Comptes de l’UMP : qui seront les bénéficiaires et les perdants du grand nettoyage ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon le Canard enchaîné, l'UMP aurait réglé les factures des deux téléphones de Rachida Dati à hauteur de 10.000 euros par an.
Selon le Canard enchaîné, l'UMP aurait réglé les factures des deux téléphones de Rachida Dati à hauteur de 10.000 euros par an.
©Reuters

Au karsher

L'audit des comptes de l'UMP décidé par le triumvirat Juppé-Fillon-Raffarin ne se fait pas sans heurts et polémiques. Xavier Bertrand a dû prouver qu'il n'avait pas réveillonné aux frais de la princesse, et Rachida Dati doit faire face à des informations du Canard enchaîné selon lesquelles elle se serait fait rembourser plusieurs milliers d'euros de factures de téléphone et de frais de déplacement.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Ce que le JDD et le Canard ont révélé depuis dimanche 6 juillet concernant le budget 2013 de l'UMP :

  • 600 000 euros par an de salaires et charges sociales pour Eric Cesari, Jérôme Lavrilleux, Fabienne Liadze et Pierre Chassat, soit une rémunération "flirtant avec les 10 000 euros net par mois" par tête
  • plus de 8 000 euros par mois de salaire pour Geoffroy Didier
  • près de 25 000 euros de frais de représentation pour l'épouse de Jean-François Copé
  • frais liés à l'utilisation de 3 téléphones portables pour Jean-François Copé : un pour lui, un pour sa voiture, un pour son chauffeur
  • 15 000 euros de frais de transport et 10 000 euros de frais de téléphone pour Rachida Dati
  • 7 000 euros de frais de bouche pour Marc-Philippe Daubresse

Atlantico : Ce grand déballage est-il nécessaire ?

Jean Petaux : J’aurais tendance à vous répondre par une autre question qui suivrait le terme "nécessaire" à la fin de votre interrogation : "pour qui ?". En tous les cas il n’y a rien d’extraordinaire à ce que tout soit désormais mis sur la place publique en ce qui concerne l’UMP. Ce parti est exactement dans la situation de la centrale nucléaire de Fukushima : toutes les structures de protection vis-à-vis de l’extérieur explosent les unes après les autres. On a le sentiment d’assister à une sorte de réaction en chaine, comme l’atome nous a habitué à de tels phénomènes. Jusqu’au "champignon" final, ou bien, pour reprendre un titre de film catastrophe des années 90, jusqu’au "China Syndrom", lorsque le cœur de la centrale s’enfonce dans la croute terrestre. A maints égards et au sens étymologique, il y a quelque chose d’obscène (au sens antique de "mauvais présage", "qui vient d’un mauvais côté de la scène" - comme les oiseaux qui volaient dans le mauvais sens annonçaient pour les augures un événement négatif -) dans la situation de l’UMP actuellement. Le parti ressemble aux écuries d’Augias et toutes les hypothèses sont sur la table à la sortie d’une telle séquence : de la disparition du mouvement à un "cessez-le-feu" généralisé. Mais il y a désormais une dimension qui échappe totalement aux protagonistes et aux différents clans rivaux : c’est l’entrée de la procédure judiciaire dans le jeu. Personne ne peut vraiment arrêter cet acteur extérieur… Je ne sais donc pas si le déballage est nécessaire mais il me semble désormais difficilement évitable pour ne pas dire complètement inévitable. Au sens moderne et courant du mot "obscène" le qualificatif s’applique aussi. Il est obscène de mettre sur la place publique la totalité du fonctionnement de ce parti, tout comme dans la vie quotidienne il est obscène de rendre les voisins spectateurs de ses propres scènes conjugales. L’obscénité nait de l’exhibition. Pour parler à la manière de Régis Debray, je dirais qu’on est en présence d’un cas flagrant de "tout à l’ego partisan"…

Comment faire la part des choses entre ce qu’il est nécessaire de mettre sur la table, et ce qui relève du règlement de compte ?

Il y a plusieurs réponses possibles à ces deux questions. D’abord il est tout à faire compréhensible, dans une analyse la plus rationnelle possible et extérieure aux acteurs en cause, de considérer que pour repartir sur des bases assainies il est nécessaire de faire un état des lieux de la situation et de mesurer l’ampleur du cancer qui semble gagner l’UMP. Ne serait-ce que pour anticiper et budgétiser le remboursement des pertes. Ce principe de retour à une gestion minimalement saine passe forcément par une enquête interne et un audit des finances du mouvement. Rien d’étonnant alors à ce que "sortent les dossiers". Mais, dans ce cas-là, qu’est-ce qui relève de la "norme", du "grand déballage" et du «"èglement de compte" ? Cette dernière pratique consiste à se saisir d’une situation de crise, à profiter d’une sorte d’hubris, une "démesure" dans le fonctionnement d’une société, d’une communauté, pour régler ses propres petites affaires. C’est le cas classique du type qui pille son voisin en temps de guerre civile. Dans ce cas-là on prend la mesure du caractère sordide de la situation. Un tel va dénoncer un rival, et cette calomnie va être crédible parce que l’air du temps est propice à cela… : "Ils n’en mouraient pas tous, mais tous étaient atteints…" dit La Fontaine à propos de la peste. C’est ce qui guette l’UMP.

Le triumvirat Fillon – Juppé – Raffarin est à l’origine de l’audit interne à l’UMP. Sur le plan politique, leur décision de "solder les comptes" de l’ère Copé peut-elle leur être profitable ? 

