Concessions inutiles : en mettant fin à la gratuité des hotlines des opérateurs téléphoniques pour maintenir des emplois, le gouvernement oublie bien vite la protection des consommateurs<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement aurait l'intention de remettre à plat la loi Chatel qui règlemente les liens contractuels entre les professionnels prestataires de services et leurs clients. Le but serait d'alléger les contraintes des opérateurs de téléphonie à l'égard de
Le gouvernement aurait l'intention de remettre à plat la loi Chatel qui règlemente les liens contractuels entre les professionnels prestataires de services et leurs clients. Le but serait d'alléger les contraintes des opérateurs de téléphonie à l'égard de
©Reuters

Atteinte au consommateur !

Le gouvernement songe à revenir sur la loi Chatel, qui assure la gratuité des temps d'attente des hotlines des opérateurs téléphoniques et permet aux consommateurs de résilier leur abonnement avant échéance. En échange, SFR, Orange et Bouygues s'engageraient à relocaliser leurs centres d'appel. Mais est-il bien raisonnable d'aider des entreprises qui gagnent de l'argent ?

Edouard Barreiro

Edouard Barreiro

Directeur d'études chez UFC - Que choisir

 

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Atlantico : Le gouvernement aurait l'intention de remettre à plat la loi Chatel, votée en 2008, qui règlemente les liens contractuels entre les professionnels prestataires de services et leurs clients. Le but serait d'alléger les contraintes des opérateurs de téléphonie à l'égard des consommateurs. Quelles mesures sont visées ?

Edouard Barreiro : Arnaud Montebourg veut absolument que les opérateurs relocalisent leurs centres d'appel en France, et est donc déjà prêt à revenir sur la gratuité des hotlines. Le problème, c'est que ça n'intéresse pas du tout les opérateurs de faire revenir les centres d'appel, car ce n'est pas une activité qui est pérenne. Elle finira par disparaître. Sans compter que cela coûterait très cher de les rapatrier.

Du coup, les opérateurs remettent sur la table, non seulement la gratuité des hotlines, mais aussi la loi Chatel dans son ensemble. Elle a notamment une disposition très importante, qui est celle dont on parle le plus : la possibilité de résilier son abonnement au bout de douze mois, en payant seulement un quart des sommes restantes dues.

Voilà les deux mesures phares qui pourraient être touchées. Il y en a peut-être d'autres, on ne le sait pas encore précisement. Peut-être des mesures sur la transparence... De toutes les façons, les opérateurs ont un pouvoir de négociation très fort, car Montebourg veut quelque chose qu'ils ne veulent pas.

En contrepartie, les opérateurs s'engageraient à relocaliser en France leurs centres d'appel, pour créer environ 12 000 emplois dans l’Hexagone. Croyez-vous à cette promesse ?

Non, pas du tout. Arnaud Montebourg est dans le fantasme le plus complet. Pour l'instant, la seule chose à laquelle consentent les opérateurs, ce n'est pas de relocaliser, c'est seulement de ne pas licencier plus. Et même cela les embête, car ils ont un vrai problème structurel. Les licenciements qu'on connait actuellement ne sont pas dus à l'arrivée de Free ou à la concurrence, c'est juste que leur activité évolue de manière fondamentale. Les abonnements sont de plus en plus pris sur Internet, les relations avec l'opérateur passent par des interfaces web a moitié scriptées, à moitié humaines pour les questions précises : c'est plus rapide, plus productif et moins contraignant qu'une hotline. Ils doivent en plus licencier car il leur faut restructurer leur appareil productif pour le rendre plus performant.

C'est donc quelque chose de particulièrement absurde : on ne va pas créer d'emploi, peut-être en maintenir un petit peu... Mais les opérateurs vont prendre tous les cadeaux maintenant et licencier dans quelques mois, quand tout ça se serra tassé. Le seul moyen qu'aurait le gouvernement d'empêcher les licenciements dans le temps serait de nationaliser les trois opérateurs !

Au premier semestre, SFR pour ne prendre que cet exemple, a dégagé 561 millions d'euros de résultat ajusté. L'argument financier avancé par les opérateurs est-il pertinent ?

Le problème, c'est que le gouvernement est en train de mettre en place un mécanisme vicieux. N'importe quelle entreprise qui viendra avec un plan de licenciement verra l'Etat lui ouvrir grand les bras, lui donner de l'argent, lui dire même « arrangez-vous pour augmenter les prix » ou « créons une nouvelle taxe sur les consommateurs et en échange, ne licenciez pas ». Ca ouvre la porte à un parasitisme énorme. Comment peut-on justifier qu'on donne de l'argent à des entreprises qui gagnent de l'argent – SFR, Bouygues et Orange gagnent très bien leur vie – pour qu'ils maintiennent des emplois, alors que structurellement parlant, ils doivent évoluer ? On marche sur la tête.

Et le problème va plus loin. Aujourd'hui, on demande aux opérateurs de relocaliser en échanges de hotlines payantes. Mais la loi s'applique à tous les acteurs économiques. Que leur dire ? Demain, une société arrivera en disant : « j'ai quelques centres d'appel en France, je gagne bien ma vie, mais si les opérateurs ont doit de faire payer la hotline, je veux faire la même chose sinon je délocalise à l'étranger ». Et après-demain, peut-être que les banques viendront en disant : « nos clients utilisent de plus en plus nos interfaces web, ça ne nous intéresse plus d'avoir des personnes physiques aux guichets, donc passez à la caisse si vous voulez qu'on les garde ». On rentre dans un mécanisme vicieux où une entreprise qui gagne de l'argent peut venir demander des aides à l'Etat pour maintenir de l'emploi.

Les consommateurs sont-ils alors sacrifiés sur l'autel de l'emploi ?

Même pas, puisqu'il ne se passe rien en contrepartie. On ne crée pas d'emploi, c'est ça qui est dramatique. On est en train d'essayer d'empêcher des emplois de partir, des postes qui disparaitront d'une manière ou d'une autre car ils sont redondants dans la structure économique actuelle. La vraie question, c'est : qu'est-ce qu'Arnaud Montebourg compte faire pour créer de l'emploi ? Quand des usines ferment, quand des secteurs évoluent drastiquement – dont certaines composantes doivent disparaitres – qu'est ce qu'à prévu Montebourg ? Il faut créer de l'emploi, il faut des activités dynamiques. C'est la seule solution : trouver des secteurs dynamiques qui portent l'emploi.

Les associations de consommateurs seront normalement reçues prochainement à Bercy. Vous essaierez de faire passer ce message-là ?

On n'a pas du tout été consultés au départ. On nous a juste prévenu qu'une bombe allait tomber, histoire qu'on ne soit pas trop critiques, et on nous dit qu'on sera entendu. Mais ça veut dire quoi ? Que le gouvernement écoutera poliment ce qu'on a à dire, et que ça ne changera rien du tout ? Arnaud Montebourg est très têtu sur le sujet.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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