Conférence pour la paix en Syrie : il n'y aura pas de deuxième révolution, surtout pas laïque<!-- --> | Atlantico.fr
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Explosion lors d'un combat en Syrie.
Explosion lors d'un combat en Syrie.
©Reuters

Complexe nébuleuse

Alors que s'est tenue dimanche 12 janvier à Paris la conférence des Amis de la Syrie, le conflit a connu un étrange bouleversement ces dernières semaines en voyant s'affronter EIIL et plusieurs autres groupes s'opposant à Bachar el-Assad et son régime. Pourtant, cela n'a rien de la révolution qu'on voulu y voir certains observateurs.

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche est Visiting Fellow au Washington Institute et ancien directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient.

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Selon le représentant de l’ONU à Damas interrogé en mars 2013, la Syrie comptait 2000 groupes rebelles, dont 600 de plus de 50 combattants, soit au total entre 100 000 et 150 000 combattants. La majorité des combattants seraient d’obédience salafiste et l’Armée Syrienne Libre, qualifiée de modérée dans cette nébuleuse, ne regrouperait que 15% des rebelles, le quart restant étant constitué par de bandes crapuleuses. Les milices kurdes ne rentrent pas dans cette comptabilité, car ces dernières ne combattent pas l’armée syrienne, mais les groupes islamistes qui ont tenté de s’emparer de leur territoire. Si bien qu’une alliance stratégique contre les rebelles a fini par naître entre l’armée d’Assad et les milices kurdes du PYD.

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De l’Armée Syrienne Libre à l’Etat Islamique d’Irak et du Levant

L’Armée Syrienne Libre, composée à l’origine de groupes organisés principalement par des déserteurs de l’armée syrienne, n’existe plus. Le coup de grâce a été donné par la prise de leurs dépôts d’armes en décembre 2013 par l’État Islamique d’Irak et du Levant (EIIL). Ce coup de force a mis en lumière l’extrême faiblesse de ce groupe. Elle n’était en fait qu’un logo que s’appropriaient des bandes rebelles pour avoir une visibilité extérieure et recevoir du soutien. Cependant, le soutien massif n’est pas venu et les bailleurs de fonds du Golfe ont préféré financer directement les groupes rebelles sans passer par l’État-major du général Selim Idriss, lequel était d’ailleurs très contesté.

Au cours de l'année 2012 sont apparues deux nouvelles coalitions rebelles : le Front Islamique de Syrie (FIL) durant l’été et le Front Islamique de libération de la Syrie (FILS) en automne. Le premier regroupait exclusivement des groupes salafiste, le second était plus diversifié, mais sa véritable particularité fut d’attirer les brigades qui se réclamaient auparavant de l’Armée Syrienne Libre. Certaines brigades eurent même une double appartenance, tel le Liwa Tawid, membre de l’ASL et du FILS. En fait, le seul bataillon fondé par les Frères musulmans jouait le rôle du cheval de Troie de la confrérie dans l’ASL, afin qu’elle puisse continuer à dominer la Coalition Nationale Syrienne. Le Liwa Tawid était le seul groupe important qui faisait le lien entre l’ASL et la CNS, en court-circuitant Sélim Idriss, bien entendu.

Que sont devenues ces deux coalitions ? Elles ont éclaté après quelques mois, minées par des querelles d’égo et incapables de coordonner leurs actions contre l’armée syrienne. La prise de Qosseyr en mai 2013, par l’action conjointe du Hezbollah et de l’armée syrienne, a prouvé qu’il ne s’agissait que d’une unification de façade. Les groupes jihadistes, le Front al-Nosra et l’Etat Islamique d’Irak et du Levant, en revanche étaient beaucoup plus efficaces, puisqu’en mars 2013, la ville de Raqqa tomba entre leurs mains.