Oui, mais à une seule condition. Que l’affaire ne leur échappe pas. Qu’ils ne perdent pas le contrôle de l’assainissement nécessaire. Dans le cas contraire, on pourra dire qu’ils ont allumé la mèche de l’explosion… Et qu’au rythme où les événements s’accélèrent ce "cordon Bickford" n’est pas vraiment une "mèche lente". Dans l’absolu, encore une fois, il est incontestablement nécessaire de dresser un bilan non seulement comptable, financier, mais aussi "moral" (au sens de "rapport moral" comme il en existe dans chaque association loi 1901) des activités et du fonctionnement du mouvement. Car certes les comptes sont importants mais il est une chose bien plus stratégique dans la perspective du congrès de novembre-décembre 2014 pour l’UMP : c’est la tenue du fichier des adhérents, sa validation et son utilisation dans la perspective de l’élection du futur président.

Parmi les membres de l’UMP, qui a le plus intérêt à faire fuiter de telles informations ? Parmi les députés excédés par la succession de révélations, Bygmalion en tête, et qui veulent un véritable nettoyage, ceux qui dans les différents clans, lesquels ont un intérêt à décrédibiliser l'adversaire ? 

Dans ce genre de situation il ne faut pas avoir une vision manichéenne des acteurs. Il n’y a pas d’un côté ceux qui "font fuiter" et de l’autre les "taiseux", les "silencieux", en un mot, les "vertueux". Les "traîtres" qui vous parleraient à vous médias et les "honnêtes" qui auraient les lèvres cousues (et les yeux crevés pour ne pas voir tant qu’on y est…). Tout le monde parle à tout le monde ! Tout le monde parle à la presse d’une manière ou d’une autre. Pour attaquer et/ou pour se défendre (les positions changeant alternativement d’ailleurs). Chaque clan, chaque groupe (à imaginer d’abord qu’ils soient homogènes, organisés et que leur stratégie soit affirmée : toutes conditions purement théoriques au demeurant) cherche à maximiser ses positions et à affaiblir celles des autres. Pour complexifier encore davantage la configuration on peut aussi imaginer que des alliances et des ruptures se constituent entre les groupes… Bien malin alors celui qui peut dire à "qui profite" non pas le crime mais les révélations. A moins d’apporter une réponse indirecte et certainement, là aussi, simpliste et caricaturale : à Marine Le Pen…

A l’inverse, quelles sont les catégories de personnes au sein de l’UMP qui ont le plus à perdre dans ce grand nettoyage ?

Spontanément on pourrait dire que les "sortants" ont le plus à perdre. J’entends par "sortants" les copéistes et aussi les sarkozystes. Ceux qui ont été à la manœuvre et qui détenaient les commandes de l’organisation UMP pendant la campagne présidentielle de 2012 et depuis lors, y compris d’ailleurs la présidence effective de l’UMP après la calamiteuse séquence de la fin de l’année 2012. Ceux-là doivent forcément s’expliquer sur leur gestion. Et l’argument consistant à dire "circulez y’a rien à voir" peut faire illusion auprès des militants acquis à l’idée selon laquelle l’intérêt du parti passe avant tout et qu’il faut arrêter cette sorte de Saint-Barthélémy entre les différentes "religions" de l’UMP, mais il n’a plus aucune valeur quand il s’agit d’un juge d’instruction… Dans cette perspective, retour à ce que j’ai déjà évoqué. Tous les cadres dirigeants de l’UMP risquent d’être éclaboussés par le nettoyage… au Kärcher.

Entre jouer la carte de la transparence, avec toutes les révélations que cela implique, et le maintien d’une certaine confidentialité, quelle est la meilleure carte à jouer pour l’UMP ? Comment assurer sa survie et sa crédibilité ?

J’ai toujours considéré que la doctrine de la "transparence" érigée comme parangon de vertu recèle de réelles potentialités totalitaires. La pureté est souvent dangereuse, non pas pour ce qu’elle est mais surtout pour ce qu’elle cache, pour ce quelle charrie comme exclusion voire comme extermination. Mais une fois formulée cette réflexion prudentielle, il en va bien de la crédibilité de l’UMP par ailleurs. Car enfin, comment le mouvement peut-il prétendre gérer l’Etat quand il n’est pas capable de ne pas creuser un déficit vertigineux dans sa propre comptabilité ? Quand il apparaît comme étant le royaume des fausses factures et des comptabilités plus ou moins trafiquées là où le moindre petit entrepreneur voit ses comptes épluchés par une quinzaine d’organismes fiscaux ou sociaux qui le "flinguent" au premier manquement… Comment faire accepter aux électeurs des dépenses de fonctionnement qui révèlent un train de vie organisationnel aux antipodes des mesures de rigueur exigées pour toutes les couches et catégories de la société française ? Comment, par exemple, se dresser contre la dérive de la dette publique quand on n’est pas capable de ne pas dépasser un plafond de dépenses autorisées pour une campagne, fut-elle présidentielle ? Et comment peut-on espérer durablement s’en tirer en disant : "Moi, l’intendance, ce n’était pas mon problème…". Voilà exactement ce qui menace l’UMP, au-delà de toutes les affaires, de tout ce que l’on découvre au fil des jours, de tout ce que l’on ne sait pas encore, de tout ce qui va être bidonné et infondé : la perte du statut de "parti de gouvernement" pour apparaître comme une structure totalement inapte à gérer et inepte dans les idées… Difficile d’être crédible avec un tel profil, on en conviendra…

Propos recueillis par Gilles Boutin

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