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Comment convaincre les gens de se faire vacciner quand la médecine a (par ailleurs) parfois perdu le sens de la mesure ?
©PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP

Mourir de la rougeole

La ministre de la Santé a demandé aux personnes non-vaccinées contre la rougeole de faire un rattrapage. Si le ciblage des personnes non vaccinées paraît utile, il faut aussi ​s'interroger sur la dégradation du lien de confiance entre population et corps médical.

Henri Bergeron

Henri Bergeron

Henri Bergeron est sociologue expert de la santé publique et des phénomènes de consommation de drogues.

Il est professeur à Sciences Po Paris, à la Sorbonne et à la l'Ecole des Hautes Etudes de la Santé Publique.

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Atlantico : "Je demande aux personnes qui ne sont pas vaccinées de faire un rattrapage”​, a déclaré la ministre de la Santé, rappelant à la population la nécessité de procéder à la vaccination contre la rougeole suite au décès d'une femme de 32 ans au CHU de Poitiers. Si le ciblage des personnes non vaccinées paraît en effet utile, ne serait-il pas nécessaire de ​s'interroger sur la dégradation du lien de confiance entre population et corps médical ? Quelles ont été les cas les plus emblématiques, de la sur-prescription des antibiotiques au scandale des opioïdes aux Etats-Unis, qui ont pu être à l'origine de cette situation ? 

Henri Bergeron : On peut distinguer au moins trois grandes évolutions qui contribuent à expliquer cette défiance vis-à-vis du corps médical. Et elle ne concerne pas seulement le corps médical mais aussi les marques, les industries (et pas seulement pharmaceutiques et les autorités publiques). Il existe un mouvement sourd de contestation des tiers-garants, l'État étant le tiers-garant coercitif, censés justement garantir la confiance que les citoyens peuvent accorder aux produits et services . Mais revenons plus loin dans le passé.

Quasiment depuis la loi de 1902 de santé publique et de façon plus forte depuis une vingtaine d'années, on observe une affirmation du rôle de l'État dans sa compétence régalienne de sécurité sanitaire. Alors certes, c'est un anachronisme d'utiliser le terme de sécurité sanitaire en parlant de la loi de 1902 , parce qu'il a été inventé en 1993 par le cabinet de Bernard Kouchner au moment de la création de l'Agence française du Sang et de l'Agence du Médicament. Mais si on observe sur la longue durée, la jurisprudence et un certain nombre de lois n'ont jamais cessé de renforcer le rôle paternaliste de garant de la sécurité sanitaire de l'Etat. Et ce rôle n'a cessé de se renforcer également en conséquence de crises. On a créé de nouvelles agences, de nouvelles institutions suite, par exemple au sang contaminé, etc. Cette fonction régalienne s'est de plus en plus affirmée. 

Mais dans le même temps, les risques de crise sanitaire sont de plus en plus nombreux, conséquences de causes de plus en plus complexes. La réduction de la biodiversité favorise l'apparition de nouvelles maladies épidémiques. L'importante médicalisation de la société fait que beaucoup de gens sont sous médicaments, ce qui rend probable la survenue de problèmes. On pourrait donner d'autres exemples encore. Or plus l'Etat affirme son rôle régalien de protection de la santé publique et plus les dangers sont difficiles à prévoir et maitriser, plus les risques de "défaillance de l'Etat à bien les gérer" sont importants.  C'est peut-être cet écart entre une revendication de protection et l'apparition de crises sanitaires, qui est susceptible de contribuer à la  défiance. C'est un mécanisme qu'on retrouve aussi avec le terrorisme, quand l'État réaffirme après chaque attentat sa fonction régalienne de sécurité. Voici le premier point qui montre une méfiance non pas tant dans le corps médical que dans les institutions – institutions qui par ailleurs sont très mal connues (qui connait la Haute-Autorité de Santé, l'ANSM etc. ?).

Le deuxième mouvement qui peut expliquer cette défiance c'est la montée des médecines alternatives qui elle-même s'enracine dans un mouvement plus général très porté par des considérations naturalistes qui affirment, pour le dire bêtement, que "si c'est naturel, c'est bon et bien". Aucun domaine n'y échappe dans notre société.  La "médecine des preuves" ou "evidence-based medecine" paraît avoir échoué à défendre la médecine allopathique, en démontrant sa supériorité scientifique. On assiste au contraire à un grignotage progressif de la juridiction de la médecine allopathique.