L’Etat Islamique  d’Irak et du Levant est issu d’une scission du Front al-Nosra au cours de l’hiver 2013. Le commandant Al Jolani, combattant syrien en Irak, qui régnait sur l’organisation, s’est vu contesté la direction par Al Bagdadi, un irakien qui avait les faveurs de la majorité des combattants étrangers qui le constitue. Al Jolani et de ses partisans quittèrent la région de Raqqa pour trouver refuge dans l’ouest et le sud où ils s’allièrent avec les autres groupes islamistes tandis qu’Al Bagdadi et l’EIIL confortait leur emprise sur l’Est de la Syrie grâce au soutien de la branche purement irakienne de l’organisation. Le Front Al Nosra et l’EIIL entrèrent également en conflit pour être reconnu par Ayman Al Zawairi pour être reconnu comme branche officielle d’Al-Qaïda en Syrie. En novembre 2013, l’idéologue d’Al-Qaïda aurait officiellement adoubé Al Nosra.

Une deuxième révolution ?

L’attaque par des groupes rebelles des bases de l’État Islamique d’Irak et du Levant a été présenté par de nombreux médias comme une deuxième révolution, sous-entendu les rebelles laïcs et démocratiques auraient décidé d’éliminer les islamistes. En fait, il s’agit tout simplement d’un nouvel épisode de la lutte entre factions pour le pouvoir. Depuis l’été 2013, l’EIIL a lancé des attaques contre l’armée gouvernementale autour d’Alep et même jusque dans le fief alaouite, massacrant une centaine de villageois alaouites et chrétiens à Aramo. Le recours à l’attentat suicide par l’EIIL fut des plus efficace pour s’emparer de plusieurs bases militaires autour d’Alep, alors que les autres rebelles piétinaient depuis des mois autour de ces objectifs. Fort de ses succès et de son aura dans la rébellion, l’EIIL s’est montré plus directif à l’égard des groupes rebelles, leur enjoignant de le rejoindre, n’hésitant pas à éliminer certains commandants qui lui étaient hostile. Pour parvenir à cet objectif, il a tenté de s’emparer des postes frontières avec la Turquie tenus par les rebelles, pour priver ses derniers d’approvisionnement et ainsi les forcer à le rejoindre.

L’armée des Moudjahidines et le Front des révolutionnaires syriens, deux nouvelles coalition nées pour la circonstance, lancèrent début janvier 2014 une attaque générale contre l’EIIL. Il leur fut facile de s’emparer par surprise des bases de l’EIIL autour d’Alep et d’Idleb, mais il est beaucoup plus difficile de le surprendre dans la vallée de l’Euphrate et surtout dans son fief de Raqqa. L’EIIL a d’ailleurs repris l’offensive en s’emparant de Tell Abyad, ville au nord de Raqqa, aux autres rebelles. Si l’armée des Moudjahidines est explicite quant à son caractère islamiste, les sept bataillons qui la composent étant clairement salafiste, la situation du « Front des révolutionnaires de Syrie » est plus ambigüe. Il regroupe des débris de l’ASL et autres groupes disparates, mais il ne s’agit pas pour autant du regroupement de combattants laïcs ou « musulmans modérés », car ces deux espèces ont rapidement disparu de la guerre civile syrienne.

L’unité contre l’EIIL paraît unanime, cependant le Front Islamique, principale coalition rebelle apparue en novembre 2013, suite à la disparition du FILS et du FIL, ne participerait pas aux combats. Son dirigeant regrette publiquement que des musulmans fassent la guerre à d’autres musulmans, alors que l’ennemi c’est Bachar el-Assad, tout en reconnaissant que l’EIIL a eu tort de vouloir devenir hégémonique. Cependant, Ahrar al-Sham, membre du Front Islamique participe activement à la lutte contre l’EIIL. Quant au Front al-Nosra, il tente actuellement une médiation entre les rebelles et ses anciens frères d’armes, après s’être joint à eux pour le chasser du Nord-Ouest de la Syrie. Son objectif est clairement de dominer la rébellion syrienne, fort de la légitimité d’Al-Qaïda et de sa condamnation occidentale, ce qui le rend plus séduisant pour de nombreux combattants syriens, persuadés que l’Occident est responsable du maintien au pouvoir d’Assad.

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