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Comment le FN est en train de doubler la gauche par sa gauche
©REUTERS/Philippe Wojazer

Tadaaaa !

Le Front National est un parti qui au fil de son existence et des événements de la deuxième moitié du XXe siècle a toujours su s'adapter. La dernière mue en date a pris de cours l'ensemble du panel politique actuel.

Bertrand  Rothé

Bertrand Rothé

Bertrand Rothé est agrégé d’économie, il enseigne à l’université de Cergy-Pontoise et collabore régulièrement à Marianne. Il est déjà l’auteur de Lebrac, trois mois de prison (2009) et co-auteur de Il n’y a pas d’alternative. (Trente ans de propagande économique).

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Le temps des postures est derrière nous, celui des analyses fines arrivera plus tard, il faut maintenant poser les bonnes questions. Pourquoi 25 % au FN ? Le sujet est complexe et surtout difficile à analyser. Jean-Pierre Le Goff le fait remarquer dans le Monde : "la peur d'être qualifié de "réactionnaires" par un milieu parisien, restreint mais influent, en a fait taire beaucoup". Malgré cette difficulté une petite musique se fait entendre chez certains intellectuels : le FN n’est-il pas entrain de doubler le NPA sur sa gauche ?

A droite toute

Tous les grands partis dérivent à droite. Par respect pour ses derniers militants issus des classes populaires, nous ne parlerons pas du schuss du PS. Cette dérive libérale va inciter l’UMP à surenchérir et il ne faut pas la forcer beaucoup. Ne comptons pas sur les Verts. Elle est très loin l’époque où ils imaginaient un protectionnisme progressiste et intelligent sous la plume d’Alain Lipietz. Le très libéral Jean-Vincent Placé a l’insulte facile, Montebourg en sait quelque chose. Même le Front de Gauche a du mal à tenir un discours ferme sur l’Europe. Le PC a renié ses engagements de 1984, à l‘époque où il se battait contre l’entrée du Portugal et de l’Espagne dans la Communauté au nom de l’emploi et de la défense de la protection sociale. Last but not least, devant l’obstacle Jean-Luc Mélechon piétine. Sur Médiapart, récemment, il se proposait d’aller dire aux Allemands que "cela ne peut plus durer". Ter repetita, pour ceux qui se souviennent encore des discours de ses anciens compagnons, Jospin puis Hollande. Le glissement est donc général, seul le FN prend la tangente, il dérive à gauche.

Philippot le transfert du chevènementiste

Pour dépasser les rapides anathèmes, il suffit de lire ou de regarder les publications et les discours récents du parti de Marine Le Pen. Celui de Tours en 2011 est édifiant. Après l’hommage au père, la nouvelle présidente du FN n’y va pas par quatre chemins : "L’Europe de Bruxelles a imposé partout les principes destructeurs de l’ultralibéralisme et du libre échange, au détriment des services publics de l’emploi, de l’équité sociale".  L’équité sociale ? Un nouveau thème au FN. Et c’est comme cela que depuis trois ans, avec son second  Florian Philippot, la présidente  égrène ses nouvelles marottes : "Il nous faut un Etat fort", qui "doit retrouver son rôle régulateur… se réapproprier le contrôle de certains secteurs stratégiques comme l’énergie, les transports, et, si nécessaire, les banques". Son discours sur l’Europe fait mouche. Le nouveau couple n’a peur de rien, empruntant même les thèses de Piketty sur la nécessité d’une "révolution fiscale". 

Le FN n’a pas beaucoup à faire. Il n’y a qu’à piocher, la gauche de la gauche a fait une grande partie du travail. Transfuge chevènementiste, Florian Philippot est arrivé avec les armes dans ses bagages. Il connait la boutique. Depuis bientôt vingt cinq ans Daniel Mermet sur France Inter critique les dérives du libéralisme. Frédéric Lordon, Jacques Sapir, Aurélien Bernier et Gaël Giraud proposent des critiques articulées sur l’Europe et l’Euro. Emmanuel Todd et François Ruffin ont développé un discours structuré sur le protectionnisme. Le travail de ces intellectuels n’est pas clairsemé, il se concentre essentiellement au Monde Diplo et parfois chez Marianne.

Victoires sur des terres de gauche

La stratégie est payante, car cette évolution du discours est suivie par celle de l’électorat du FN. Depuis 2012, il gagne beaucoup sur les terres de gauche. Dans Le mystère français Hervé Le Bras et Emmanuel Todd ont constaté cette évolution (Hervé Le Bras, Emmanuel Todd, Le Mystère français, éditions du Seuil, 2013). Pour simplifier, jusque là le FN de Jean-Marie était très bien représenté dans deux "bastions", les départements méditerranéens avec ses pieds-noirs, et dans l’Est, plus spécialement dans la région lyonnaise et en Alsace. Avec son nouveau discours le FN a conquis de nouvelles zones et il a perdu des électeurs dans ces bastions traditionnels que le père avait su conquérir. En 2012 c’est 5 % de moins en Alsace et dans la région lyonnaise ainsi que dans l’ouest de la région parisienne, "le FN se retire des villes et des banlieues où résident les immigrés pour aller vers le vieil espace révolutionnaire français, central, de tradition libérale égalitaire". "Le FN est devenu économiquement et territorialement le parti des dominés", "ces terres de Sous-France", pour reprendre l’expression de Daniel Mermet. En 2007, en avance de phase, la science politique avait déjà parlé de "gaucho-lepénisme".  2014 confirme cette analyse, le FN se serait même développé sur les dernières terres qui lui résistaient, celle du "catholicisme zombi", en d’autres mots il gagne progressivement à l’ouest sur les dernières terres PS en dehors des grandes villes.

Nous sommes tous des électeurs amnésiques

Face à ces deux avancées, les belles âmes se rassurent : "Personne ne pourra oublier que le FN est d’abord et avant tout un parti raciste". Une publication récente de Fakir éditions nous met en garde contre cette belle illusion en soulignant à la fois la plasticité du FN mais surtout notre amnésie (François Ruffin, "Pauvres actionnaires !" Quarante ans de discours économique du Front national passés au crible. Fakir Editions). Qui se souvient que bien avant d’être raciste, le FN et Jean Marie Le Pen étaient d’abord anticommunistes ? C’était leur cheval de bataille jusqu’à la chute du mur de Berlin. Une preuve amusante ? Seuls les hypermnésiques de plus de 80 ans se souviennent de l’auteur de ce discours de 1958 à l’Assemblée Nationale : "Ce qu’il faut dire aux Algériens, ce n’est pas qu’ils ont besoin de la France mais que la France a besoin d’eux... ils seront… la partie dynamique et le sang jeune d’une nation française dans laquelle nous les aurons intégrés". Autre temps, autres mœurs, Jean Marie Le Pen plaidait alors sans complexe pour une Algérie Française. En vingt ans le père est arrivé à nous faire oublier ce discours, combien de temps la fille prendra-t-elle pour nous faire oublier le racisme du père ? Alors le FN aura doublé Mélenchon sur sa gauche.

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