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Combattre le terrorisme avec des stratégies non militaires, le difficile défi que se donne Barack Obama (surtout quand il ne sait pas nommer son ennemi)
©Reuters

Ennemi invisible

Le gouvernement américain profite du sommet de Washington contre l'"extrémisme violent" pour dévoiler sa stratégie non militaire de lutte contre le terrorisme. Un combat vain contre un ennemi que l'on ne veut pas nommer, intérêts économiques et stratégiques obligent, et qui est donc difficile à combattre pour les États-Unis comme pour la France.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Le sommet contre l'"extrémisme violent" a lieu en ce moment  à Washington.  Rien que dans les mots, le gouvernement Obama réduit-il trop le champ de la lutte contre l'islamisme radical ? Qu'ont dans la tête les Américains en ne voulant cibler que quelques fanatiques ? Laisser de côté l'aspect militaire au profit de la prévention, est-ce bien raisonnable ?

François-Bernard Huyghe : L'idée derrière cette expression d'« extrémisme violent » est de ne pas prononcer les mots d'« islam » ou d'« islamisme » et d'éviter que les musulmans ne se sentent visés ou amalgamés. Ce n'est pas nouveau : du temps de Bush, une grande campagne intitulée « Common Values » mettait déjà en avant que le terrorisme n'avait rien à voir avec le vrai islam, que ce n'était pas l'islam qu'il fallait combattre et que d'ailleurs les Etats-Unis avaient beaucoup de valeurs communes avec l'islam. Mais cette expression d'« extrémisme violent » ne veut rien dire : le FLNC, ETA ou Bachar el-Assad le pratiquent et ce n'est pourtant pas eux que l'on va attaquer. Derrière cet euphémisme politiquement correct il y a une grande hypocrisie. Nous sommes clairement dans la langue de bois. Cela ne me gênerait pas que l'on dise vouloir combattre le djihadisme.

Ce n'est pas raisonnable, surtout au moment où l'on est en train de bombarder les troupes de l'Etat islamique en Irak. Je pense qu'il y a surtout une opération de communication qui essaye de faire passer le message, surtout après les récents évènements, que l'on n'a pas d'hostilité envers l'islam et les musulmans. Il y a même une sorte de message subliminal dans les récentes déclarations du vice-président américain Joe Biden qui serait : « regardez comment nous les Américains avons bien intégré nos immigrés et comment vous les européens feriez bien de vous en inspirer ». Dire d'un côté que la solution est de bien intégrer les musulmans et d'un autre que cela n'a rien à voir avec l'islam, c'est un peu bizarre comme raisonnement.

Les Américains disent qu'il faut faire intervenir les autorités locales dans un programme de déradicalisation et de prévention associant la société civile. Cela a été lancé il y a bien longtemps dans un pays comme le Danemark, avec le résultat que l'on a vu récemment…

Alexandre Del Valle : Le problème, c'est que l'on ne désigne pas la chose telle qu'elle est. Cet extrémisme est particulier et pour le combattre on doit connaître son origine et sa nature. Il n'est pas uniquement lié à des psychopathes ou à des phénomènes marginaux mais à une situation géopolitique qui vient d'une zone donnée, celle des pays arabo-musulmans. C'est bien de s'attaquer à la prévention en plus de la partie militaire, qui existe, mais il faut bien désigner l'ennemi. Il suffit de voir comment les Américains traitent la partie sécuritaire pour comprendre pourquoi ils ne désignent pas cet ennemi. En Irak, ils bombardent l'Etat islamique alors qu'en Syrie, avec les Turcs, ils arment les islamistes soi-disant modérés qui sont en fait pour beaucoup des radicaux, au minimum proches de l'idéologie des Frères musulmans et parfois même de groupes autrefois liés à l'Armée Syrienne Libre comme Ahzem. C'est pour cela que dans le pendant non-sécuritaire de cette lutte contre l'« extrémisme violent » on ne nomme pas l'extrémisme islamiste.  On ne désigne pas l'ennemi car on est en train de l'armer d'un autre côté.

