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Class action à la française : ce que la loi va réellement permettre à chacun d’entre nous
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Tous ensemble tous ensemble hé hé

Après avoir été rejeté pendant plus de trente ans et fait la navette au Parlement depuis plusieurs mois, le projet de loi sur la consommation, dont l'article premier concerne les actions collectives, a été adopté ce jeudi. De quoi voir apparaître une class action à la française.

Frédéric Pelouze

Frédéric Pelouze

Frédéric Pelouze est ancien Avocat au Barreau de Paris, Fondateur d'Alter Litigation Funding, société de financement de litiges.
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Atlantico : Le projet de loi Hamon relatif à la consommation fait actuellement la navette au Parlement, après avoir été adopté en deuxième lecture par le Sénat le 29 janvier dernier. Est-on en train de voir apparaitre une class action à la française dans notre système juridique ? Que va concrètement permettre la loi sur les actions collectives ?

Frédéric Pelouze Indéniablement, cette loi consacre une avancée importante en dotant les justiciables d’un nouvel outil procédural qui répond à trois enjeux :

  • un enjeu de justice : défendre le misérable contre le puissant ;
  • un enjeu de confiance : en économie de marché, la confiance est clé, et la responsabilité effective des acteurs est le pendant indispensable de la liberté. Sans responsabilité, il ne peut y avoir de confiance ;
  • Un enjeu de compétitivité : La France se devait de se doter d’un tel outil procédural car la compétition entre les différentes places a commencé, et les justiciables pourront certainement choisir ou attraire les sociétés en responsabilité.  

Cela étant, s’il ne s’agit pas d’un rendez-vous manqué, c’est incontestablement un travail inachevé. 

Il n’y a pas lieu de se réjouir d’avoir créé une action « à la française ». Le législateur a souhaité à tout prix éviter de s’inspirer du modèle qui fonctionne, le modèle américain. Ce réflexe pavlovien de rejet de tout ce qui vient des Etats-Unis est triste.

Les class actions peuvent être un outil redoutablement efficace mais le dispositif français risque malheureusement d'être inefficace car il conjugue monopole d'associations de consommateurs agréées et opt-in.  

L'action de groupe sera-t-elle tout de même encadrée ? A quel domaine sera-t-elle limitée ? A qui sera-t-elle réservée ?

Frédéric Pelouze : En pratique, seules les associations agréées pourront agir.

Ce monopole crée un système où seules quelques personnes en France, les représentants de ces associations, pourront décider d'engager ou non d'engager une action en justice au nom des consommateurs sans que rien ni personne n’y puisse rien.

Songez que si un litige potentiel heurte la ligne d’action de ces associations ou leur objet social, alors elles n’agiront pas, les consommateurs seront impuissants !

Je ne parle même pas des contraintes que l’Etat pourrait exercer à travers la menace du retrait de l’agrément.

Ensuite, elle sera limitée aux seuls préjudices patrimoniaux résultant des dommages matériels. 

Les consommateurs lésés devront être identifiés avant l'introduction de l'action et ceux qui désireront s'y joindre devront adhérer au groupe pour pouvoir bénéficier du fruit de l'action. Pourquoi le système de l'opt-in est-il le modèle retenu en France ? Quelle est la différence avec l'opt-out du modèle américain ?

Frédéric Pelouze : Le choix de l’opt-in est une erreur majeure qui a été commise par le législateur. Seul l’opt-out est en mesure d’assurer la défense effective des droits des consommateurs.

L’argument de notre ADN juridique faisant prétendument obstacle à un système d’opt-out ne tient pas : si nous voulons construire un système efficace, il faut se libérer des carcans, dépasser les obstacles et avoir des moyens à la hauteur de ses ambitions. 

En quoi consiste l'action de groupe simplifiée, introduite par le Sénat en seconde lecture ? Qu'est-ce que cette possibilité peut changer ?

Frédéric Pelouze : Une procédure simplifiée et accélérée a été prévue lorsque l'identité et le nombre des consommateurs lésés sont connus et lorsque ces consommateurs ont subi un préjudice d'un même montant. L’entreprise, une fois sa responsabilité reconnue, indemnisera directement ces consommateurs. 

Les entreprises doivent-elles craindre l'arrivée en France de l'action de groupe ? La loi, si elle promulguée, risque-t-elle de reproduire les dérives du système de class action à l'américaine ?

Frédéric Pelouze : Les entreprises n’ont rien à craindre car cette loi ne permettra malheureusement pas d’engager efficacement leur responsabilité.

Quoiqu’il en soit, l’idée selon laquelle les actions de groupe pourraient entraîner des faillites en chaine est absurde. Il n’existe aucune étude qui établisse scientifiquement le lien entre actions de groupe (en Amérique du Nord ou en Europe) et perte de compétitivité des entreprises. Plus intéressant encore, les pays qui ont adopté un tel régime (Pays-Bas notamment) n’ont pas connu de perte de compétitivité visible depuis lors. Un rapport du Sénat a au contraire révélé qu’aucun des mécanismes étudiés n’a généré des coûts déraisonnables ou disproportionnés pour les entreprises et la vie des affaires, ni entraîné aucune faillite.

En matière de compétitivité, le problème est ailleurs et chacun le sait. En diabolisant les class actions, le Medef n’a pas cherché  à sauvegarder la compétitivité des entreprises, il a mené une campagne contre les consommateurs.

N’oublions pas qu’une entreprise qui triche ne respecte pas ses propres clients, et elle ne mérite pas d’être protégée.

S’agissant des class actions américaines, de quels abus parlons-nous ? De la rémunération des avocats ? La diabolisation grossière de la class action américaine ne résiste pas à l’analyse. Soyons précis : Les opposants à la class action ont fait de la rémunération des avocats outre-Atlantique un symbole de ses prétendus excès. Argument simpliste et fallacieux. Explications : Aux États-Unis, les avocats financent indirectement les procédures contentieuses en travaillant gratuitement en échange d’un honoraire aléatoire exclusivement fonction du résultat du procès ("contengency fees"). Si le procès est perdu, les avocats n’ont rien ; si le
procès est gagné, ils obtiennent une partie du montant des dommages et intérêts alloués.

Il y a pire comme situation pour les justiciables que celle ou les avocats travaillent gratuitement et ne sont payés qu’en cas de succès non ? En assumant financièrement le risque d’un procès perdu, les avocats américains permettent aux plus démunis d’accéder au droit. Et leur rémunération est le reflet de ce risque qu’ils assument. En France, la rémunération exclusivement au succès est interdite (interdiction du pacte de quota litis) et le Conseil National des Barreaux a récemment rappelé son opposition à ce genre de rémunération.

Propos recueillis par Marianne Murat

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