Comment la chute du mur de Berlin a précipité une domination germanique sur l’Europe que l’Allemagne ne recherchait même pas<!-- --> | Atlantico.fr
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Avant même la réunification, les Allemands défendaient déjà l'idée d'une Banque centrale indépendante,
Avant même la réunification, les Allemands défendaient déjà l'idée d'une Banque centrale indépendante,
©Reuters

Série : 25 ans après la chute du mur de Berlin

Avant même la réunification, à l'époque où le Deutschemark était la valeur refuge suite au krach des années 70, les Allemands défendaient déjà l'idée d'une Banque centrale indépendante, tandis que les Français ont toujours eu une conception plus politique de la monnaie. 3ème partie de notre série consacrée à l'anniversaire des 25 ans de la chute du mur de Berlin.

Frédéric Bozo

Frédéric Bozo

Frédéric Bozo est professeur à la Sorbonne Nouvelle (Université Paris III) où il enseigne l’histoire contemporaine et les relations internationales. Ses travaux portent sur la politique étrangère et de sécurité de la France, les relations transatlantiques et l’histoire de la guerre froide. Parmi ses ouvrages : Mitterrand, la fin de la guerre froide et l'unification allemande : De Yalta à Maastricht.
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Pierre Verluise

Pierre Verluise

Docteur en géopolitique, Pierre Verluise est fondateur du premier site géopolitique francophone, Diploweb.com.

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Atlantico : La question qui obsédait l'Europe depuis la chute de IIIème Reich, soit la réunification allemande, est-elle directement ou indirectement responsable de la domination allemande sur l'Europe ?

Pierre Verluise : L’unification allemande, le 3 octobre 1990 se solde d’abord par une opération coûteuse : l’échange d’un Deutschemark Est contre un Deutschemark Ouest, ce qui était surréaliste mais politique. Au-delà, l’unification allemande se traduit par l’intégration au territoire de la République fédérale d’Allemagne des länder délabrés de l’ex-République Démocratique d’Allemagne (RDA).

Plus de deux décennies après il en reste encore des traces sous l’angle démographique, puisque les femmes en âge d’avoir des enfants ont souvent quitté ces territoires pour des espaces plus attractifs à l’Ouest, ce qui a aggravé à l’Est une situation démographique marquée par une faible fécondité. Aujourd’hui peuplée de 80,6 millions d’habitants, la RFA affiche à l’échelle nationale un indicateur de fécondité de 1,4 enfant, lorsqu’il en faudrait 2,07 pour assurer un remplacement. Résultat, la projection de population de la RFA pour 2050 avance une baisse significative puisque la population serait alors de 76,2 millions d’habitants. Cette dynamique démographique déclinante ne doit pas être perdue de vue lorsqu’on réfléchit à la puissance de l’Allemagne à moyen et long termes. La démographie est un des fondamentaux de la puissance.

Enfin, pour revenir à 1990, l’unification de l’Allemagne s’est traduite par les élargissements non-dits de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et de la Communauté économique européenne à l’ex-RDA. Ce qui est d’une importante stratégique majeure, aussi bien pour l’OTAN que pour la CEE.

Dans la première moitié des années 1990, l’Allemagne a milité pour l’élargissement de l’UE aux pays d’Europe balte, centrale et orientale. Alors que la France politique et économique était debout sur les freins. La situation bascule après la fin des années François Mitterrand, lorsque presque simultanément le monde politique comme le monde de l’entreprise français réalisent que le Rideau de fer n’existe plus. Les 5 à 6 années de retard de la France – en dépit des appels du pied de l’Allemagne – expliquent bien davantage ses difficultés à prendre pied dans cette zone qu’une volonté de puissance allemande. Par ailleurs, Berlin profite d’une assez bonne diffusion de sa langue dans cette zone.

Frédéric Bozo : Attention à ne pas donner l'Allemagne une place centrale dans cette crise économique et budgétaire européenne, tout comme il ne faut pas lui accorder de manière disproportionnée une puissance hors norme sur la scène européenne. En termes économiques (si on fait abstraction de la crise que connait la France actuellement), en considérant le PIB, France et Allemagne n'évoluent pas à des niveaux si différents que celui qu'il était à l'époque de la RFA.

D'ailleurs, pendant les 20 ans qui ont suivi la chute du mur, il n'a pas été question de dégradation radicale du rapport de force entre France et Allemagne. C'est véritablement la crise de l'euro et ces développements plus récents qui ont creusé l'écart et donnent le sentiment d'une toute puissance allemande écrasante.