Lire aussi : Le dilemme libyen : intervenir et aggraver les choses, ou ne rien faire et laisser les choses s’aggraver…

Comme le souligne Richard Cohen dans le New York Times, l'islamisme radical n'est pas qu'une idéologie sombre mais un projet politique qui refuse toutes les libertés (d'expression, de la presse, sexuelle, etc.) inhérentes à la démocratie. Ce n'est donc pas qu'une guerre contre le fanatisme mais contre une bonne partie du monde arabo-musulman que l'on doit mener ? Le terrorisme islamiste n'est pas que l'affaire de quelques fous isolés, comme le sous-entend Barack Obama ?

François-Bernard Huyghe : En Syrie et en Irak, il y a environ 50 000 combattants de l'Etat islamique, sans compter la Libye et bien d'autres pays. Ce n'est donc pas qu'une poignée de fanatiques. Ils sont contre la démocratie car il n'y a qu'une seule volonté qui doit être appliquée, celle de Dieu et non celle du peuple. Ce n'est pas la peine de se cacher : l'ennemi, c'est la fraction des salafistes islamistes qui décident de passer au djihad. Ceux qui prennent les armes sont une minorité mais il y a des réflexes de solidarité dans de nombreux pays musulmans (ou non, d'ailleurs) où des sondages inquiétants montrent que beaucoup adhérent à l'idée qu'il y a deux poids deux mesures entre les crimes que l'on commet sur les musulmans et ce que font les musulmans. Cette identification fantasmique avec une communauté des musulmans stigmatisée et persécutée. Ils sont dans une logique de vengeance a amené beaucoup de gens sur la voie du terrorisme.

Lorsque les gens sont prêts à mourir et qu'ils le font sur une base volontaire sans qu'un Etat ne les oblige à s'enrôler, ils le font forcément au nom de valeurs. Les valeurs d'obéissance totale, de soumission et de punition sanglante des infidèles sont totalement incompatibles avec les nôtres. On est en présence d'un groupe qui a une attractivité planétaire qui permet à tous les ressentiments, à toutes les colères, de se rattacher à une idéologie simplifiée. Etre islamiste, c'est vouloir que l'on instaure un Etat où l'on applique la charia, en arrivant au pouvoir sans forcément tuer. Etre djihadiste, c'est considérer que tout bon musulman a l'obligation de faire la guerre aux juifs et aux croisés. Ce djihadisme trouve son inspiration idéologique dans une interprétation du Coran. Le problème étant qu'une lutte avec le djihadisme ne dégénère pas en lutte avec l'islam.

Rappelons quand même qu'il y a eu beaucoup d'autorités musulmanes, y compris salafistes, qui ont condamné religieusement ces actes. On peut être Egyptien ou Jordanien et bombarder l'Etat islamique. Sur le plan idéologique et militaire, il vaudrait donc mieux que ce combat soit mené par des musulmans, qui seront plus crédibles.

Alexandre Del Valle : Bien sûr. C'est une guerre contre l'Arabie Saoudite, le Soudan et même la Palestine la plus modérée. Ce même Mahmoud Abbas qui était à la marche pour Charlie Hebdo du 11 janvier met en prison des gens qui blasphémaient. On y enferme les gens qui ne sont pas islamiquement corrects. Il en est de même en Jordanie.  Nos capitales occidentales sont très très dures quand il s'agit de pays visés par l'OTAN comme la Russie mais quand il s'agit de pays qui ne sont pas visés par l'OTAN comme la Turquie ou les pays du Golfe, qui sont nos alliés, ils ont finalement parfaitement le droit d'être liberticides. Si l'on nommait la menace au lieu de parler d'« extrémisme violent », on serait obligé d'en tirer les conséquences et de rompre avec un certain nombre de capitales qui financent ces mouvements. Ce ne sont pas que des terroristes violents mais des régimes tout à fait amis de l'Occident, institués, reconnus, membres de l'ONU, membres de la Ligue Arabe, membres de l'organisation des Etats islamiques.

