus de l'étranger pour renforcer ses effectifs.

ISIS avait peu, ou pas d'affrontements avec l'armée syrienne, qui a continué à exploiter une base importante à l’extérieur de Raqqa. Même après qu’ISIS eut hissé un énorme drapeau noir sur les anciens bureaux du gouvernement syrien, et en ai fait sa capitale de facto, affirmant effectivement la souveraineté sur le territoire appartenant à l’Etat syrien, aucun avion syrien n’a effectué de bombardement.

Dans son sanctuaire Raqqa, ISIS a fonctionné comme un Etat dans l'Etat. Il a mis en oeuvre sa version extrême de la loi islamique, organisé des exécutions publiques, et persécuté la population chrétienne jusqu'à ce qu’elle parte. Encore plus inquiétant, ISIS a envoyé des armes, des hommes et des fournitures à ses forces ailleurs en Syrie et en Irak, pendant que l'armée syrienne observait.

Pendant qu’il consolidait son emprise sur le nord de la Syrie, ISIS a annoncé une offensive militaire contre les rebelles soutenus par l'Occident, qu'il a baptisé « Nettoyer la saleté » Il a pris le contrôle de la frontière principale par laquelle les rebelles comptaient recevoir des armes et de la logistique fournies par les occidentaux et les pays du Golfe ISIS a repris les bases et les postes de contrôle rebelles, enlevé des journalistes occidentaux et syriens pour obtenir des rançons. ISIS a également assassiné des commandants rebelles, d'autres ont été enlevés, puis exécutés en public.

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Lorsque Abou Khalil a rejoint l'Etat Islamique d'Irak et de Syrie à la fin du printemps 2013, il espérait que ses armes, ses finances et la main-d'œuvre feraient de cette filiale d'Al-Qaïda un ennemi plus difficile du gouvernement du président Bachar al-Assad qu’Ahrar al Sham, le groupe syrien islamiste avec lequel il avait combattu.

Cet agent de sécurité de l'université d'Alep a suivi une formation de base d'un mois et porté une ceinture de kamikaze chargée de TNT quand il a pris part à des combats pour capturer des bases militaires du gouvernement syrien. Mais il a refusé de prêter serment de fidélité à vie, à son émir local et à Bagdadi.

«J’ai passé six mois avec eux, mais je ne les comprenait pas » dit cet ancien combattant, qui a demandé à être identifié par un surnom qui signifie "le père de Khalil" pour sa propre protection. « Je ne comprenais pas leurs objectifs et leurs revendications politiques. Quant à Bagdadi, je ne le connais pas, alors comment puis-je lui prêter serment ? ».

Abu Khalil, qui a été interviewé dans l'appartement d'un ami à Reyhanli, au sud de la Turquie en décembre 2014, a été étonné de la facilité avec laquelle ISIS a pris les bases. « Parfois, vous vous sentiez que (l'armée syrienne) se retirait sans combattre. Par peur d'Al-Qaïda et de ses attaques suicide ? Ou bien en accord avec le régime? Je ne suis pas parvenu pas à le savoir. C’est la question clé ».

Deux tiers des combattants ISIS étaient étrangers, selon Abu Khalil, qui dit qu'il rendait des comptes à un émir tunisien en compagnie de combattants venus de Tchétchénie, d'Espagne, d'Allemagne, de Turquie, de Jordanie, d'Irak, de la région du Golfe et d’Afrique du Nord. La période d’instruction au camp d'entraînement qu’il a suivie était en anglais, mais il y avait une traduction en arabe.

« S'ils voyaient quelqu'un fumer une cigarette ou ne pas porter une longue barbe, ils disaient qu'il était un infidèle et menacaient de lui couper la tête » dit-il.

Pour attirer des combattants étrangers, ISIS offrait des avantages matériels: un salaire, et plus important encore, une femme. «Ils arrivaient et se retrouvaient immédiatement mariés. Ils pouvaient même acheter des voitures" à bas prix selon Abu Khalie.

"Et la direction leur donnait de l'argent." Il dit qu’ISIS versait une dot pour une épouse syrienne, allant de 1000 à 4000 dollars. Mais les Syriens se sont vu exclure de cette manne, et c'est la raison pour laquelle beaucoup d'entre eux ont quitté ISIS, Abu Khalil figure parmi eux. Il a quitté l'organisation en septembre 2013.

L'une des principales énigmes à cette époque était ce qu’ISIS faisait des armes qu’il capturait. "Nous avons pillé des bases militaires, sans jamais que rien ne nous revienne," dit-il. Plus tard, il a appris que la plupart des armes capturées avaient été envoyées en Irak.

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L'un des premiers exemples montrant comment le régime Assad a soutenu militairement l'expansion de l'Etat islamique c’est Al Bab, juste au nord d'Alep, qui est tombé aux mains d’ISIS en Septembre 2013.