Reste que les problèmes de la zone euro se résument aux habituelles divergences de vues franco-allemandes, avec ou sans réunification. Celle-ci porte sur la définition même de l'union économique et monétaire. Les Allemands défendaient - et ce même avant la réunification - l'idée d'une Banque centrale indépendante, tandis que les Français ont toujours eu une conception plus politique de la monnaie.

La peur d'une Allemagne qui préfère l'Est à l'Ouest a-t-elle poussé les dirigeants européens de l'époque (et notamment François Mitterrand) à commettre l'erreur d'une réunification en échange d'une UEM mal pensée, peut-être trop précipitée ?

Pierre Verluise : François Mitterrand a tenté durant quelques semaines d’empêcher la réunification allemande, notamment en maintenant son voyage à Berlin Est fin 1989. Cela a été très mal vécu en Allemagne. La RFA a trouvé davantage de soutien auprès des Etats-Unis.

La relance d’un vieux projet d’Union monétaire visait à contraindre l’Allemagne unifiée à continuer de s’impliquer dans la construction européenne. Comment ? En l’amenant à sacrifier la monnaie symbole de sa reconstruction démocratique au bénéfice d’une monnaie commune.

Les Français ne sont pas les seuls à faire des « calculs ». Les Allemands ont imposé systématiquement leur volonté dans les négociations de conception et de mise en œuvre de l’UEM. Faut-il leur en vouloir ou reconnaître que les négociateurs français ont été moins performants ? Les Allemands ont imposé la réunification à leurs partenaires, forts du soutien des Etats-Unis ont ne peut dont pas parler au sens strict d’un « échange ». Il s’agit plutôt d’un processus destiné à essayer de passer l’éponge sur les maladresses des semaines qui ont suivi l’ouverture du Mur.

Frédéric Bozo : Il y aurait eu entre France et allemagne, un deal donnant donnant ? L'Allemagne acceptait de perdre la puissance du Deutschemark en échange de l'acceptation de la réunification par la France ? C'est que certains disent, mais cette analyse est contestable et simpliste... Ce qui est certain, c'est que la France ne refusait in fine pas la réunification, et l'Allemagne pas l'euro.    

Ce qui est vrai toutefois, c'est qu'au moment de la réunifictaion, François Mitterrand a habilement profité du contexte pour faire accélérer le projet d'unifciation monétaire. Et oui, les Français étaient plus demandeurs d'unification monétaire que les Allemands.

Dès 1988, l'idée de l'UEM était pourtant déjà pensée sur le modèle économique allemand, avec un Deutschemark fort, une Banque centrale indépendante et une stricte rigueur budgétaire... En cherchant à à contraindre l'Allemagne, à l'encadrer économiquement avec une UEM basée sur le modèle allemand, Mitterrand et ses partenaires européens de l'époque ont-ils au contraire permis cette ascension allemande ? 

Frédéric Bozo : La politique économique et monétaire a en effet été posée comme projet dés 1988, bien avant qu'on ne parle de réunification. A l'époque l'idée française était d'encadrer le plus que possible la puissance allemande, déjà ressentie comme considérale. La France voulait donc intégrer cette puissance économique dans un ensemble européen, pour s'assurer qu'il n'y ait pas de retour d'une Allemagne solitaire qui puisse s'affranchir de la construction européenne.

François Mitterrand a lors accepté l'idée qu'il n'y aurait pas de monnaie unique si cette dernière n'était pas calquée sur le modèle allemand, sous tutelle d'une Banque centrale européenne indépendante. François Mitterrand a finalement accepté de renoncé à la toute puissance de la Banque de France au profit de l'idée d'une BCE. Il savait que sur ce point les Allemands ne fléchiraient pas.

Une fois que Maastricht a été lancé et que les projets de 1988 sont devenus réalités avec le passage à l'euro, la France a prétendu oublié ce point fondamental. Elle n'a tout siomplement pas été suffisamment consciente des enjeux qu'il y avait à maintenir entre temps une bonne gestion de l'économie française, compatible avec l'accord autour de l'union économique et monétaire. Plus que l'hégémonie allemande, cela explique les faiblesses françaises. Une France qui accepte les règles du jeu jadis et qui prétend ensuite s'en étonner. Elle veut l'union économique et monétaire d'un côté, mais rejette a posteriori la discipline qui va avec.

Pierre Verluise : Je suis réservé sur une approche qui serait de manière obsessionnelle centrée sur la dimension monétaire. L’ascendance allemande sur l’Union européenne est aussi le fait de bien d’autres facteurs, notamment une capacité d’exportation, un courage à s’imposer des réformes et une volonté de s’implanter dans les pays candidats puis nouveaux membres.