Cette guerre confronte l'Occident mais aussi la Chine, considérée comme mécréante encore plus que les sociétés chrétiennes, et l'Inde à une conception totalitaire de l'islam qui malheureusement s'appuie sur une orthodoxie islamique enseignée notamment dans l'université Al-Azhar ou en Arabie Saoudite, comme l'a récemment constaté le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi.

Affirmer comme le fait le président Américain que l'enjeu principal est de rétablir le dialogue inter et intra-religieux ou de réformer et renforcer la politique d'insertion sociale, n'est-ce pas un peu naïf ?

François-Bernard Huyghe : On est dans la politique du bisounours, c'est un lieu commun qui nous est servi depuis des décennies. C'est un peu utopique. Vaincre l'Etat islamique suppose une bonne dose de violence. Ce n'est pas en augmentant les prestations sociales ou en donnant des cours sur la tolérance à l'école que l'on va faire rendre les armes aux 50 000 soldats de l'Etat islamique. Le problème, c'est qu'il ne faut pas que pour chaque djihadiste tué le matin il y en ait deux le soir.

Alexandre Del Valle : C'est extrêmement naïf. On sait très bien que ce n'est pas cela le problème. Le radicalisme terroriste n'a jamais eu comme véritable cause la pauvreté. Historiquement, les premiers grands terroristes, que cela soit pendant la Révolution française ou contre le Tsar en Russie, étaient des minorités bourgeoises actives et jamais des paysans. Carlos ou les membres d'Action Directe étaient des fils de bourgeois. Le phénomène terroriste est un phénomène de fanatisation idéologique qui souvent prend pour prétexte la défense des pauvres comme les Robespierristes et les Jacobins pendant la Révolution française, mais eux-mêmes ont un agenda totalement différent. C'est comme les marxistes dans les pays dictatoriaux staliniens qui s'exprimaient au nom du peuple tout en écrasant le peuple. Les sectes s'alimentent principalement de gens qui viennent de classes sociales élevées. Il ne faut pas tomber dans le panneau en pensant que c'est l'exclusion sociale qui est à l'origine du terrorisme. Dire cela et croire comme les marxistes que tout est matériel et qu'il suffit de régler le problème de la pauvreté pour régler le problème du radicalisme fait que l'on ne pourra pas lutter contre la source du problème qui est éminemment idéologique.

Le dialogue inter religieux est aujourd'hui biaisé. Avec des musulmans modérés, tout va bien. Mais si l'on veut dialoguer avec les trois grandes composantes de l'islam européen constamment présentes dans le dialogue religieux, c'est à dire l'Arabie Saoudite, les Frères musulmans et les mouvements indo-pakistanais comme le Tabligh voire même le Millî Görüş turc, utilisent un double discours : elles sont tolérantes quand il s'agit des exigences communautaires pour leurs ouailles mais elles ne sont absolument pas tolérantes dans leurs organisations qui adhérent à cet islam orthodoxe qui interdit la liberté d'expression, qui punit l'apostasie et qui condamne le prosélytisme chrétien à la peine de mort.

En quoi la réponse militaire n'est-elle malgré tout pas suffisante ? L'enjeu n'est-il pas d'endiguer la propagation de cette idéologie violente et d'éviter qu'elle ne fasse plus d'émules ? Comment trouver un équilibre entre l'action armée et l'action sociale et l'éducation ?