« Nous avions 500 combattants dans la région et nos avions besoin de renforts à Al Bab" se souvient Isam al Nayif, qui était à l’époque avec la brigade Liwat al Tawhid de l'Armée Syrienne Libre, il vit maintenant à Nizip, au sud de la Turquie. Alors que les rebelles avaient envoyé des renforts depuis Minbij, ISIS a envoyé un convoi depuis une zone proche d'une base gouvernementale à l'ouest, à Kuweires. "Nous avons intercepté un appel radio demandant aux forces aériennes de bombarder les renforts en provenance de Minbij" dit-il. Vingt-cinq rebelles ont été tués. Mais le convoi d’ISIS lui est passé sans problèmes, et les rebelles abandonné Al Bab. (depuis des forces kurdes syriennes, aidées par des frappes aériennes des États-Unis et un groupe de tribus arabes soutenu par les Américains, ont récemment récemment chassé ISIS de Minbij.)

À la fin de 2013, de nombreux Syriens engagés dans ISIS étaient convaincus que le groupe collaborait avec le gouvernement Assad. Dans une longue vidéo postée sur YouTube en mars 2014, un ancien combattant de l'Etat islamique, Riad Eed, qui a dit qu'il était de Mar'ea, une ville dans la province d'Alep, citait plusieurs exemples où les forces de l'EI regardaient les troupes gouvernementales syriennes prendre ville après ville des mains de l'opposition modérée.

Eed, qui est maintenant dans la clandestinité et n’a pas pu être contacté, a déclaré que chaque fois qu'il a exhorté ses compagnons de l'EI à combattre les troupes gouvernementales, la réponse a été : «Non, non, Sheikh. Il y a assez de moudjahidin pour les combattre. C’est Jabhat al Nusra, et ils sont assez nombreux " raconte-t-il.

Lorsque Safira, une grande ville au sud d'Alep, était prête à tomber fin octobre 2013, 500 combattants de l'EI dans la région étaient en train de « regarder de loin sans rien faire» dit-il.

Lorsque la brigade Tawhid, qui fait partie du Front islamique, a envoyé des renforts, l'Etat islamique les a bloqués. "Quand j’ai posé des questions, on m’a dit qu'il était interdit de recevoir de l’aide venant d’infidèles » dit Eed.

La prise de la ville a provoqué la fuite de ses 130.000 habitants, selon Médecins Sans Frontières. Elle a donné au régime le contrôle des usines d'armement là, où ils ont commencé a fabriquer des barils d’exposifs qui ont servi à bombarder Alep.

La majorité de la province d’Hasakah au nord-est de la Syrie est tombée aux mains e l'Etat islamique  en février et mars 2014, lorsque l'EI a envoyé des forces et un convoi de quelque 300 véhicules depuis Ash Shaddadi sans être inquiété par l'aviation syrienne, selon Nasr, l'ancien responsable du renseignement.

Les confrontations directes entre les forces ISIS et Assad ont été relativement rares. En juillet 2014, les forces aériennes d'Assad ont commencé à bombarder des installations dISIS et le mois suivant ISIS a pris le contrôle des dernières bases militaires tenues par le gouvernement en dehors de Raqqa, en exécutant au passage des centaines de soldats syriens.

Certains éléments de preuve de la collusion sur le champ de bataille sont circonstanciels, basés sur le fait qu'Assad a échoué à contrer l'expansion de Nusra et plus tard d’ISIS. D'autres sont basés sur des renseignements.

Un haut fonctionnaire turc, interrogé à Ankara, a déclaré que ses interceptions radio avaient permis d’entendre un commandant militaire syrien prévenant des militants de l’Etat Islamique qu'ils devaient quitter une zone avant que les bombardements aériens ne commencent. Dans une autre interception, un commandant du régime a été entendu en train de suggérer de récompenser l'État islamique pour sa coopération active.

"Si vous regardez bien, le régime n'a jamais bombardé une zone contrôlée par ISIS," dit cet officiel. "Quand ISIS s’en allait ils bombardaient, ou bien ils bombardaient une zone avant qu’ISIS ne commence son offensive."

"En coulisse, il y a un partenariat entre eux et le régime" a dit Ahmet Davutoglu, l'ancien Premier ministre turc, en début d'année dernière.

Sa remarque a été confirmée sur le champ de bataille.

***

Lorsque le régime a bombardé Raqqa en novembre 2014, il a raté chaque cible militaire significative d’ISIS, mais a tué des dizaines de civils, disent les observateurs anti-gouvernementaux. Lorsque l'État islamique a attaqué des bases de l'armée syrienne, éxécutant des prisonniers, les forces d'Assad ont été lentes à réagir et leur riposte inefficace.

