Comment les neurosciences remettent en cause ce qu'on pensait savoir sur la culpabilité<!-- --> | Atlantico.fr
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Il est devenu possible de savoir quand quelqu'un ment.
Il est devenu possible de savoir quand quelqu'un ment.
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C'est pas moi, c'est mon cerveau !

La neuro-imagerie découvrait récemment que le cerveau du chien et le cerveau humain ont des zones similaires. Cette application est néanmoins loin d'être la seule : il nous est également possible de savoir quand quelqu'un ment, par exemple. Des découvertes qui bousculent la Justice et le droit.

Michel Bénézech

Michel Bénézech

Michel Bénézech est psychiatre, légiste et criminologue. Il est chargé du service médico-psychologique régional des prisons, à Bordeaux.

Il a co-écrit avec Christiane de Beaurepaire et Christian Kottler, en 2007, Les dangerosités : De la criminologie à la psychopathologie, entre justice et psychiatrie (John Libbey Eurotext).

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Atlantico : Un homme a étranglé sa femme dans son sommeil, alors qu'il faisait un cauchemar, en 2008, au Pays de Galles. Pour autant, il n'avait conscience de ce qu'il faisait... Finalement, qu'est-ce qui appartient vraiment au domaine de l'inconscient, dans l'action ? Peut-on faire quelque chose sans réaliser qu'on le fait ? 

Michel Bénézech : Il y a un certain nombre de pathologies neurologiques qui font que, effectivement, certaines facultés s'exercent sans que l'on en soit pleinement conscient. Cela reste néanmoins des cas particulièrement rares.

Quand on parle de comportement criminel, en dehors de quelques affections neurologiques, que l'on rencontre exceptionnellement en pratique criminologique, ou d'expertise et de psychologie, les problèmes qui se posent concernent les soubassements inconscients du comportement. C'est un sujet immense, en lui même. Au regard de Freud, on tue parce qu'on est coupable. Ce n'est pas parce qu'on tue qu'on le devient. On trouve donc toute une théorie traitant d'une absence de sur-moi des psychopathes, qui ne seraient donc pas refrénés. Ce sont de vieilles théories, battues en brèches, auxquelles je ne crois pas beaucoup. Joue aussi le niveau moral atteint par un individu, un sujet étudié par des collègues israéliens.

Tout ceci se fait, évidemment, selon la maturation de l'individu. Comme toujours, en psychologie et en psychiatrie ; criminelle ou non, on est le résultat à la fois de sa biologie – de son hérédité et des événements fondamentaux de la vie utérine, ainsi qu'après la naissance – et évidemment de l'éducation. Tout cet enveloppement affectif que nous avons (ou n'avons pas) autour, et qui, suivant les circonstances comme la présence ou l'absence des parents, leurs caractères et la façon dont ils nous ont éduqués, les potentielles carences affectives et éducatives (qu'on retrouve souvent chez les criminels chroniques)...

Notre cerveau, qui élabore la pensée, est le produit de toutes ces choses-là. Il y a une interaction extrêmement forte, étroite et unique, entre le fonctionnement de nos structures cérébrales (qui sont extrêmement complexes et inter-connectées) et notre façon de fonctionner. Le problème de l'inconscient, selon Freud, ne se prête pas à l'étude scientifique.

En revanche, via la neuro-imagerie, on peut aujourd'hui confirmer et objectiver la présence de certains troubles mentaux. Nous sommes capables, à titre individuel — ça n'est pas nécessairement vrai à l'échelle d'une population, de déterminer si un homme présente des connexions typiques d'un trouble de la personnalité. On peut également objectiver les relations entre la violence et les fonctionnements cérébraux, en particulier ceux du lobe pré-frontal et du système limbique. Le lobe pré-frontal est parfois incapable de freiner le système limbique, qui correspond aux émotions. On peut désormais, grâce aux travaux de neuro-imagerie fonctionnelle, comprendre comment certains individus peuvent être violents et comment ça s'exprime sur le plan neurophysiologique.

En termes de justice et de droits, que faut-il craindre ? N'y a-t-il pas un risque, à terme, que l'"imperfection" du cerveau humain finisse par acheter une forme de clémence des juges, où à l'inverse qu'il condamne plus sévèrement les criminels ?

La question s'est déjà posée, effectivement. Est-ce que la science, et la neuro-imagerie, est capable d'influencer le jugement d'un expert, d'un tribunal, voire de la cour d'assise ? On a quelques éléments de réponse aux Etats-Unis. Durant certains procès, les jurés ont été influencés par des images de neuro-imagerie, qui explicitaient le comportement pathologique du criminel, avec en résultat final un acquittement pour celui-ci, en raison des troubles révélés par la neuro-imagerie. Depuis, un certain nombre d'États Américains ont préféré interdire la présentation d'images de neuro-imagerie aux jurés et aux cours d'assises.

L'imagerie, qu'elle soit structurale ; c'est à dire soit simplement anatomique (l'hypertrophie ou l'atrophie de certaines régions), ou bien fonctionnelle, ce qui concerne les communications entre les différentes structures (résonance magnétique, tomographie, émission de positions ou de photons...) permet de déterminer si certaines structures sont actives. Par le biais de la consommation d'air, il est possible de s'en apercevoir.