François-Bernard Huyghe : La réponse militaire est indispensable mais elle ne peut être que partielle et provisoire. Pour des cas isolés comme les frères Kouachi il faut soit les abattre comme l'a fait la police française sans que cela ne choque personne ou les envoyer longtemps en prison. L'Etat doit utiliser sa violence légitime face à une violence qui le menace. Mais il est difficile de trouver un groupe terroriste vaincu par la force militaire. Il faut contrer les phénomènes d'identification et de solidarité par une guerre idéologique qui vise à convaincre les musulmans tentés par ces messages du caractère illicite de ces actes, non pas du point de vue légal mais par rapport au Coran et à leur système de valeurs.

Mais on ne dose pas l'action armée comme on veut. On ne peut pas demander aux forces armées de Kobané de s'arrêter de tirer le temps que l'on enseigne la tolérance à l'école. Enormément d'erreurs faites au cours des dernières années, comme l'invasion de l'Irak, se payent maintenant et pour très longtemps. La riposte idéologique ne peut pas être menée par des gens de Washington ou des énarques sociaux-démocrates mais par des musulmans. Vouloir tarir les causes économico-sociales du djihadisme c'est comme déclarer le bonheur et la prospérité sur terre. C'est totalement utopique.

Alexandre Del Valle : Le problème c'est que l'action dans les pays musulmans a été essentiellement menée depuis des années pour des raisons stratégiques, notamment pour faire mettre l'état kurde sur les ruines de l'Irak, et économiques, pour permettre l'exportation et la commercialisation et  du pétrole du Golfe. Tout le reste, c'est du blabla. Les guerres ont été livrées et continuent de l'être à cause du pétrole. En Irak, nous sommes intervenus quand les troupes de Daech étaient aux portes du Kurdistan, près des compagnies pétrolières. On ne livre pas de guerres dans les pays arabes pour lutter contre le fanatisme, au contraire on a détruit des régimes comme celui de Kadhafi, qui était détesté par les islamistes. On n'a jamais fait de guerre contre l'islamisme. On n'a jamais bombardé l'Arabie Saoudite ou le Qatar, qui sont les principales sources d'Al Qaïda et de l'Etat islamique.

Quels autres moyens pourraient être mis en œuvre pour combattre le terrorisme d'une autre manière que militaire ?

François-Bernard Huyghe : Il faut du renseignement suivi d'actions. Si c'est pour avoir les moyens de la NSA et des dossiers sur tout le monde sans obtenir de résultats, cela ne sert à rien. Ce n'est pas facile dans une démocratie car on ne peut arrêter personne sur des fantasmes, il faut des preuves. On peut essayer d'infiltrer les réseaux djihadistes et de les déstabiliser. On peut utiliser des hackers, par exemple, pour contrer leurs méthodes de recrutement sur les réseaux sociaux.

Alexandre Del Valle : On devrait prendre des sanctions économiques pour faire pression sur les pays musulmans qui pratiquent la christinophobie, la judéophobie, le massacre des minorités et qui ne pratiquent aucune réciprocité. Ils demandent des libertés pour les musulmans en Europe mais ils n'en donnent aucune chez eux. Malheureusement on n'a jamais puni les pays qui condamnent la liberté religieuse. Ce que l'on demande aux Russes on n'ose pas le demander à ces pays. Comme s'il y avait une sorte de prime à la violation de la liberté et de la dignité humaine quand on est musulman. Il n'y a même pas une exigence amicale avec ces pays. On tolère totalement la violation des droits de l'Homme alors que des pays comme la Russie sont diabolisés pour moins que ça. Il y a une contradiction dans la façon dont l'Occident veut défendre ses valeurs.

Il faut défendre nos valeurs chez nous avant d'essayer de les exporter, ce qui est à mon avis une erreur. Il faut interdire à toute organisation musulmane orthodoxe qui répand la haine de s'exprimer au nom des musulmans d'Europe, qui sont kidnappés par le fanatisme. Il faut mettre à la tête des organisations islamiques d'Europe des gens qui adhèrent véritablement à nos valeurs, et il y en a beaucoup.

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