Dans Al Bab, également sous contrôle de l'Etat Islamique dans le nord de la Syrie, l'aviation américaine a détruit un quartier général de l'Etat Islamique  le 28 décembre 2014 et tué par inadvertance des civils qui y étaient retenus. Mais quelques jours plus tôt, des avions de la force aérienne syrienne ont bombardé certaines parties de la ville sans frapper aucune installation d’ISIS, selon les habitants. Le régime continue de bombarder uniquement des cibles civiles à Al Bab.

Lorsque qu’ISIS a attaqué la ville antique de Palmyre et l'ensemble du district de Tadmor en mai 2015, l'armée syrienne a évacué plusieurs de ses bases à l'avance, mis en place seulement une défense modeste et laissé ses entrepôts d'armes tomber entre les mains des radicaux. 

Au printemps 2015, quand il a été ébranlé par ses pertes dans le nord de la Syrie, le régime Assad a tendu la main aux extrémistes islamiques dans le but faire pencher la balance sur le champ de bataille.

Les forces rebelles venaient de prendre l'ensemble de la province d'Idlib et ISIS avait pris Palmyre, alors que l'armée syrienne démoralisée était incapable de récupérer quoi que ce soit.

Après une réunion entre le régime et les représentants d'ISIS dans une importante installation de production de gaz dans la ville syrienne d' Ash Shaddadi le 28 mai, les convois militaires ISIS partirent de Raqqa et d'autres villes sous son contrôle pour Mar'ea, une ville au nord d'Alep, qui se trouve à cheval sur une route d'approvisionnement critique de la Turquie.

Là, pendant que des avions du régime pilonnaient les positions des forces rebelles modérées, puis les combattants de l'État Islamique arrivaient pour occuper ces positions. Ils ont capturé un tiers de la ville avant que les renforts rebelles n'arrivent et les ont fait reculer.

Un responsable américain a confirmé cette collaboration.

"Nous avons vu Assad fournir un soutien aérien à ISIS. Il doit y avoir une sorte d'accord " a déclaré un responsable du département de la Défense, qui a parlé de façon anonyme parce qu'il n'était pas été autorisé à être cité. Il a ajouté: "Et c'est arrivé plus d'une fois."

Des responsables turcs ont révélé la date, le lieu et les participants à cette réunion, et nous avons été en mesure de corroborer ces informations.

L’attaque d’ISIS à Mar'ea en juin 2015, soutenue par le régime, a été un coup de massue. ISIS a envoyé des convois comportant jusqu'à 60 véhicules dans le nord de la Syrie pour atteindre la zone frontalière. Mais les forces rebelles d'autres régions dirigées vers Mar'ea ont empêché ISIS de couper la route d'accès à la Turquie sur laquelle les fournitures humanitaires et militaires arrivaient à Alep.

Un exemple plus récent de collusion apparente date d’octobre 2015, lorsque les rebelles ont dû abandonner une ancienne école d'infanterie au nord d'Alep qu'ils avaient capturée en décembre 2012. ISIS a attaqué avec des chars, de l'artillerie lourde et des voitures piégées, mais n’a pas capturé la position, dit un porte-parole du bataillon Al Safwa qui la défendait.

Puis, pendant que les avions de régime bombardaient l'école, les combattants d'ISIS se sont déployés autour de la ville pour la cerner et couper la route qui permettait aux rebelles de s’échapper. Après avoir perdu pas moins de 70 combattants, les rebelles ont abandonné la position à ISIS, qui est repassée sous le contrôle les forces du régime., ensuite,

En février dernier, les rebelles ont recueilli des preuves photographiques que le régime syrien et l'État Islamique ont signé un pacte de non-agression effectif. Des drones envoyés le long d’une ligne de front longue de 55 km entre le régime Assad et ISIS, ont permis de constater qu'il n'y avait pas des fortifications de chaque côté de cette ligne et n’ont décelé aucun signe de combat, dit Oussama Abo Zaid, conseiller juridique de l'opposition syrienne. "Il y a quelques combattants sur la ligne de front, mais beaucoup trop peu pour une guerre entre les deux parties."

Il ajoute que l'État islamique continue d'envoyer des voitures piégées contre les forces rebelles modérées, mais pas contre les forces d'Assad ou celles de ses alliés,. Et le régime, avec le soutien de l'armée de l’air russe, ayant mis fin au siège des villes de Nubul et Zahra par les rebelles "ISIS n'a pas tiré une seule balle".

Peu d'observateurs pensent que la collaboration apparente entre le régime syrien et ISIS va durer éternellement. Pour l'instant, cependant, ils travaillent en parallèle.

L'explication est évidente, dit Bassam Barabandi, un ancien diplomate syrien qui vit maintenant à Washington.

"Ils savent qu'ils ne peuvent pas survivre tous les deux, mais avant de passer à un affrontement direct entre eux, qui sera la dernière étape de la guerre, ils doivent d’abord tuer tous les modérés. Sur ce point, ils travaillent en étroite collaboration ", conclut-il.

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