Aujourd'hui, nous n'en sommes qu'au stade expérimental. On sait cependant, grâce à ces recherches en neuro-imagerie fonctionnelle, que certaines zones du cerveau s'activent, chez des témoins présentant une certaine appétence pédophilique, lorsque l'on leur passe des images d'enfants. De simples images d'enfants, sans connotation. Un témoin «sain» ne présente pas ce symptôme. Le cervelet, le gyrus orbitaire antérieur droit, le gyrus frontal... Toutes ces structures «s'allument» quand on montre ce genre d'images à des sujets pédophiles. Faut-il en conclure que la neuro-imagerie dédouanerait les pédophiles ? Est-ce qu'au contraire ça n'objectiverait pas le diagnostique ? Aujourd'hui, on peut déterminer, via les examens en imagerie cérébrale, si quelqu'un ment en disant qu'il n'est pas attiré par les (anormalement, s'entend) par les enfants. Les régions cérébrales, que nous sommes en mesure d'observer, parlent-elles aussi. Elles viennent confirmer le diagnostique.

Que faut-il en déduire en termes de responsabilité ? De culpabilité ?

La question qu'on pose ici, c'est donc est-ce que nous sommes responsables de notre cerveau ? Est-ce que nous sommes responsables de nos attirances sexuelles ? De la violence qu'on présente ?

Le fait est que l'irresponsabilité n'existe que dans le cas de trouble mental grave, reconnu comme tel. C'est à dire une maladie mentale grave. Est-ce que la pédophilie primaire, essentielle, constitue une maladie mentale grave ? Pour tous les auteurs, non, évidemment. Ca n'est pas être fou que d'être pédophile. Les attirances pathologiques qui sont reconnues sur le plan psychiatrique, soit les paraphilies, ne constituent pas une cause d'irresponsabilité pénale. Pas à moins d'être associée à des troubles mentaux majeurs.

En France, ces troubles mentaux se comptent sur les doigts de la main.La débilité profonde, par exemple : on ne peut pas demander à un idiot, au sens traditionnel du terme, d'être responsable de ses actes. Si son QI n'excède pas 30... Les troubles psychotiques évidents, comme la schizophrénie aiguë/chronique ou les délires chroniques en font aussi parti. Quand le délirant chronique persécuté tue son persécuteur, il est bien évident que la loi le reconnaît irresponsable, puisqu'il a agit sous l'effet d'une contrainte psychologique qui empêchait son libre-arbitre de s’exercer. Enfin, on parle également de trouble psychologique interne, qui correspond à la démence selon l'ancien code pénal de 1810. Elle mène, elle aussi, à l'irresponsabilité pour des troubles qui ont aboli la libre-volonté.

Ces défaillances peuvent-être objectivées par la neuro-imagerie. Dans le cadre de la pédophilie, pour rester dans le domaine que nous explorions tout à l'heure, la neuro-imagerie se révélerait donc être un indice qui jouerait d'avantage en défaveur de l'accusé. Ces trois troubles causent l'irresponsabilité, ce qui n'est pas le cas pour la pédophilie. Et si la neuro-imagerie ne peut pas prouver que l'accusé est passé à l'acte (on peut avoir un «terrain favorable» sans être nécessairement coupable) elle implique de forts soupçons...

L'étude de la conscience pourrait-elle nous amener à déterminer à quel point une action est intentionnelle ? S'agit-il d'un scénario crédible ? Comment cela pourrait-il jouer sur la façon dont la Justice conçoit la responsabilité et la culpabilité aujourd'hui ?

Le scénario est crédible. On connait d'ores et déjà les ondes propres aux mensonges, qu'on peut identifier en neuro-imagerie. Quand on les détecte, on peut légitimement supposer que le sujet sait qu'il ment. Le terme conscience n'en reste pas moins très ambigu. Il s'agit d'une impression d'exister dans le monde qui nous entoure. Notre conscience est-elle libre ? C'est là le problème. La théorie veut que pour être responsable il faut que notre conscience soit libre, en d'autres termes qu'on soit capable de discerner le bien du mal, et de choisir (théoriquement librement) entre les deux. C'est évidemment une illusion. Le schizophrène ne sait pas qu'il est schizophrène mais il a bien conscience qu'il existe, qu'il vit, qu'il va au restaurant, etc. Il a bien une conscience, sans avoir conscience de sa pathologie pour autant. Il ne sait pas que ce qu'il ressent est anormal (contrairement à un phobique). Il n'a qu'une conscience partielle donc. Et on est aujourd'hui capable de dire si quelqu'un entend des voix.

De là à savoir dans pour qui jouera la neuro-imagerie... Il faut aussi s’interroger sur le plan juridique et l'aspect jurisprudence : la grosse interrogation qui est soulevée, c'est effectivement celle-ci. Doit-on partir du principe qu'un problème entre lobe préfrontal et système limbique rend un individu irresponsable (son cerveau connait un dysfonctionnement contre lequel il ne peut rien) ou au contraire qu'en raison de ce dysfonctionnement il devient d'autant plus urgent de l'emprisonner, puisqu'il est d'autant plus dangereux ? Cela peut-être pris dans les deux sens, suivant le contexte et les troubles associés.

Il ne faut pas oublier non plus que la neuro-imagerie, lorsqu'elle sera beaucoup plus répandue, ne sera qu'un élément parmi d'autres, dans le dossier pénal. Il ne faut pas faire de la neuro-imagerie le fer de lance de ce dossier, puisque ce ne sera (en l'état actuel, les recherches ne sont pas toutes cohérentes, certaines sont contradictoires) qu'un élément à prendre en compte. Et comme tous les éléments, un qui ne sera pas irréfutable.


Propos recueillis par Vincent Nahan

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