La médecine des preuves aurait dû permettre de lutter contre la diversité des pratiques médicales selon les lieux, variabilité qui mine la confiance, car que veut dire ce traitement qu'on m'impose chez moi si je peux en prendre un autre dans un autre lieu ? Tout cela fait monter la défiance, au point qu'on en arrive à ce paradoxe : la médecine allopathique n'a jamais été aussi efficace à traiter ou prévenir les pathologies des patients, mais jamais autant contestée.

Le troisième mouvement est apparu dans les années 70 aux Etats-Unis et en 80 en Europe, consacré par l'adoption d'une série de lois : le rééquilibrage de la relation docteur-patient.  C'est la fin du modèle paternaliste de la relation du patient et du médecin. Il y a cinquante ans, un médecin ne vous disait pas tout, et jugeait que le patient n'était pas à même de juger le traitement qu'on vous faisait prendre. Et ce justifié par l'état de faiblesse supposé du client. Ce modèle paternaliste était garanti par une déontologie très forte par laquelle le médecin s'engageait à privilégier les intérêts du patient au sien. 

Cette relation paternaliste a été critiqué par de nombreux commentateurs, que l'on dénonce la variabilité (au moins géographique) de traitement, ou ses coûts aussi évidemment, avec des tarifs exorbitants aux Etats-Unis. Tout cela a milité pour un rééquilibrage en faveur des patients. 

Aujourd'hui, les médecins sont tenus par le devoir d'informer, d'éclairer le patient, d'obtenir son consentement éclairé pour choisir avec lui le traitement. On est passé d'un modèle paternaliste à un modèle qui tient plus de la décision partagée. Et cette nécessité de partage n'est pas seulement consacré dans la loi, impliquant une série de devoirs qui incombent désormais au médecin aujourd'hui, mais aussi à la diffusion des connaissances scientifiques (y compris des méconnaissances scientifiques) par internet. Les mouvements de patients, qui ont acquis une expertise que certains sociologue ont qualifié d'expertise profane, sont aussi venu apporter leur pierre à cet édifice, que ce soit sur les maladies chroniques (les patients connaissent très bien leurs médicaments, leurs troubles, les effets etc.) ou pour les maladies rares (ce qui a été très utile pour compiler des informations et aider la recherche). 

Ces trois mouvements (défiance vis à vis des tiers garants, retour à la nature et "empowerment" des patients) ont au moins entretenu voire renforcé la défiance de certains envers la médecine. 

Enfin, il y a aussi tout ce qui concerne les industries pharmaceutiques, accusées d'être de mise avec l'État ou les médecins eux-mêmes.

Quelle est la situation actuelle, quelles sont les populations qui s'avèrent les plus "méfiantes" à l'égard du corps médical et quelles en sont les conséquences du point de vue de la santé publique ? 

C'est difficile d'avoir une réponse généralisée. Il y a eu des travaux sur la vaccination qui montre qu'il ne s'agit pas forcément des classes défavorisées.  Il y aurait des gens éduqués parmi les engagés dans le mouvement anti-vaccination. En revanche, d'autres travaux sur la santé publique font le constat de la résistance d'un certain nombre de populations défavorisées aux messages sanitaires sur le tabac, l'alcool, l'activité physique, la malbouffe etc.  Mais on n'a pas de grande réponse d'ensemble, il y a indéniablement des enquêtes à mener sur ces populations qui sont enclines à refuser la médecine, et sur quels types de refus.

Quels sont les moyens de remédier la situation, et de permettre de retisser ce lien de confiance ?

Je propose une réponse parmi de multiples réponses possibles. Il me semble que certains croient en la compromission des industries pharmaceutiques, des États et des médecins pour faire avaler des médicaments à des gens qui n'en auraient pas besoin. En France, il manque une recherche de santé publique qui soit bien dotée financièrement et mieux reconnue symboliquement. En France, la santé publique est structurellement sous-considérée, placée en dessous, dans la hiérarchie informelle des activités sanitaires, de la recherche fondamentale en médecine. Notre modèle favorise le curatif, l'hôpital, l'émission de soin. Redoter la recherche en santé publique et garantir son indépendance me semble une façon pérenne de contrer ce phénomène de défiance.

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