En laissant l'Allemagne poursuivre l’orthodoxie budgétaire et des politiques économiques favorables à sa seule compétitivité (réformes Gerhard Schröder - Hartz 4), les autres dirigeants européens ont-ils manqué de clairvoyance ou de volonté politique ? Sont-ils aussi responsables de la présente domination allemande ?

Frédéric Bozo : Durant les année 70, depuis qu'on commence en réalité à parler d'union économique et monétaire (le premier projet date de 1969), le Deutshemark était devenu la monnaie dominante en Europe, bien avant la réunification donc. Pourquoi ? Car le système monétaire international créé en 1945 s'effondre, le dollard flotte et le Deutschemark devient une valeur refuge.

C'est depuis cette époque qu'on parle de serpent monétaire européen (années 70-80) et que demeure ce problème : comment faire pour aller dans la direction d'un système budgétaire européen, voire d'une union économique européenne, avec ce Deutschemark si puissant.

Quand mitterrand choisit en 1983 d'engagé le tournant de la rigueur, notamment pour préserver la parité possible entre le Franc et le Deutschemark, on est déjà dans une logique de mimétisme face à une monnaie pivot en Europe. Difficile dans ces conditions de composer sans l'Allemagne.

Plus récemment, l'Allemagne s'est il est vrai engagée dans une politique unique non coopérative. Certes, elle est le pays qui profite le plus de l'euro, notamment dans la facilité grandie à l'exportation dont elle jouit sur la zone. Mais tout cela n'a pas nécessairement été pensé dans une visée hégémonique, plus pour se relever de la situation économique difficile qu'elle connaît aumoment de la réunification, avec en particulier un chômage de masse important. N'oublions pas que l'Allemagne des années 1990 était considérée comme "l'homme malade de l'Europe". Reste que jamais, elle n'a dérogé de ses principes sur le plan économique. Et si l'économie française s'était préparée aux règles du jeu qu'elle avait accepté par la passé, elle serait certainement plus en situation de peser sur les choix allemands.

Le rapport Sarkozy / Merkel, malgré l'échec de l'Union Méditerranéenne, transformée en Union pour la Méditerranée, a-t-il changé temporairement la donne dans les rapports de force franco-allemands ?

Pierre Verluise : Globalement, Angela Merkel a largement dominé la relation franco-allemande à compter des années Sarkozy. L’exemple de la castration de l’Union méditerranéenne en Union pour la Méditerranée, rattachée au Processus de Barcelone, est emblématique de cette domination.

Durant toutes ces années, Nicolas Sarkozy propose, trépigne, mais c’est Angela Merkel qui décide du tempo et du périmètre des concessions qu’elle fait et des exigences qu’elle pose aux autres pays.

En définitive, Margaret Thatcher annonçait dès 1993 que l'euro ne serait jamais rien d'autre qu'un Deutschemark et que les dirigeants européens n'avaient "pas ancré l’Allemagne à l’Europe". Mais "l’Europe à une Allemagne nouvelle, unifiée et dominante", prophétisant qu'à la fin cela ne pourrait pas fonctionner...Sachant qu'aujourd'hui chacun campe sur ses positions, que l'Europe est en panne mais que l'Allemagne ne semble pas prête à bouger (au prix de sa propre économie)... Politique hégémonique volontaire ou non de l'Allemangne, Margaret Thatcher était-elle dans le vrai ?

Frédéric Bozo : Même si des divergences d'interprétations subsistes, pour Margaret Thatcher ou Jean-Pierre Chevènement les visées allemandes sont claires. Tous deux y voient effectivement un choix politique qui ne pouvait déboucher que sur son hégémoine. L'Allemagne selon eux se retrouvent au centre du jeu européen, plus puissante que jamais, puisque disposant d'une union économique et monétaire décidée selon sa volonté, son modèle.

Pierre Verluise : Je me garde bien de faire parler les morts et me méfie des prophéties à rebours à coup de citations. Je constate aussi que l’Union européenne a été annoncée morte des dizaines de fois mais qu’elle abrite encore 508 millions d’habitants qui vivent en paix avec un niveau de vie hétérogène mais globalement supérieur à la moyenne mondiale.

Plutôt que de se défouler en tapant sur l’UEM ou l’UE il serait plus utile de s’interroger sur nos contradictions et nos défis. Au vu des paramètres démographiques, économiques et stratégiques, l’Union européenne s’efface progressivement à l’échelle mondiale.  En effet, son poids relatif est à la baisse pour chacun de ces paramètres de la puissance. Pis, l’effacement de l’UE pourrait s’accentuer. Il semble donc plus qu’urgent de prendre la mesure de cette menace.

Propos recueillis par Franck Michel / sur Twitter

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